ID : 94
N°Verso : 68
La chronique d'Amélie Adamo
Titre : Gérard Schlosser. Les dessous du sensible.
Auteur(s) : par Amélie Adamo
Date : 24/07/2013



Gérard Schlosser. Les dessous du sensible.
par Amélie Adamo

            C’est comme cela que c’est arrivé, allez savoir pourquoi, c’est si vite fait ces choses là. A ce moment précis, il tomba raide dingue amoureux de la douce. Juteuse tentation qu’il ne cesserait désormais plus de croquer. Il croyait avoir trouvé dans ce tendre fruit fendu un arrière-gout de Paradis : madame Pomme devint sa Terre promise.

            Il marchait sur un nuage.
            Avec elle, il se sentait heureux.
            C’était comme s’il marchait à l’envers. La tête sur des nuées ouatées. Des doigts dans les yeux. L’ouïe à portée de main.
            C’était comme une folie douce.
            Il était obsédé par son corps. Un désir absolu de l’apprendre par cœur. Dans les moindres reliefs et les saillies cachées, fragment par fragment, courbes par courbes, ce corps tant aimé, il ne le quittait plus. Et quand elle s’absentait, il la voyait partout.
            Pourtant le corps de madame Pomme n’avait rien d’extraordinaire. On ne peut pas vraiment dire qu’elle était une pin-up ni qu’elle eût été carrossée comme une Marylin. Elle était somme toute banale, comme n’importe quel petit bout de femme, et c’est précisément cela qui le fascinait. Car quand il le regardait, ce corps familier se transformait en pays des merveilles, s’ouvrait en mille paysages dans lesquels il voyageait, rêvait, se perdait ou bien trouvait refuge. Des contrées de chair et de tissus mêlés, qu’il aimait regarder, toucher, goûter, sentir, traverser.
            C’était un peu comme…
            Des caresses de satin et des dunes de peau, douces comme du sable fin entre les doigts du vent. Des champs de coton aux sillons de velours, d’où monte l’odeur de la terre qu’on laboure. Des ballades de main à la lisière des hanches et le bruissement de l’herbe qui se penche. Des éclosions florales en bouquets de lumière, des étreintes de robes aux senteurs printanières. Des dévalades de chair, des vallonnées moelleuses. Comme des creux ombragés à l’onctueux goût de miel. Des accolades d’air, des envolées juteuses. Comme des ailes de dentelles poussant entre les cuisses. Et des corsages bleus s’envolant jusqu’au ciel.
            C’était un peu comme si, auprès d’elle, tout devenait instant magique. L’acte quotidien le plus dérisoire, la moindre parcelle de banalité : tout semblait se muer pour lui en perle d’éternité. L’odeur des gauloises, le grondement des voitures, le goût de la pizza sauce-au-lit, le va et vient des vagues, tout se cristallisait, tout se condensait, dans ce petit bout de corps. Alchimie de l’amour qui transcende le jour, douce suspension du bruit à l’entour. L’infini à portée de main, le vertige dans une pointe de sein. Le frisson sous les mots. Un silence de peau.

 

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