Gérard Schlosser. Les dessous du sensible.
par Amélie Adamo
Il ne savait plus si c’était bien elle. Il n’était pas bien sûr que ce soit le fruit de sa Promise perdue. A bien y regardait en fait, non. Ce n’était plus tout à fait le même. Mais peu lui importait, il savait qu’ici, où tout avait commencé et tout avait fini, il savait qu’ici, toujours, tout re-commencerait. Ici sur ses doigts, il avait retrouvée l’odeur du Paradis, et tout le goût du monde dans ce petit bout de pomme.
III- Les Autres :
Nous autres, spectateurs, regardons les tableaux de Schlosser. Et ses tableaux nous regardent, et ils nous interrogent. Sur nous-mêmes, sur notre rapport aux autres et au monde moderne.
Cette société de consommation – qu’a vue naitre l’artiste-, que véhicule-t-elle aujourd’hui comme valeurs philosophiques et spirituelles ? Quelle place fait-elle à l’individu et plus particulièrement au corps ? Derrière l’humanité aux loisirs et le progrès matériel, le monde moderne n’a-t-il pas enfanté l’idée monstrueuse d’un homme de masse ? N’a-t-il pas exalté des valeurs qui cachent aliénation et haine de soi ?
Première valeur étalon : l’image et l’artifice. Ici, dans la visibilité contemporaine et la sphère médiatique, c’est le règne de la perfection lisse et de la déréalisation des événements et des corps. Quelle incarnation de l’amour à l’heure de l’internet ? Quelle perception de la beauté face aux écrans du paraître et aux miroirs standardisés ? Voilà ce que nous voyons : Fantasmes de corps pixellisés, chair de papier glacé, sexe de silicium, orgasmes virtuels, érotisme égocentré, injection de bonheur sans ride.
Deuxième valeur étalon : Le Capital. Ici, c’est le règne de l’objet et de la machine. Mais quelle place pour la réalité humaine à l’heure des « marketocraties » ? Voilà ce que nous voyons : dans la course à l’Avoir, sous le bruit des machines, les hommes pointent leur jour, se régulent l’âme, se vidangent le cœur. Orgie d’objets, désir à la chaine, Joie sous vide, rêves prémâchés.
De l’une à l’autre, même déni d’une réalité humaine. Obsédé par l’idée d’un bien être qui ne viendra jamais, l’homme de masse laisse passer le temps en oubliant de vivre. Il nie son tempo intime. Son corps, la mort, la vieillesse, la maladie. Il oublie ainsi la peur, l’odeur et le gout de la peau, la vie frissonnée dans le regard de l’Autre, la simplicité de l’oisiveté partagée, la langueur de l’amour et la douceur du vent autour.
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