La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
II
LITTERATURES
Histoire de ma vie, I, Giacomo Casanova, édition dirigée par Gérard Labouati & Marie-Françoise Luna avec la collaboration de F. Luccichenti & H. Watzlawick, Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Gallimard, 1376 p., 65,50 €.
De bonnes consciences ont désiré métamorphoser l’insaisissable Giacomo Casanova en un Israélite : il aurait été, selon eux, le fils d’une Juive convertie. Cette hypothèse, comme d’autres plus ou moins aventureuses, n’ont aucun fondement historique et tous les grandes spécialistes la réfutent. Mais Casanova lui-même s’est inventé une histoire judaïque en s’inventant un ancêtre lointain qui serait un marrane de l’Espagne d’avant Isabelle la catholique : « L’an 1428 D. Jacobe Casanova né à Saragosse, capitale de l’Aragon, fils naturel de D. Francisco, enleva du couvent Da Anna Palafox le lendemain du jour qu’elle avait fait ses vœux. » Cet homme se serait illustré en devenant le secrétaire du roi Alfonso. Etrange invention de l’auteur qui se veut descendant d’un Juif converti et d’une aristocrate espagnole ! Il est vrai que Giacobbe en italien s’est très souvent traduit par Giacomo. Mais ce n’est pas tout. Il prétend aussi avoir fait ses études de droit en une année et être devenu docteur à l’âge de seize ans : « ayant eu dans le civil le point de testamentis et dans le canon utrum Hebraei possint novas sinagogas ». On peut se demander si notre auteur, si peu fiable, ne se gausse de ses lecteurs on se demandant si les Juifs peuvent construire de nouvelles synagogues (sous-entendu : en Vénétie). Cet exploit accompli, le jeune homme prétend se destiner à la médecine, bien qu’on lui ait conseillé d’enfiler la robe de l’avocat ecclésiastique. Vous vous doutez bien qu’on n’a pas retrouvé moindre trace d’une thèse de ce genre à la faculté de Padoue. La fascination trouble que Casanova a pu éprouver à l’égard des Juifs est souvent le signe révélateur d’un préjugé négatif à leur encontre pour se transformer ensuite en une opinion plus favorable. La preuve en est donnée dans un des épisodes qu’il narre dans le moindre détail d’un périple qu’il a fait pour se rendre à Ancône, sur la côte Adriatique de l’Italie : dans un voiturin, il fait la connaissance avec un pauvre Juif avec lequel il engage la conversation (« malgré la résistance de mon humeur »). Le lendemain matin, ce dernier lui demande pourquoi il est hostile à sa nation. Il lui réponde que c’est parce que « vous êtes nos ennemis par principe de religion. Vous vous croyez en droit et même obligés de nous tromper ; vous ne nous regardez jamais comme des frères. Avons-nous besoin de recourir à vous pour nous procurer de l’argent, et vous nous écrasez d’usures ; en un mot, vous nous haïssez et vous croyez accomplir un devoir. - Vous êtes dans l’erreur, Monsieur, reprit-il, accompagnez-moi à la synagogue, et vous entendrez prier Dieu pour les chrétiens nos frères. Vous nous entendre même appeler ses bénédictions sur le pape, notre souverain. - Oui, lui dis-je, la prière sera sur vos lèvres ; mais c’st le cœur et non la bouche qui doit prier. Convenez que les juifs, s’ils étaient les maîtres, se garderaient bien de prier pour les chrétiens, ou je vous jette hors de la voiture. Je le surpris beaucoup en lui citant en hébreu plusieurs passages de l’Ancien Testament, qui ordonnent aux Israélites de maudire leurs ennemis en toute occasion, et de leur faire tout le mal imaginable. Dès ce moment, le pauvre juif n’ouvrit plus la bouche. » Malgré cet échange assez vif, Casanova est allé habiter chez lui et est devenu son ami.
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