La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
Romans, Patrick Modiano, « quarto », Gallimard, 1088 p., 23,50 €.
Le choix d’ouvrages qui a été fait pour l’édition de la collection « Quarto » a de quoi laisser perplexe. Mais, comme c’est Patrick Modiano en personne qui l’a faite, alors il est difficile de la contester ! Ces Romans (dix en tout) sembleraient former, aux yeux de leurs auteur, un tout ayant sa cohérence. Dans sa préface, Modiano est conscient que l’auteur est sans doute le plus mauvais lecteur de ses œuvres. Et il en appelle à Maurice Blanchot. Il avance une sorte de justification boiteuse : « ils forment un seul ouvrage et ils sont l’épine dorsal des autres, qui ne figures pas dans cet ouvrage. » Mais tout de même, en admettant qu’il ait choisi une trame autobiographique, on se demande alors ce que viens faire là Dora Bruder ! Ce livre -où il a tenté de reconstituer la vie d’une jeune femme juive disparue à jamais en 1942 n’a de plein sens que par rapport à son premier roman, qui lui a valu des récompenses et surtout la notoriété, la Place de l’étoile, qui ne figure pas dans ce volume. Après tout, cette discussion n’a pas lieu d’être. Cette sélection est une magnifique voie d’accès à l’écriture de Patrick Modiano, qui est sans nul doute notre plus grand écrivain et qui a su faire de romans tout à fait expérimentaux des romans pouvant être lus par le plus grand nombre ! Modiano aime aussi se cacher : il est et n’est pas tel personnage et tel personnage a existé ou pas dans son existence. Cela demeurera toujours un mystère impénétrable car c’est cela son cheminement : aller là où tout devient ombre et ambiguïté. Même Un pedigree, qui devrait être le roman familial par excellence ne fait que renforcer ce mystère. Ce qui importe, c’est sa faculté de métamorphoser le réel et de lui donner cette dimension presque mythique, mais sans jamais le rendre
Pleinement onirique ou merveilleux. Le réel est bien là à sa place quant à savoir ce qu’il a à nous dire dans la fiction, c’est une bien autre affaire !
Les Cantos, Ezra Pound,édition revue et corrigée par Yves di Manno, « Mille et une pages «», Flammarion, 1029 p., 30 €.
Les Cantos d’Ezra Pound demeurent une des pierres angulaires de la littérature du XXe siècle. On ne semble plus beaucoup en discuter dans les chaumières des bas bleus des beaux quartiers d’Aragon, mais le livre est toujours là, monstrueux et inquiétant. Et il vient de surcroît d’être réédité dans la collection « Mille et une pages » chez Flammarion. L’histoire de Pound, de ses émissions sulfureuses (mais surtout surréalistes) sur les chaînes radiophoniques fascistes de la République sociale, son enfermement dans une cage à la Libération et son long internement à l’hôpital Sainte Elizabeth aux Etats-Unis en ont fait un martyr de la sainte cause poétique. De plus en plus d’intellectuels et d’écrivains sont allés lui rendre visite alors que lui traduisait Confucieus. Tout cela est assez irréel et mériterait d’être écrit, écrit de manière satisfaisante, une bonne fois pour toute. Reste le problème de cette œuvre monumentale. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi le Cantos LXXII a été laissé en italien. L’italien n’est-elle pas une langue étrangère comme l’anglais ? De plus il y a la question ô combien épineuse des caractères chinois. Peut-être aurait-il été souhaitable qu’on nous les explique, sinon nous ne voyons que de belles pages typographiques. En somme, Pound n’aura sa vraie place qu’une fois qu’on aura fait une édition de ces Cantos digne de ce nom.
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