La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
La Virgilia, Giorgio Vigolo, traduit par Nathalie Castagné, Editions de la Différence, 144 p., 15 €.
Qui connaît Giorgio Vigolo ? En tout cas pas moi. Et pourtant je vis en Italie. Cette écrivain, critique, traducteur qui a vécu à Rome (1894-1983), a écrit un merveilleux petit texte de fiction, un récit plus qu’un roman, qu’il avait écrit en 1922 et qu’il n’avait publié qu’en 1982. Le narrateur est un jeune musicien qui vient juste de sortir du conservatoire de Parme. Cela passe au XIXè siècle. Il se rend à Rome et y fait la connaissance de monsignor Gualdi, qui est un érudit qui le prend en amitié. Celui-ci lui ait découvrir une musicienne de la Renaissance, la Virgilia. Cette jolie jeune femme à qui ont avait adressé des poèmes d’amour, était une musicienne et un écrivain qui avait vécu à Rome. Littéralement envoûté par son souvenir, le jeune homme n’a plus qu’une idée en tête, reconstituer l’histoire de la Virgilia. L’histoire est mince, mais ce qu’elle nous délivre est superbe. Un petit bijou d’écriture qui est une songerie sur l’art et la culture en général, qui sont perçu nous plus comme des champs de connaissance, mais comme les moyens de mener une existence, une poétique et même plus, esthétique existentielle. C’est merveilleusement bien fait, c’est bien traduit, avec finesse, et cela fait de cette anecdote fragile la métaphore de notre relation au monde par le truchement de la musique et de la poésie.
Un rivet à Tanger, Jean-Michel Espitalier, « Le Refuge en Méditerranée », CIPM, s. p., 14 €.
Jean-Michel Espitallier a écrit un petit ouvrage (par la taille) dans la collection « Le Refuge de la Méditerranée » du CIPM marseillais, - édition très soignée qu’on a envie de lire en prenant soin de ne pas laisser des traces de doigts sur cette belle mise en page. On peut dire qu’il pratique une littérature à la gomme, dans le sens le plus littéral du terme : son récit s’efface au bout de quelques lignes, puis reprend plus loin, et s’efface de nouveau. Je ne peux m’empêcher de songer au livre célèbre d’Alain Robbe-Grillet, dont le titre donne la mesure d’un travail d’écriture. On a plus parlé de ce que les écrivains ont désir ajouré, parfois avec excès, comme dans le cas d’Honoré de Balzac ou de Marcel Proust. Mais on parle moins de ce que l’auteur retranche. Et là, il ne s’agit pas de « poésie blanche », celle d’Alain Veinstein ou de Jean Daive, mais d’une prose narrative qui donne l’illusion d’être des plus normales. Bien sûr, cet ouvrage a une dimension expérimentale. On ne pourrait en faire un roman. Mais c’est une façon de mettre en évidence le processus du conte, dans la mesure où l’écrivain nous raconte une histoire et donc nous mène en bateau, comme le fit Shéhérazade dans les Mille et une nuits. Ces absences, ces vides créés par l’ablation d’une large partie du texte (ou la supposée césure), nous oblige à lire non plus un flux plus ou moins construit, plus ou moins logique, plus ou moins cohérent, mais des bribes (et non des lambeaux) d’une affaire dont nous ne connaîtrons jamais les tenants et les aboutissants./ Nous avons en main une autre affaire, celle de cet auteur qui nous confie ce qu’il a jugé bon de conserver en manquant bien, par les mots à demi effacés (imprimés en gris pâle) que la machinerie textuelle a été volontairement interrompue. Et il en résulte un livre qui demeure lisible, désarmant, sans doute, mais qui a sa beauté plastique et littéraire. Un rivet à Tanger est un pari sur l’absurde qui possède sa beauté et sa vérité, se concluant avec des plaques de compagnies maritimes anciennes qui nous ramènent à d’autres temps et d’autres idées du voyage.
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