ID : 95
N°Verso : 68
La chronique de Gérard-Georges Lemaire
Titre : La bibliothèque de l'amateur d'art
Auteur(s) : par Gérard-Georges Lemaire
Date : 24/07/2013




[Le Livre d’or de la Bible] [Entretiens avec Sam Szafran] [Pino Pinelli, Incognita e quanta] [Pino Pinelli] [Murano] [Le Tableau dans le tableau] [Les Ecrits, volume 2 : 1996-2012] [Le Sablier renversé] [Pissarro, patriarche des impressionnistes] [Antonio Mazzetti, Photopainter] [Face au portrait] [Picasso et les céramiques] [Voleurs de paroles] [Omnithéisme et démocratie] [Correspondance] [Keith Haring Studio] [TAG] [Du masque au visage] [Picasso céramiste et la Méditerranée] [Les Ateliers du midi] [Sur les pas de Brancusi] [L’Affaire Beltracchi] [Naissance de l’art Romantique] [Histoire de ma vie] [Romans] [Les Cantos] [Aberration de lumière] [Cellulairement] [L’Etrange solitude de Manfred Richter] [Chant de Weyla et autres poèmes] [Le Mariage du Ciel et de l’Enfer et autres poèmes] [Historiettes] [J’aimerais tellement que tu sois là !] [L’Intervention] [La Virgilia] [Un rivet à Tanger] [Dictionnaire, André Breton] [Télex n°1] [Dix-sept portraits de mes oncles] [De l ‘érotisme] [K.] [La Littérature et les dieux] [Maggie Cassidy] [Tristessa] [Vanité de Duluoz ] [Alcools] [Les Ecrivains de la Beat Generation] [L’Idole] [Clèves] [Histoires de Barcelone] [Ici mon désir est ma loi] [La Flûte de l’Infini] [Œuvres] [So shocking !] [Fragonard, l’inventeur du bonheur] [Fragments du métropolitain] [Singer] [La Doublure] [CRAC] [Guy Debord, un art de la guerre] [Ni droite, ni gauche] [La Découverte du monde] [Le Gouffre de Padirac] [Verdi] [L’Etoile jaune et le croissant] [Je parle toutes les langues, mais en arabe] [Célibataires ] [A vif, la création et les signes] [De la révolution] [Comment j’ai cessé d’être juif]

La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire


Télex n°1, Jean-Jacques Schuhl, « L’Imaginaire », Gallimard, 182 p.

Télex n°1 de Jean-Jacques Schuhl a paru en 1976, quatre ans après Rose Poussière qui avait été publié dans la collection « Le Chemin » de Gallimard. Ce fut une révélation. Le précédent livre avait laissé une trace profonde dans l’esprit de quelques uns. Et ce nouveau texte apportait un souffle de modernité à peu près égal à celui de William S. Burroughs, dans un registre plus expérimental sans doute et moins « romanesque ». Schuhl était devenu l’écrivain d’une génération qui ne se reconnaissait ni dans Tel Quel, ni dans Change, ni dans la majeure partie des revues d’avant-garde de l’époque et des ouvrages les accompagnant. Il accompagnait les efforts d’autres revues, très marginalisées comme Textuerre, Impasse, ou Dirty par la suite, pour ne mentionner que celles-là. Il était entièrement autonome : c’était un électron libre dans un monde où il fallait choisir entre Michel Déon et Philippe Sollers avec Jean Edern-Hallier comme joker ! Il possédait ce que le Paysan de Paris d’Aragon, car il avait un état d’esprit un peu dadaïsme, une pointe de surréalisme et des emprunts à l’art de ce temps-là, mais sans faire un choix dogmatique - il se servait des éléments qui lui tombait sous la main pour composer ces petits textes mystérieux et toujours fascinants. En fait, il se présentait comme des informations que les télex dactylographiaient mécaniquement dans les agences de presse, avec des informations décousues que l’écrivain recousait à sa manière, non pour faire naître un sens général, mais pour créer des « machines célibataires » de son goût, des moments de fictions qui étaient à la fois limpides et énigmatiques. Les scènes dépeintes étaient bien nettes, mais leurs parties étaient un collage, un montage, un vrai déballage néo-réaliste, le fruit de techniques nouvelles et des bribes d’histoires dont ni le début ni la fin n’importait à personne. Ce qui importait alors, c’étaient les objets sortis de cette manufacture. Et, au jour d’aujourd’hui, ils sont toujours aussi appétibles et délectables qu’ils l’étaient en 1974. Schuhl a été l’écrivain d’un rêve et que nul autre que lui n’a su réaliser.

 

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Dix-sept portraits de mes oncles, Lola Créïs, s. p., 14 €.

Du premier livre de Lola Créïs, Dix-sept portraits de mes oncle - un titre riche de facétie -, je peux mettre en exergue la mécanique qui est fort simple et d’ailleurs très efficace : elle a choisi des photographies (ou le sa inventées, peu importe) et au lieu de les montrer puis de les décrire, elle les a remplacé par un texte. Le procédé est vieux comme le monde, puisque les Grecs anciens pratiquaient la rédaction de l’ekphrasis, c’est-à-dire de la description très détaillée des œuvres d’art -, œuvres qui ont depuis disparu. Et puis, on retrouve ce genre de procédure dans le Nouveau Roman, où les écrivains ont aimé jouer sur des registres où l’écrit remplaçait l’image et lui donnait par conséquent une autre dimension. Ce qui est intéressant dans son cas c’est qu’elle construit l’intégralité de son ouvrage sur cet « échange » entre l’image et le texte. Chaque photographie décrite est l’amorce d’une histoire (et peut-être même plus), - d’une histoire intense qui pourrait très bien donner lieu à une fiction plus ample : tous les éléments sont réunis par cela. Lola Créïs s’en est tenu là. Comme si elle avait voulu laisser les choses en suspens. Cela semble un scène qui est arrachée à d’autres scènes qui la précédent et la suivent. C’est encore là un exercice de style, mais un bel exercice, un exercice réussi, qui laisse la place à la rêverie. Elle évoque des univers nécessairement révolus qu’on aimerait voir s’animer comme dans un film. Tout y est à la fois figé, passé et pourtant présent et vivant. C’est séduisant et agréable à lire. C’est un pari sur le devenir d’une écriture.

 

 

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