La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
De l ‘érotisme, Robert Desnos, préface d’Annie Le Brun, « L’Imaginaire », Gallimard, 126 p., 6,90 €.
De Robert Desnos, nous conservons surtout le souvenir du grand poète et du résistant connaissant une fin tragique. Il a aussi écrit des œuvres de fiction et des petits livres, comme celui qui vient d’être réédité dans la collection « L’Imaginaire » chez Gallimard. Il s’agit d’un petit ouvrage baptisé De l’érotisme et qui était en réalité un opuscule destiné au collectionneur Jacques Doucet où il avait rédigé des fiches sur les auteurs ayant écrit des livres érotiques. S’il est critique sur Crébillon (le fils), dont il juge la réputation usurpée, il fait un plaidoyer lyrique pour réhabiliter Giacomo Casanova et il le compare à Restif de la Bretonne, qu’il juge inférieur. En somme, Desnos ne se contente pas de cataloguer des ouvrages mis à l’index et dits de « second rayon », mais il s’efforce de dresser une géographie personnelle de ses goûts pour certains écrivains et son manque d’intérêt pour d’autres. Il termine son travail en évoquant Guillaume Apollinaire : il dit tout le bien possible sur sa poésie, mais ne trouve pas qu’il ait été un grand maître dans le genre érotique. Mineur sans doute, De l’érotisme doit néanmoins retenir notre attention car il montre de quelle façon le goût sur cette question a pu évoluer et que l’érotisme des uns n’est plus celui des autres.
K., Roberto Calasso, 416 p., 7,50 €.
La Littérature et les dieux, Roberto Calasso, « Tel », Gallimard, 198 p., 7,90 €.
Cette étude sur Franz Kafka intitulée K. n’apportera rien de nouveau au connaisseur de l’œuvre de grand écrivain pragois. Mais celui qui éprouve le désir de s’y plonger y trouvera de nombreuses pistes. Il faut reconnaître que Roberto Calasso a su faire un livre clair, intelligent, plaisant à lire, ce qui est bien différents de ses livres précédents, comme dans le passé. L’ouvrage se rapproche de l’esprit de la Littérature et les dieux, qui est une bonne étude, qui parfois verse dans les généralités (et l’auteur y fait étalage d’une culture qui est sans doute authentique, mais écrase le lecteur d’une liste infinie de noms pour étayer sa thèse). Ici, il procède plus simplement (avec plus d’intensité dois-je ajouter) et fait son propre récit de l’histoire de Kafka, qui construit son œuvre avec de nombreuses difficultés et d’encore plus nombreuses contradictions. Calasso ne commet qu’une seule faute grave : répéter, sans trop vérifier la chose, les accusations qui ont été portées contre Max Brod, l’ami intime de Kafka, celui qui l’a soutenu sans faillir, qui a conservé pieusement ses manuscrits et qui en a assuré l’adition entre les deux guerres.
Il l’accuse non seulement d’avoir trahi son œuvre après la guerre (discours tenu sans preuve, alors que cet écrivain s’est toujours appliqué à verser les droits d’auteurs à la famille de son ami en sa qualité d’exécuteur testamentaire), et d’avoir en somme dénaturé son projet littéraire. Les récentes éditions en allemand faites d’après les documents de la main de Kafka ne font état que de passages occultés parce qu’ils ne se rattachaient à rien, de quelques mots omis, en somme de rien de concluant. Sans doute peut-on lui reprocher le plan du Procès, mais qui peut affirmer quel était le plan définitif de ce livre inachevé, comme tous les romans de Kafka ? Ce procès est une honte. Dommage que Roberto Calasso soit tombé dans ce piège faute d’avoir examiné le problème. Par ailleurs, il cite Walter Benjamin qui avait noté la dimension érotique de cette œuvre narrative. Mais il n’en fait rien, pas plus dans ses nouvelles et romans que dans sa vie alors que des chercheurs ont établi que Kafka errait tout autre que l’ « éternel fiancé » vierge qu’on veut nous faire croire. La note est là, mais sans développement. Il n’en reste pas moins que ce livre mérite d’être lu dans la perspective indiquée plus haut et qu’il surclasse de loin d’essai de Piero Citati et a été rédigé avec soin et même élégance.
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