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19-12-2024

La chronique de Pierre Corcos
Affronter

La chronique de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane solitaire

La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Méditations d'un bibliomane solitaire

Surrél, présenté par Guitemie Maldonado, collectif, Editions Le Minotaure, 212 p., 50 euro.

Cette exposition présentée à la galerie du Minotaure de Paris est sans aucun doute possible la plus passionnante de la rentrée et le catalogue est vraiment passionnant. Il est question ici de revisiter l'histoire du surréalisme sous un angle différent, en mettant en avant les galeries qui ont joué un rôle déterminant dans le développement de l'art des années vingt et trente. La première de ces galeries est la galerie Pierre, qui se trouvait rue Bonaparte, en face de l'Ecole nationale des Beaux-arts. Dirigée par Pierre Loeb, elle a ouvert ses portes en 1925, un an après la publication du Manifeste du surréalisme d'André Breton.
Sa première exposition a eu lieu le 13 novembre et a réuni treize artistes, don Joan Mirò avec ses Constellations, et Max Ernst. Paul Klee est également présent. C'est la première présentation publique du mouvement à peine né. Le catalogue est signé par Breton et Robert Desnos. C'est donc la première fois que l'art surréaliste a pu être vu par des amateurs et des curieux. S'y impose ces dérives dans les rues de Paris qui ont été une des activités des surréalistes comme on peut déjà le constater dans Les Pas perdus de Breton en 1924. Cette même année, Breton découvre l'oeuvre de Giorgio de Chirico et commence à la faire connaître. Il est exposé à la galerie Paul Guillaume, rue de la Boétie.
Il fait aussi paraître la revue La Révolution surréaliste. On y trouve des textes de Louis Aragon et de Philippe Soupault. La galerie surréaliste est crée en 1926 ; rue Jacques Callot. Entre 1936 et 1937 naît la belle galerie Gradiva dont la porte d'entrée est dessinée par Marcel Duchamp. En somme, la capitale française est devenue, avant la guerre, le centre névralgique de ce courant qui ne tarde pas à essaimer dans le monde, de Prague au Mexique. Il est intéressant de noter que toutes ces galerie ont fait leur apparition rive gauche, alors que les grandes galeries déjà historiques se situent de l'autre côté de la Seine. Man Ray a une exposition personnelle à la galerie surréaliste en 1926.
Après la Libération, la libraire Le Minotaure a tenu aussi un rôle important dans la poursuite de cette aventure. L'essai nous montre aussi que des artistes qui ne sont pas directement liés au surréalisme. en ont tiré profit. Les nombreuses oeuvres reproduites dans ce gros volumes nous réserve de superbes surprises. D'abord un grand nombres de pièces produites par les membres du mouvement sont le plus souvent inconnues et révèlent de petites merveilles. C'est le cas de Jacques Hérold, pour Max Ernst, Yves Tanguy, Victor Brauner, Raoul Ubac, Wifredo Lam à ses débuts et quelques autres. Et puis il y a cette section dédiée aux « formes simples » où l'on trouve Jean Arp, Georges Hugnet, Luigi Veronesi, Cardenas, pour ne citer qu'eux.
Mais le plus surprenant ici est le nombre impressionnant d'autres peu connus et même inconnus. C'est ainsi une belle histoire de l'art qui est offerte aux visiteurs de l'exposition et aux lecteurs de son magnifique catalogue. Qui aurait dit qu'on y aurait trouvé César ou Arman ? Tout un chacun ira de découverte en découverte. C'est donc un événement ç ne manquer sous aucun prétexte. Il dure jusqu'au 30 novembre.




Tjeerd Alkema - volumes et travaux plats, collectif, Méridianes / AL/MA / Bernard Chauveau, 144 p., 30 euro.

Né en 1942 aux Pays-Bas, Tjeerd Alkema a fait ses études à l'Ecole des beaux-arts de La Haye, puis à l'Ecole supérieure de Montpellier entre 1963 et 1967. Il y est devenu professeur par la suite et s'est installé à Nîmes. Il a été pensionnaire de la Villa Médicis à Rome entre 1985 et 1986. A ses débuts, il s'est passionné pour l'espace urbain et ses problématiques. Il a exposé pour la première fois en 1968. Il a été, comme Vincent Bioulès et Jean Azémard, l'un des créateurs de A.B.C. Production. Le groupe a publié son premier texte manifeste en 1970 dans le Midi libre. Il a commencé par produire des oeuvres sculpturales. Ils plaident en faveur d'un art privilégiant l'espace public. Leurs interventions sont sous-tendus par une pensée politique radicale. Ils participent tous aux activités de la Jeune Peinture.
Influencé par l'art minimal américain, il s'est employé dès 1970 à faire des sculptures abstraites. Il s'est aussi consacré à la photographie et a toujours subi l'influence de l'architecture contemporaine. Ses créations pouvaient être disposées au sol ou aux murs. Il est désormais attiré par un mode d'expression de caractère objectif. Sa grammaire plastique ne cesse d'évoluer et il concentre son attention sur la relation à la vision. Cela le fait évoluer vers des installations comme Disque d'or (1980), qui marque un tournant décisif dans sa démarche. Trois ans plus tard, La Voûte couchée prolonge cette inclination.
En 1985, Maison endormie ne fait que donner plus de consistance à ce genre d'installation. Le formalisme apparent trouve sa contrepartie dans le traitement des matériaux et dans le sujet évoqué. De plus en plus, ses oeuvres sont comme des architectures introduites dans un lieu qui en métamorphose la réalité et la fonction. Il en arrive peu à peu à définir un langage très dépouillé et dont le pouvoir de suggestion est puissant. Il est à souligner que son goût pour l'anamorphose l'empêche de verser dans un géométrisme convenu. La rigueur de ses constructions se double d'une grande singularité et parfois d'un accent ludique. La distorsion de la perspective a été sa clef de sol. Et cela a aussi été à l'origine de son univers qui a tablé sur diverses influences qui a su si bien utiliser.
Cet album nous fait découvrir cet homme qui n'a pas eu toute la reconnaissance qu'il aurait mérité. C'est une invitation à en savoir bien plus sur cet artiste original qui a su jouer sur tant de registres et qui a su très bien les condenser dans des ouvrages d'une grande pureté tout en étant d'une relative complexité conceptuelle.




Avec Pierre de Ronsard, Franck Maubert, Mercure de France, 128 p., 15 euro.

Franck Maubert ne fait pas partie de ces auteurs qui massacrent le style et assassinent la subtilité de l'écriture au profit de la mode et de goûts tapageurs. Mais cela ne fait pas de lui un écrivain insipide ou rétrograde. Bien au contraire. Il a su trouver l'équilibre entre un mode de narration concis et poétique et une forme d'originalité qui fait découvrir un esprit d'une subtilité admirable.
Dans le premier chapitre, le narrateur (qui paraît bien être l'auteur) entreprend une sorte de pèlerinage amoureux sur les terres du grand poète dans le Val de Loire. Ce n'est pas un voyage avec une passion sans borne pour Ronsard rivée au corps. C'est plutôt un cheminement où il retrouve toute la beauté des vers du poète dans les étapes de son aventure. Les paysages entrent en résonance avec ces poèmes qu'il nous a laissé en héritage. Au fond, l'idée est de nous convaincre et de sa valeur mais aussi de son actualité bien que des siècles nous séparent de lui. Ses écrits s'inscrivent dans une géographie bien réelle qui fait écho à une géographie mnésique.
Dans le second chapitre, nous nous retrouvons dans une église où un tombeau est surmonté de deux personnages unis dans la mort : Loys de Ronsard et Jeanne Chaudrier. Il s'agit là des parents de l'écrivain. Son père était un homme d'armes, qui s'est illustré dans de nombreuses campagnes. Puis notre guide nous entraîne à la Poissonnière, une gentilhommière caractéristique du XVIe siècle. C'est là où le jeune Pierre a grandi. Ensuite, nous découvrons les jeunes années de Pierre, qui est allé en Ecosse, a traversé l'Angleterre et les Flandres, a été page et puis écuyer attaché à Charles II d'Orléans, le troisième fils de François Ier et puis sert Jacques V Stuart. Mais tout espoir de faire carrière dans l'armée ou même dans la diplomatie a été brisé par une otite qui l'a rendu à moitié sourd.
Il a une éducation très soignée et découvre avec délectation la littérature antique. On envisage pour lui une carrière ecclésiastique, mais ce projet a vite fait long feu. Le narrateur ne fait pas l'éloge de Ronsard (ses amis de la Pléiade l'ont déjà fait en leur temps), mais fait éprouver ce que sa plume imprime dans le coeur et la pensée. Il en fait celui qui, le premier, a su rendre grâce à la nature. C'est un moment aussi précieux que révélateur de la force de cette poésie qui est toujours tout en nuances. Alors, Franc Maubert médite sur sa relation avec Cassandre, dont la grande beauté avait séduit Apollon qui lui a offert le don de la divination. De qui était-il l'héritier ? D'Eschyle, de Virgile, d'Horace ou d'autres grandes figures des lettres grecques ou latines ? Un peu de tous je suppose.
Ce grand lettré n'a jamais été l'émule de ses illustres prédécesseurs. Et dans ce contexte, Cassandre est la première à l'envoûter avant que d'autres s'emparent de son imagination. Il est mort en 1585 au sein du prieuré de Saint-Cosme où il était allé écrire une épopée qui lui avait été commandée par Charles IX et qu'il n'a jamais terminé. Si vous cherchez un livre pour cette rentrée où abonde les livres les plus disparates, je ne saurais trop vous conseiller cet ouvrage qui est une petite merveille.




Le Goût des cathédrales, Brigit Bontour, Mercure de France, 128 p., 9, 50 euro.

L'intérêt pour le Moyen Âge est apparu en Grande-Bretagne dès la fin du XVIIIe siècle. En France, il a fallu attendre la parution en 1831 du colossal roman de Victor Hugo, Notre-Dame-de-Paris pour que naisse non seulement un intérêt passionné pour cette cathédrale, mais aussi le désir de redécouvrir le style médiéval depuis longtemps méprisé et même oublié.
Cette anthologie montre à quel point cet engouement nouveau s'est traduit dans la littérature, Il est vrai que François-René de Chateaubriand avait déjà fait l'apologie dans Le Génie du christianisme de cet ordre gothique qui avait manifesté toute la poétique de la religion catholique. Ce précédent avait été fondamental car l'histoire et la théologie sont connues comme ayant tissé le substrat de la civilisation française. Et n'oublions pas que Hugo avait été monarchiste dans sa jeunesse.
Honoré de Balzac a également eu l'idée d'un roman qui se déroulait à l'époque de Louis XI, Maître Cornélius. Celui-ci a paru également en 1831. Si le rôle de Victor Hugo a été prédominant, on peut comprendre que l'idée était déjà dans l'air. Dès lors, cette longue période méprisée trouve grâce aux yeux de bon nombre d'auteur, de Théophile Gautier à Paul Verlaine, à Gérard de Nerval et même jusqu'à Emile Zola. De grandes oeuvres n'ont fait par la suite que consolider cette aspiration à apprécier ce monde au cours duquel la France s'est forgée.
Marcel Proust et Henry James n'ont pas échappé à cette mode. Paul Valéry n'y a pas échappé non plus. Et bien des fantasmagories se sont alors attachées à ces imposants monuments, comme l'a démontré l'essai de Le Corbusier : Quand les cathédrales étaient blanches. Cette anthologie n'offre, par définition, qu'une mince partie de ce qui a pu avoir lieu à partir du premier tiers du XIXe siècle dans le roman, la poésie et les études sérieuses. Mais c'est une magnifique introduction à ce renouveau qui ne s'est plus démenti.




Le Goût des musées, Serge Chaumier & Isabelle Roussel-Gillet, Mercure de France, 128 p., 9 euro.

La notion de musée, telle que nous la connaissons encore aujourd'hui, est relativement récente. En France, elle commence à voir le jour sous la Révolution et trouve sa forme triomphante avec la création du musée Napoléon sous la direction avisée de Vivant Denon. Les collections royales lui ont fourni son fondement et les guerres en Europe lui ont permis d'enrichir considérablement ce lieu de culture prestigieux ouvert à tous. Mais si l'Empire a pris possession de chefs-d'oeuvre en particulier en Italie, il faut aussi dire qu'il en a sauvé un certain nombre qui n'étaient l'objet d'aucun soin et qui se trouvaient donc dans un état piteux. Un mal pour un bien.
Quoi qu'il en soit, ce modèle s'impose rapidement dans tout le continent. Et la Grande-Bretagne, sous les auspices du prince Albert donne naissance à la National Gallery. Par la suite, on voit se développer des musées dédiés aux grands noms de l'art ou de la littérature, comme le musée Eugène Delacroix ou le musée Victor Hugo, sans oublier le musée Gustave Moreau dont la création a été plus que laborieuse.
Cette petite mais riche anthologie s'intéresse à de nombreux aspects de la question. Ce qui touche à réalité et à la fonction des musées est bien entendu traitée avec des textes d'Emile Zola ou de Paul Valérie. Mais les auteurs ont mis plutôt l'accent sur l'imaginaire qu'ils engendrent et, pour ce faire, ce sont surtout des auteurs du XXe siècle et même contemporains qui sont mis en avant. On ne saurait trop oublier de lire Orhan Pamuk qui, on le sait, a créer à Istanbul, sa ville natale, un musée personnel qui est un petit chef-d'oeuvre où sont présentées ses créations plastiques qu'il a engendrées à partir d'objets trouvés de son passé.
Pour ce qui est du passé, il ne faut pas mettre de côté les lignes des frères Goncourt qui se sont demandés s'il fallait mettre des tableaux et des sculptures de femmes dans ces nobles institutions ! C'est un excellent moyen pour comprendre de quelle manière elles contribuent à la conception d'un rôle fantasmatique dans notre univers.
Gérard-Georges Lemaire
10-10-2024
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