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[Visuel-News]
13-02-2025
La chronique de Pierre Corcos Retraits La chronique de Gérard-Georges Lemaire Chronique d'un bibliomane solitaire
La chronique de Pierre Corcos |
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Retraits |
Ce qui se retire implique une présence qui s'absente. La mer se retire : elle était là, elle s'éloigne ; il se retire dans ses pensées : il semble présent mais il ne l'est plus... Le retrait peut nous inciter à le suivre ou, à tout le moins, à nous interroger sur cet ailleurs qu'il pointe en une ligne de fuite. On repère ainsi, on écoute, dans la musique, des phrases musicales qui peu à peu se retirent, intrigantes. Il est également possible de créer une oeuvre visuelle qui suggère une fuite, un retrait... Deux photographes - les expositions sont dans le même lieu, mais eux restent apparemment éloignés par leur style, thème et technique - suscitent une attraction par les retraits, de différentes natures, qu'ils impulsent. Ce sont, jusqu'au 13 avril à la Fondation HCB, la finlandaise Marjaana Kella et ses « portraits » (L'envers du portrait) et le petit-fils de kabyles, Karime Kal, et ses photographies au flash la nuit (Mons ferratus).
Depuis Nadar, le portrait reste un genre classique dans la photographie. Deux tendances majeures s'y côtoient : l'embellissement, l'idéalisation et un réalisme cru, décapant le vernis social. Des exemples célèbres peuvent alors venir à notre esprit : d'un côté l'élégant portrait de Sarah Bernhardt par Nadar (1855) et de l'autre la « Blind Woman » exécutée par Paul Strand en 1916 (cf. Verso Hebdo du 2-3-2023). Mais il peut aussi y avoir coexistence singulière de ces deux tendances, comme les beaux et terribles portraits qu'Avedon réalisa en 1972 de son père mourant. Mais, dans tous les cas, ce sont de « réelles présences » (cf. l'essai éponyme de l'esthéticien George Steiner) que cherche le photographe... Par sa démarche, Marjaana Kella - qui a fait du portrait son sujet - évide cette présence. Comme l'écrit le commissaire d'exposition, Clément Chéroux, « elle sait que dans le portrait traditionnel, le visage, les yeux, l'expression attirent le regard. (...) En oblitérant cette marque de présence au monde, elle cherche à attirer l'attention sur l'image elle-même ». Comment procède-t-elle concrètement ? Soit les personnages sont photographiés de dos, épaules et tête ; ils ne voient pas la photographe, regardent ailleurs, ils se sont retirés de la pose frontale. Soit ils ferment les yeux, semblent vivre par leur attitude et/ou leur mimique quelque chose à l'intérieur d'eux-mêmes (Marjaana Kella a photographié des sujets en état d'hypnose) qui nous échappe complètement. Les photographies en couleurs sont ici groupées par deux, trois ou cinq (séquences) ou isolées... Le « contact » avec le public, par photo interposée, est rompu. Or le public cherche soit à saisir une personne derrière le personnage (photos de célébrités), soit à ressentir de la sympathie pour un drame visible sur un visage (Diane Arbus), soit à découvrir des affects déterminés par d'autres réalités culturelles (Malick Sidibé). Marjaana Kella (chercheuse et enseignante) n'apporte pas uniquement sa contribution à la démarche de réflexivité critique propre à l'art contemporain. Elle désigne aussi ce retrait toujours possible, fondamental, de l'autre en son for intérieur. Nous laissant face à un vide. Deux grandes photos accompagnent L'envers du portrait : des sièges de théâtre vides et un mur blanc.
En exergue de l'exposition Mons ferratus, cette courte phrase de Karim Kal : «...le reste disparaît dans l'obscurité ». La citation exprime bien, dans ses photographies en couleurs, ce retrait dans la Nuit, l'ombre opaque. Hors d'un visible maîtrisable. Et Clément Chéroux, à nouveau commissaire d'exposition, résume la démarche du photographe : « Kal a développé un style reconnaissable entre tous. Photographiant essentiellement la nuit, à l'aide d'une puissante torche flash, il révèle certains détails et en laisse disparaître d'autres dans l'obscurité ». Précisons tout de suite qu'il ne s'agit pas là de photos de pénombre poétique ou de nuit plus ou moins onirique, telles que par exemple un Brassaï ou le photographe tchèque Josef Sudek (1896-1976) pouvait en faire dans les années 50 (cf. Prague la nuit). Car, et c'est essentiel, ici le flash éclaire très vivement un premier plan qui n'a pas d'intérêt particulier (sauf à nous rappeler parfois que nous sommes en Haute Kabylie : un panneau indicateur le signale par des noms de villes). Du coup le premier plan (ce peut être un chantier, un terrain vague, juste un tronc), blafard et presque surexposé par le flash, rend par contraste l'arrière-plan intensément noir, opaque, inquiétant. Ce dispositif est systématiquement répété, jusqu'à de la photographie de studio, comme dans la série « Gravats » (des gravats ramassés sur un chantier à Tizi Ouzou puis photographiés en studio à Saint-Étienne). Le retrait dans la nuit peut être interprété comme une fuite hors de cet espace éclairé rendant possibles le contrôle, la maîtrise, les pouvoirs. Clément Chéroux rappelle que la Kabylie, territoire de montagnes au nord de l'Algérie, « est le symbole d'une certaine forme de résistance à l'impérialisme, à la colonisation, aux dominations ». De son côté, Karim Kal déclare que ce recours technique lui permet de produire ce qu'il envisage comme une espèce de retrait (sic) de la trop grande quantité d'informations des images... Nous retiendrons simplement ceci : il y a bien une présence, là... Mais vers un espace de périls, de liberté, d'inconnu elle s'est retirée.
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