« Xiang » renvoie à l’expression chinoise « xia xiang » qui signifie «aller à la campagne ». Pour les personnes nées après 1980, cette formule n’évoque rien d’autre qu’un week-end champêtre. Pour les autres, il sonne comme une disgrâce. Parmi les artistes chinois « dans la turbulence des mutations » exposés à la Fondation Louis Vuitton, il en est qui doivent avoir nécessairement en mémoire leur propre éloignement dans les campagnes, à l’heure où, lycéens ou étudiants citadins, ET gardes rouges, Mao les envoya goûter la rudesse de la vie des champs, en guise de rééducation politique. Si l’artiste Liu Xiao Dong, né en 1963 dans la Province du Liaoning, a pu vivre l’expérience du limogeage, il est fort probable que les artistes plus jeunes, Qiu Zhijie (1969), Yang Fudong né en 1971), Hu Xiangqian et Tao Huiqui (nés après 1980), aient eu des parents garde rouge forcés d’aller « à la campagne ». Un traumatisme. Michel Bonnin qui a écrit « Génération perdue : le mouvement d’envoi des jeunes instruits à la campagne en Chine» [1] trouve à cette expérience un bilan assez négatif sur les plans social et économique. Le comble sur le plan politique c’est, selon lui «qu’en prétendant former des révolutionnaires, Mao a fabriqué des sceptiques. » Les artistes contemporains exposés à la Fondation Louis Vuitton en feraient-ils partie ?
Pardonnez-moi ce long rappel du passé récent de la Chine, mais il me paraît nécessaire pour comprendre le ressort et les enjeux de l’exposition « Bentu ». Pourquoi cet intérêt de la part d’artistes internationaux pour le régional, le local ?
Bentu, ce sont les racines, le retour aux origines, un terme qui a pu être perçu comme profondément ringardisé il y a une vingtaine d’années, avec même une connotation chauviniste, voire même de nationalisme culturel, mais qui connaît un renouveau particulier en Chine, et pas seulement dans le champ de l’art contemporain. Cette expression est en effet au centre des réflexions des critiques et des chercheurs qui revendiquent une hétérogénéité culturelle, à l’inverse d’une culture imposée à partir d’un centre, et tendent à abolir la distance entre centre et périphérie. Il n’y a pas UNE Chine, mais plusieurs Chine, en fait, une complexité de milieux. La Chine est un ensemble de Provinces, avec quelques régions dites « autonomes » comme le Tibet et le Guangxi. L’artiste Qiu Zhijie se dit lui-même « Fujian ren » (natif de la Province du Fujian), avant de se dire chinois, et artiste international. Il est, comme la plupart des artistes exposés à la Fondation Vuitton, dans une situation « glocale ».
Bentu, ce serait la réinvention de traditions proprement régionales, par des diasporas artistiques. Une mouvance bien à l’opposé du réalisme cynique qui avait prévalu à partir des années 90. Mais Bentu met aussi en exergue deux catégories d’artistes chinois, ceux qui restent et ceux qui partent. Les locaux et les globaux.(...)
[1] 2004, Génération perdue : le mouvement d'envoi des jeunes instruits à la campagne en chine, 1968-1980 Paris: Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, 2004. |