La tradition, un concept « exploité » ?
Comme toujours en Chine lorsqu’il y a engouement, celui-ci est de grande ampleur. Et je constate que le goût nouveau pour la « campagne » et les « traditions » ne concerne pas que les intellectuels -- comme l’architecte Wang Shu [2], devenu la coqueluche des occidentaux, qui s’inspire d’un retour aux sources – il s’étend aussi aux professionnels du tourisme. J’aurais dû commencer par là. Les terres qui jadis étaient reléguées à la périphérie du territoire chinois, difficiles d’accès et pauvres en industries et en ressources, ces terres donc, se trouvent être peuplées de nombreuses ethnies minoritaires, et, fait nouveau, leur paysage est « classé au patrimoine mondial de l’Unesco ». (cf la capture d’écran de la vidéo Character & 7 Materials de Tao Hui qui met en scène, des jeunes filles coiffées de bonnets des minorités ethniques). Par conséquent, pauvres qu’elles étaient, les voici maintenant riches d’un potentiel touristique : riches d’un folklore très prisé depuis une vingtaine d’années par les touristes chinois et appréciés des occidentaux pour leurs paysage, architecture et « authenticité ». Le local, pour un monde global.
Dans les années 90 en Chine il y a eu une vaste campagne auprès des intellectuels, dans les universités visant à inculquer aux étudiants la « fierté chinoise », sorte de mouvement de « sinitude » que l’on pourrait comparer, de très loin, à celui de la « négritude ». Il s’agissait d’exalter une conscience culturelle « nationaliste » , de prôner la grandeur de la civilisation chinoise et de revendiquer une identité forte. En mettant en avant les inventions de l’empire du milieu, comme par exemple la porcelaine. Mais certains ne sont pas dupes. Pour Qiu Zhijie, qui expose une vaste fresque, From Huaxia to China, le rôle de l’artiste consiste à révéler des prises de conscience, des doutes. Invité à s’exprimer à la Fondation par Philip Tinari, co-commissaire de l’exposition Bentu, l’artiste a énoncé sa conception de « l’exploitation » de la tradition, exploitation qu’il condamne et qu’il définit comme suit : c’est un usage de la tradition qui se contente d’en exploiter l’apparence, les stéréotypes, sans chercher, ni à les comprendre, ni à les déconstruire ou à les approfondir, et non plus à les faire évoluer. Sa critique visait-elle un type d’œuvre en particulier ? Immédiatement, j’ai pensé à l’œuvre de Xu Zhen, New, visible dans la Fondation. Représentant la déesse Guanyin bariolée des couleurs de l’arc en ciel, il s’agit d’une œuvre qui exploite la tradition de façon un peu trop littérale, un symbole détourné dans lequel perce une réminiscence du style « political pop ». Du local globalisé, en quelque sorte.(...)
[2] Wang Shu, architecture expérimentale et écologique
http://www.citechaillot.fr/fr/auditorium/colloques_conferences_et_debats/ les_entretiens_de_chaillot/24679-wang_shu.html. |