Qiu Zhijie semble vouloir se démarquer de cette « pratique ». Avec From Huaxia to China  il présente une « cartographie » de ce mouvement du local vers le global, avec ces chemins de traverse, ses fleuves et ses affluents influents irriguant montagnes et vallées. Empruntant les outils -- encre, pinceau, les codes -- calligraphie, et le motif principal de la peinture traditionnelle, le paysage, Qiu Zhijie les met ici au service d’une pensée critique. Il vise à disséquer les courants d’idées et idéologies qui ont traversé le pays, de la Chine ancienne « Huaxia » à la Chine actuelle « China ». Le paysage qu’il compose enregistre les mutations qui ont transformé la Chine ces dernières années, sur le plan culturel, économique, politique et spirituel.

Il se trouve que la problématique de « l’exploitation » de la tradition -- il faudrait dire, « des traditions », puisque la Chine est plurielle -- est mienne depuis que l’Unesco a classé au « Patrimoine mondial» le paysage des rizières en terrasses cultivées par les minorités ethniques du sud de la Chine. Seront-elles bientôt subventionnées pour maintenir un lieu touristique ? Le marketing touristique fait de ce label un argument de poids pour réhabiliter certains villages de la vallée du Fleuve rouge de façon à les inscrire sur les circuits touristiques, pendant que d’autres sont en train de connaître une pollution inquiétante. Pour satisfaire à la fois les intérêts locaux et les enjeux à l’échelle d’un monde globalisé, peut-être faudra-t-il à la Chine ouvrir une autre voie, en se souvenant de cette citation de Clifford Geertz : « Une société établie est le produit final d'une si longue histoire d'adaptation à son environnement qu'elle a fait de cet environnement, en quelque sorte, une dimension d'elle-même »

Bien inspiré également par la tradition Yang Fudong, avec son installation vidéo Blue Kylin - A Journal of Shandong, lorsqu’il restitue le temps long et court d’une métamorphose : comment la pierre, à partir de blocs dont il suit l’extraction dans les carrières devient évanescente. Sous la forme de nuages  sculptés à la meule, on peut reconnaître les volutes élégantes d’un des motifs traditionnels de l’architecture et des arts décoratifs chinois. Les portraits des tailleurs de pierre, filmés en 3mn38, en plan fixe sous une petite brise, nous ramènent à la fragilité de la condition humaine.

Un paradoxe ce « retour à la campagne » des intellectuels, quand on sait que parallèlement 200 millions de personnes quittent la campagne pour aller trouver un avenir meilleur en ville, les fameux « mingong », ruraux qui échouent dans les bidonvilles péri-urbains qui poussent au rythme des chantiers de construction des métropoles. Que nous disent les artistes de ces phénomènes ? Si ces phénomènes ont été assez bien restitués au cinéma --notamment par Jia Zhangke dans Still Life en 2007, où il évoque l’exode engendré par la construction du barrage des trois Gorges – les artistes de Bentu passent sous silence ce fait de société.(...)