Comment visiter Ink Kingdom, sombre galerie de portraits installée par Truc-Anh à la Galerie Sator à Paris, sans penser aux âmes errantes des millions de victimes du Vietnam, pays où l’artiste a choisi de s’installer il y a 5 ans. Comment, en voyant ces visages torturés, déformés, grimaçants, ne pas se souvenir que ce pays fût le théâtre de guerres et celui, il n’y a pas si longtemps, de l’établissement du Goulag vietnamien, véritables camps de torture et de mort lente ?
Pourtant, le discours de Truc-Anh, jeune artiste trentenaire, ne dit rien de tout cela. De formation essentiellement européenne (La Cambe en Belgique, ECAL à Lausanne), il explique son installation à Ho Chi Minh Ville par un retour aux origines, loin du monde de l’art. Son propos reste centré sur une peur de fantômes profondément ancrée depuis l’enfance, mais le mystère reste entier, il n’en dévoilera pas la cause. Néanmoins, en filigrane, un questionnement sur l’humain se fait jour dans son travail. A la Galerie Sator, où il expose jusqu’au 4 juillet, je suis saisie d’emblée par la souffrance présente dans chaque visage, et presque mal à l’aise. C’est le titre de l’ouvrage de Didi Huberman, qui me vient à l’esprit devant les portraits de Truc-Anh « Ce que nous voyons, ce qui nous regarde ». Non content de nous rendre captif par la force de ses encres, Truc-Anh nous a offert une performance, « La Rivière », le jeudi 4 juin, installant son auditoire, parfaitement immobile, dans une écoute attentive pour quarante longues minutes. Sa performance est un récit échevelé, haletant, décousu, à mi-chemin entre le stand-up et le théâtre. Là, l’artiste, manifestement habité, incarne tour à tour plusieurs personnages, comme s’il donnait chair à sa galerie de portraits graphiques, se délivrant peu à peu de ses fantômes.
Entretien avec l’artiste
Si vous étiez invité à la Biennale de Venise, quel pays pourriez-vous représenter ?
L'identité est une entité mouvante, résultant d'un croisement de flux : éducation du pays où j’ai grandi (la France), de parents (les miens sont nés au Vietnam) - éducation artistique (Belgique et Suisse)… Et je vis et travaille aujourd’hui au Vietnam, donc pourquoi pas…La Yougoslavie ?
Mais vous n'êtes pas arrivé à Ho Chi Minh Ville, au Vietnam, par hasard ?
Non, il y avait un questionnement sur mes racines. Quand j'ai commencé la peinture, j'avais envie de commencer par le début : la peinture, le dessin – LE medium élémentaire des arts visuels - même si je suis passé par la vidéo, la photographie, la sculpture et la performance auparavant.
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