Vos études d'art à Lausanne étaient plutôt tournées vers l’abstraction. Dans votre travail vous revenez souvent au portrait, au figuratif, au corps.
Les corps de « Ink Kingdom » emprisonnent des vides, et, bien souvent, il n'y a pas de limites entre la figure et le fond, pour mettre en relation la matière et l'immatériel, le corps et l'esprit.
Parlons de la performance que vous avez faite à la Galerie Sator, non seulement destinée à nous questionner, mais à nous donner à voir, à travers une technique narrative les obsessions qui semblent vous traverser.
Je suis issu des arts vivants - je voulais être danseur - jongleur, j’appartenais à une petite compagnie. Finalement j'ai opté pour les arts plastiques, plus à même de m'amener vers l'espace infini. Déjà dans la vidéo Sadako l’insulaire, j’incarne un personnage, façon pour moi de concilier arts vivants et arts plastiques. A Ho Chi Minh Ville, j'ai découvert l'improvisation théâtrale et je fais partie d'une troupe amateur. La performance à la Galerie Sator était complètement improvisée, avec plusieurs niveaux de narration juxtaposés, et non linéaires, tout comme l'accrochage. Il donne à voir une simultanéité des événements : on regarde un portrait, et en même temps, on est regardé par d'autres portraits.
Tout comme l’est votre installation, votre performance était parfois étouffante. Je me suis sentie comme prise en otage et j’ai pensé que cette pesanteur faisait partie du dispositif. Les distorsions de votre voix, gutturale par moments, m’ont fait me demander – nous avions les yeux fermés à moment donné - s'il n'y avait pas quelqu’un d'autre dans l'espace de la galerie. Vous êtes habité par des présences incroyables, les fantômes de l'enfance ?
J'avais peur de ces fantômes sans jamais les avoir vus. Peur de ce qu'ils pourraient révéler de la vie, de la mort. Dès l'âge de 10 ans je dessinais des monstres partout, tout le temps. Questionner des représentations pour moi c'est questionner la croyance. Figurer pour donner à croire. C'est une recherche vers la source, un questionnement sur moi-même, sans chercher pour autant à reprendre des codes.
Sans être dans la répétition, je note pourtant une filiation entre les encres de Victor Hugo et les vôtres. Par la technique que vous utilisez - l'encre - et le genre - le portrait, on va forcément vous comparer à des artistes qui sont des références en la matière.
Aujourd'hui je vais faire des portraits de manière différente, j'ai envie de le faire, j'ai la naïveté ou l'inconscience de croire que je peux apporter un regard différent. Quand j'étais dans les écoles d'art, c'était le truc à éviter : la peinture à l'huile, le portrait, le pathos, les émotions, il fallait être abstrait, géométrique. J'ai grandi dans cette opposition, c'était diamétralement opposé à ce que je tentais de faire.
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