Les Vies d’Alfons Mucha, Patrizia Runfola, traduit de l’italien par Jean-François Bory, avant-propos de Claudio Magris, Editions Exils, 200 p., 20 €.
Christian Parisot : Peut-être qu’avant d’évoquer ce livre récemment sorti de presse, pourriez-vous nous dire en quelques mots sur Patrizia Runfola…
Gérard-Georges Lemaire : Elle est née à Palerme en 1951, mais a passé le plus clair de son enfance à Milan où son père était avocat d’affaires. Nous nous sommes connus lorsque je me suis rendu à la maison d’édition SugarCo, qui m’avait demandé d’écrire un livre sur William S. Burroughs. Elle enseignait le matin au lycée artistique et, l’après-midi, elle s’occupait de la presse pour cette maison. Cela s’est passé à la fin des années soixante-dix. Nous nous sommes mariés à la Villa reale en 1984.
Elle est devenue l’attachée de presse de la galerie Marconi, puis de l’éditeur Jacques Damase en Italie, toujours en poursuivant son enseignement. Un concours lui a permis d’entrer à l’Accademia di Belle Arti d’abord à Catane, puis à Turin et enfin à Milan, où elle a été professeur de l’histoire du décor de théâtre. Elle a aussi commencé à écrire dans différents périodiques, mais pas d’art (car je me partageais déjà entre l’art et la littérature), mais surtout sur le design. Sa carrière au supplément dominical du Sole 24 Ore a d’ailleurs été bien plus longue que la mienne ! Passionnée de littérature, elle s’est prise de passion pour l’œuvre de Franz Kafka. Elle a décidé de se rendre seule à Prague car à l’époque, je commençais à travailler pour les Affaires étrangères, et j’allais souvent à Istanbul, au Caire et à Alexandrie. Elle a eu à son retour l’envie d’écrire un livre sur la culture pragoise, qui a paru un peu plus tard sous le titre de Prague au temps de Kafka, d’abord en Italie, puis en France et en enfin en Espagne. Les hasards facétieux de l’existence ont voulu que j’aille travailler pour l’Institut culturel français de la capitale tchécoslovaque. Nous nous sommes donc rendus souvent ensemble dans cette ville envoûtante. Elle m’a fait connaître Jìrì Mucha, le fils du grand artiste, qui était écrivain et qui vivait dans le palais (de style vénitien) situé juste en face de l’entrée du château, désormais résidence du président de la République. Mucha n’y a jamais vraiment vécu. C’était un cadeau de l’archevêché de la cité. Dans cet endroit merveilleux, cohabitaient les innombrables souvenirs de l’artiste national, les sculptures de Rodin et les pièces de la collection d’art africain et océanien de son fils -, ce qui constituait un étrange mélange de genres ! Quoi qu’il en soit, c’est la fréquentation de ce lieu et de ce homme singulier et paradoxal que lui est venue l’idée d’écrire un livre sur Mucha. Et elle l’a fait en partie en dialoguant avec Jìrì Mucha. Plus tard, dans le plus grand secret, elle a commencé à écrire des pièces de fiction et puis un ensemble, qu’on ne peut pas appeler un roman, mais qui en a la dimension et également le « poids», si j’ose dire. C’étaient ses magnifiques Leçons de ténèbres, qui n’a pu paraître hélas qu’après sa disparition, grâce à un long article nécrologique que Claudio Magris avait fait paraître dans le Corriere della Sera. Un éditeur de la Suisse italienne (à Bellinzona) a aussitôt voulu le prendre sur le champ, avec les propos de l’auteur de Microcosmes en guise de préface. Ce livre a paru en France, puis à Barcelone. Puis elle a écrit un bel essai sur Hugo von Hofmannsthal, qui n’a pas encore vu le jour. Et puis, il y a de nombreuses nouvelles, dont certaines ont paru dans des revues. Sa disparition précoce nous a privé d’un auteur d’une rare valeur. |