L’exposition de Gilles Ghez qui a eu lieu à la
Collégiale Saint-Pierre-le-Puellier du
8 février au 9 mars constitue une superbe
récapitulation de sa création récente.
Voici en quels termes j’ai présenté cet
ensemble d’oeuvre pendant l’inauguration
:
Vous qui franchissez ce seuil, renoncez à tout ce que vous savez
sur l’art moderne. Vous vous retrouvez maintenant dans un univers
qui n’est plus celui de la peinture. La peinture, Gilles Ghez l’a
mise en boîte, au propre et même au figuré. Il l’a
transposée et réinventée dans un espace qui lui était
interdit – celui d’une tierce dimension. Mais loin de lui la
tentation de tabler sur la sculpture. Non. Il avait une autre idée
derrière la tête : faire du tableau un tableau vivant – ou,
plus exactement, un tableau vivant traité comme une nature morte – mais
une nature morte qui aurait une autre vie… Quoi qu’il en soit,
il institue une nouvelle peinture d’histoire, avec une nouvelle conception,
un esprit nouveau et de nouvelles perspectives. Inutile de vouloir situer à n’importe
quel prix Gilles Ghez dans le temps de la création moderne. Moderne,
il l’est, par son audace, son originalité absolue et, plus
encore, par sa volonté intraitable de ne pas s’identifier à un
quelconque groupe, mouvement ou courant artistique. Tout grand créateur
est un électron libre. Or Gilles Ghez est un électron libre,
dans sa manifestation la plus insolente. L’oeuvre d’art est
d’abord pour lui une invitation au voyage. Que de marines sur ces
murs ! Des jonques, des paquebots, des liners, des vapeurs, toutes sortes
de navires appartenant à une époque révolue – celle
de Paul Morand, de Rudyard Kipling ou encore de Joseph Conrad. S’il
nous fait voyager dans le temps et à travers l’espace, il
provoque ce dépaysement par le biais d’emprunts de mille et
un genres : la littérature, nous l’avons compris, mais aussi
le cinématographe, les bandes dessinées, les revues, les
photographies anciennes, les panoramas et les jeux de l’enfance.
Il ne procède pas par citations ou collages, mais en suscitant allusions
par rafales et d’extravagants exercices mnésiques. En sorte
que nous sommes conviés à un grand festin de la mémoire.
De la mémoire oublieuse. De la mémoire capricieuse.
De la mémoire joueuse. De cette mémoire qui est la matière
première des rêves. Dans cette exposition, vous aurez la surprise
de voir le héros de toutes ces aventures qui se déroulent
le plus souvent en Chine et aux Indes de l’ère edwardienne,
ou sous d’autres cieux saturés d’exotisme et de mystère
(bien que l’on soit en règle générale sur le
point d’embarquer), l’impénétrable Lord Dartwood – à l’élégance
si raffinée et à l’esprit si ambigu – s’allonger
avec délectation sur le divan d’un psychanalyste. Mieux encore
: d’une psychanalyste. Se soumet il au rite que suppose ce dialogue
de sourd ? Loin s’en faut. Ce qui est certain, c’est que notre énigmatique
agent secret voit ses rêves se concrétiser dans le cabinet
de la praticienne sous les formes les plus baroques, entrant même
en lévitation tandis qu’une fantasmagorie subtropicale s’installe
sans vergogne entre les quatre murs de ce petit théâtre de
l’inconscient et, à leur tour, sont soumis à d’étranges
métamorphoses. Chaque oeuvre est le fragment d’un rêve.
Le rêve est le fragment d’un récit. Chaque récit
appartient au grand romanfeuilleton que Gilles Ghez a pensé et exécuté dans
ses propres termes, avec une pointe aiguë d’humour et une haute
dose d’ironie, tout au long de sa vie de créateur. D’un
créateur hors pair, d’un dandy, d’un esthète,
qui figure parmi les meilleurs et les plus singuliers que notre culture
a pu engendrer récemment. Car les rêves dont il nous régale
sont des rêves qui se partagent avec délectation dans ce rapport
amoureux que l’art autorise, quand art il y a. |