La question n'est plus : quels artistes populaires ont leur biopic ? Mais lequel ne l'a pas encore ?... Ce genre cinématographique (contraction de « biographical motion picture), biographie arrangée de figures suffisamment médiatisées - et donc déjà mythifiées - pour être connues du plus grand nombre est, sur fond d'inventivité scénarique en berne, produit en série. En effet, à quelques flops près, c'est une valeur commerciale sûre pour les producteurs ! D'abord le grand public connaît déjà le personnage central, ensuite il incline davantage à se plonger dans la biographie des artistes qu'à scruter leurs oeuvres, enfin il se délecte aux légendes dorées et/ou tragiques des stars (succès des magazines « people »). Et ceux qui connaissent bien l'artiste en question, outrepassant leur répulsion à en découvrir une pâle copie ou la trahison infâme, éprouvent quand même le plaisir d'être mis à nouveau en contact avec ses oeuvres et cette fois au cinéma... Bref, toute « valeur sûre » n'encourageant guère la créativité ou l'audace, ce genre s'est tellement formalisé, voire formaté en séquences convenues, obligées, attendues qu'une I.A. aujourd'hui serait tout à fait en mesure de produire des biopics en pagaïe... Cependant, une fois admises la médiocre valeur des biopics et leur utilisation idéologique, mystifiante, certaines réalisations peuvent garder quelque intérêt.
Aussi décharnée que ses lèvres sont boursouflées, l'actrice américaine Angelina Jolie a été choisie dans le film Maria par le cinéaste chilien Pablo Larrain (deux biopics précédents, sur Jackie Kennedy et Lady Di) pour incarner la Callas. Dans le cadre glacé d'une pub luxueuse pour parfum de prestige, enveloppée d'emphatiques mouvements de caméra, en butte aux intolérables cruautés de la gloire, l'actrice y déploie sans cesse l'attitude empesée de la « grande dame »... Or, l'une des figures obligées des biopics consistant, à la fin du film, à nous confronter aux images d'archives du personnage réel, on s'aperçoit vite que Maria Callas semblait bien plus fraîche, drôle et vivante en fait que, dans cette fiction quelque peu grandiloquente, son effigie ! Et il vaut mieux ne pas s'attarder sur la faible crédibilité d'autres comédiens dans des personnages secondaires (le président Kennedy par exemple). Mais l'on rétorquera : qu'importe la réalité dans le biopic, car c'est la légende qui importe, la Fable que le réalisateur a choisi de sublimer ! Soit. Ici c'est l'histoire pathétique d'une gloire de la scène lyrique désormais seule, déchue et désespérée. C'est un chant du cygne, mais un cygne qui ne peut plus chanter... Sa voix l'a abandonnée, tout comme Onassis qui l'a quittée pour Jackie Kennedy (on caresse la mythologie des magazines « people »). Et la diva se meurt dans son appartement parisien somptueux. Le biopic fonctionne mélancoliquement sur une série de flash-back (l'enfance, avec le souvenir traumatique attendu, la reconnaissance internationale, l'Olympe de la gloire, la rencontre avec l'armateur grec millionnaire, etc.), une confusion imagière étant entretenue avec la réalité (vraies/fausses images d'archives ou séquences intimistes en super 8), alors qu'on était supposé pour la Fable s'en affranchir... Outre les superbes morceaux d'opéra qui nous sont offerts à l'écoute, on retiendra certains dialogues brillants, incisifs, et quelques trouvailles comme la présence émouvante de ce couple de fidèles serviteurs. Mais au final, ce biopic entretient plus la romance qu'il crée l'élégie.
Le biopic de James Mangold Un parfait inconnu raconte l'ascension, de 1961 à 1965, de Robert Zimmerman, alias Bob Dylan (84 ans le 24 mai prochain), icône de la musique folk puis rock, idole contestataire dans les années 60, poète reconnu par un Prix Nobel de littérature en 2016. Une partie de la presse a applaudi la vraisemblance de l'interprétation de Timothée Chalamet en Bob Dylan mélancolique et buté (tout comme elle s'est emballée pour la ressemblance d'Angelina Jolie avec la Callas...), comme quoi le biopic, pareil à certaines peintures réalistes, reste - quoiqu'il s'en défende quand ça l'arrange - apprécié pour son savoir-faire mimétique. En fait le biopic oscille continuellement entre la reconstitution la plus véridique possible (mais alors ne vaudrait-il pas mieux un bon documentaire, un film d'archives ?) et l'affabulation (ou la « fabulation ») mystifiante. Du point de vue « réaliste », le film de James Mangold, déjà aguerri par son biopic Walk the line sur Johnny Cash, aligne un certain nombre d'atouts... Par exemple la reconstitution de l'époque, grâce à d'innombrables détails, est à l'évidence réussie. Des éléments que d'autres biopics lénifiants évacuent sont ici bien présents : le contexte politique et son rôle, les pressions permanentes de l'industrie du disque, les rivalités entre chapelles musicales (musique folk contre rock électrique), l'aliénation générée immédiatement par la célébrité, la dure réalité du travail de création (significativement absent de nombreux biopics), les vacheries entre artistes (ici l'ironie de Bob Dylan à l'égard de Joan Baez) ou l'obsession de la reconnaissance des pairs, peut-être supérieure à celle du public. De surcroît, le film aborde ce conflit entre le poète (refus, exigences, indépendance) et l'idole (logiques du star-system). Last but not least, il nous montre bien les influences revendiquées par Bob Dylan... Très honnête biopic donc avec, pour les fans, l'écoute des grands succès de Dylan en prime de séduction.
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