Un visage, en noir et blanc, si pur sous des cheveux parfaitement lisses. Un regard qui ne lâche pas le visiteur, et le cerne, et linterroge de ses yeux bridés. Ces clichés en noir et blancs signés Jean-Baptiste Huyn frappent par la sérénité qui se dégage sous la rigueur. A côté de chaque visage, une fleur suspendue dans quelque nulle part, des gestes de mains à la grâce étrangère, des petits paquets en feuilles de bananier au parfum dailleurs. Cest ça, le
voyage ? Mais oui, cest aussi ça, assure Claude Geiss.
Depuis quatre ans que ce barbu pince sans rire investit lancien grenier à sel de Honfleur, il a su fourbir ses armes et défendre, à travers le festival de photos " Chroniques nomades ", une certaine idée du voyage. Pourquoi la photo ? " Parce que cest un moyen fabuleux de capturer des morceaux de réalité ", selon cet ancien graphiste, photographe lui-même à ses heures, responsable dune collection de livres sur la photo dans une vie antérieure. Sous la prodigieuse charpente en forme de coque de bateau renversée, la dizaine de photographes professionnels exposés présentent leur invitation au voyage. Loin de lexotisme, tout près de lhumain. " Aujourdhui, il est si facile de prendre un billet davion et de joindre le bout du monde, observe Claude Geiss. Pas un site de notre planète na été répertorié, montré, publié au point quon a tout vu avant même de sy rendre. La véritable aventure désormais, ce nest plus la découverte dun pays, cest la rencontre avec lAutre. Celui quon ne connaît pas ". LAutre avec un grand A. Pas " des gens " à observer à travers la vitre dun car comme à travers la grille dun zoo, mais des histoires à accueillir. Des chroniques surgies au gré des nomadismes. Lactualité fugace du photo-reportage est délaissée au profit de toutes les formes dexpression photographiques : du baroque fulgurant de couleurs face à du noir et blanc austère, des travaux à la chambre, cotoyant des images faites au panoramique, à lappareil jetable aussi
Pourvu quon ait livresse. " Ce qui mintéresse, cest la narration, précise Geiss. Quun photographe me raconte des histoires à travers ses images, de façon presque littéraire ". Ainsi ces Maliens de toutes ethnies, dont Eric Condominas a tiré des portraits, visages muets et si parlants pourtant, récit émouvant dune " ethnographie ordinaire ". Pari réussi, à croire les graffitis sur le livre dor tracés par quelques-uns des 5000 visiteurs accourus quotidiennement devant ces clichés : " Magnifique
On a limpression davoir rencontré ces gens
", ou encore : " Quel merveilleux voyage on vient de faire, dans ces splendides paysages de visages humains ".
Toute rencontre exige du temps et la photographie, de largent. Les débats et autres table-rondes qui animent le festival, évoquant, par exemple, les difficultés de réalisation dun reportage, en témoignent. Une bourse de 40 000 francs (*) est donc remise chaque année à un jeune photographe. De quoi lui donner les moyens de concrétiser un projet qui, une fois achevé, sera exposé à lédition suivante de " Chroniques nomades ". Claude Geiss sintéresse dabord aux jeunes et aux méconnus, ignore le star-system - même si, pour lédition 2000, on na pas échappé à lincontournable Salgado. Ce quil aime, ce sont les travaux de longue haleine. " Parce quaprès avoir passé plusieurs mois sur un sujet, cest leur histoire personnelles que les photographes finissent par raconter". Ainsi Jean-Baptise Huyn, encore lui, qui fait passer dans ces portraits sa découverte du Vietnam, patrie de son père. Jusquà ses trente ans, ce pays-là nétait quune forme sur une mappemonde. Surprise, à son premier voyage, croyant sinitier à un monde étranger, il retrouve des sensations familières : un grain de peau, des gestes, des regards, et use de ces détails comme de fils pour tisser une part didentité.
" A travers lautre, cest de la recherche de ses racines dont il parle", rappelle Geiss. Rappelez-vous, la fleur, les feuilles de bananiers, les gestes des mains
images de ces petits rien un parfum, un bruit, une couleur qui provoquent chez le voyageur la réminiscence dautres univers quil croyait étrangers. Preuve que le voyage est bien plus quun déplacement. Loccasion de remettre en cause ses certitudes, de faire vaciller ses valeurs en les frottant au monde.
(*) En partenariat avec lAfaa et la région Basse-Normandie
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