Le Tournant,
histoire d’une vie,
Klaus Mann,
préface de Jean-Michel Palmier, tr Nicole Roche et Henri Roche,
Babel |
Le Tournant de Klaus Mann est un ouvrage
exceptionnel. C’est un vademecum
unique pour comprendre les années
qui ont précédé la
Seconde guerre mondiale. Courageux et même
téméraire, Klaus Mann se
révèle un opposant de la
première heure au nazisme. Avec
sa soeur Erika, il compose des pièces
de théâtre de caractère
politique dans le pur esprit des cabarets
allemands de l’époque. S’il
doit s’exiler, il continue son combat
dans toute l’Europe. Il crée
une revue antifasciste et l’un des
principaux organisateurs du Congrès
international pour la défense de
la culture. On le retrouve ensuite en Espagne
dans le camp républicain. Et c’est
sous l’uniforme américain
qu’il contribue à la chute
du IIIe Reich. En outre, sa personnalité est
riche en paradoxes : homosexuel, toujours
hanté par la présence de
sa soeur avec laquelle il entretient des
relations troubles, il se drogue et mène
une vie de dandy reposant par essence sur
les apparences. Sa vie n’a peut-être été que
le désir de se mesurer à ce
pater familias écrasant, autoritaire,
mais aussi montrant de nombreuses faiblesses
et faisant preuve d’un aveuglement
politique stupéfiant. C’est
donc une existence menée tambour
battant, avec passion, mais aussi avec
désespoir. Et, étant à peine
entré dans la quarantaine, il se
suicide à Cannes en 1949. La paix
n’était pas faite pour lui.
Le Tournant est un ouvrage qui devrait
prendre place dans la bibliothèque
de tous les honnêtes hommes. |
Dossier K.,
Imre Kertèsz, tr N. Zaremba-Huzsvai & C. Zaremba, Actes Sud |
Les entretiens d’Imre Kertész avec son ami (et éditeur
!) Zoltàn Hafner sont franchement déconcertants. L’expression
est même faible. Sans doute est-ce parce que l’essentiel
de son oeuvre (qui ne commence à voir le jour qu’à partir
de 1961) traite de son expérience dans les camps de concentration
et dans les camps de la mort. Kertesz s’est appuyé sur ces
mois d’horreurs pour tenter de recoudre une autobiographie et pour
tenter de relater, de manière métaphorique, le mécanisme
de ces charmants séjours germaniques. Et, par-dessus tout ça,
il y a l’affaire du communisme, qui a introduit d’autres
effrois et d’autres absurdités. L’auteur d’Etre
sans destin ne cesse de vouloir esquiver les questions de son interlocuteur,
d’entraîner le lecteur dans des circonvolutions alambiquées,
dans l’espoir de faire comprendre que la réalité qui
a fait de lui l’écrivain qu’il est devenu est moins
puissante que l’imaginaire qui l’en a sauvé (c’est
d’ailleurs le sujet de ce grand roman, qui a des affinités
avec La vita è bella de Begnini). Ses propos sont aussi exaspérants
qu’éclairants. Mais on est frappé, du début
jusqu’à la fin par sa terrible malice, qui n’épargne
rien et qui n’a que faire des bons sentiments.
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Junky,
William S. Burroughs, préface d’Allen Ginsberg, tr C. Cullaz & R.
Major, édition revue par Ph. Mikriammos, Folio |
Philippe Mikriammos vient de publier une nouvelle édition revue
et surtout augmentée de Junky de William S. Burroughs. C’est
une excellente nouvelle. Ce fut le premier ouvrage publié de l’auteur
du Festin nu. Il y brossait le portrait de son double en littérature
William Lee. Si ce récit possède un caractère autobiographique
indéniable, c’est aussi la description froide et méthodique
de la dépendance à la drogue et de ses conséquences.
Publié à l’origine dans un complet malentendu, il
connut des ventes remarquables ! Aujourd’hui, on y trouve la matrice
des grands thèmes de l’univers de Burroughs dont le principal
axiome est l’algèbre du besoin. En 1976, Ginsberg a écrit
une préface où il raconte l’histoire pour le moins étonnante
de cette oeuvre.
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Pas ici, pas maintenant, Erri De Luca,
tr Danièle Valin, Folio |
Relire Pas ici, pas maintenant d’Erri De Luca (je l’ai lu
lors ce sa sortie en Italie en 89) m’a amené à apprécier
différemment sa littérature. J’ai trouvé Pas
ici, pas maintenant, Erri De Luca, tr Danièle Valin, Folio. dans
ce retour sur l’enfance une intensité rare et même
d’une violence inouïe. Rien ne semble d’abord transpirer
de cette dureté dans le récit. Mais peu à peu on éprouve
jusqu’au fond de soi des sentiments douloureux et contrastés,
des élans brisés, des amours tus. Dépeindre ses
parents comme des fantômes a quelque chose d’inquiétant,
mais aussi de révélateur. C’est un récit superbe
dans son dépouillement et sa bizarrerie.
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En français dans le texte
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Céline à Bezons,
1940-1944, David Alliot & Daniel Renard, Editions du Rocher |
Quand la sortie de l’étude de David Alliot et de Daniel
Renard sur Céline à Bézons fut annoncée,
on aurait pu espérer des révélations ou, peut-être,
une vision rénovée de l’auteur du Voyage au bout
de la nuit. La déception est grande parce qu’on n’apprend
rien de fondamental dans ces pages. Cela étant dit, l’enquête
menée par les deux auteurs n’est pas dépourvue d’intérêt.
Nous découvrons le médecin Destouches pendant l’Occupation
travaillant dans un dispensaire, vivant dans une petite ville triste
de la banlieue parisienne. Ils nous livrent un portrait contrasté,
qui nous révèle un homme sans beaucoup de grandeur, mais
qui n’est pas pour autant un sale « collabo » comme
on a trop tendance à l’affirmer. Les témoignages
de l’époque le font apparaître tel qu’en lui-même,
avec ses petitesses et avec de beaux gestes. Il n’en reste pas
moins vrai que Céline n’a été sublime que
dans son écriture et que pour le reste, il n’a été que
trop humain, c’est à dire avec beaucoup de faiblesses et
bien des médiocrités.
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Suite suisse,
Hélène Bessette, « Laureli », Léo Scheer |
Hélène Bessette est un auteur déconcertant. Laure
Limongi nous fait redécouvrir cet auteur tombé dans les
oubliettes (je ferais mieux de dire : découvrir) et je lui en
suis reconnaissant. J’ai lu Suite suisse avec une véritable
délectation. Ce n’est pas tant sa manière étrange
de composer son texte en abolissant les paragraphes et en choisissant
de concentrer chaque moment du récit sur une ligne (ou deux au
maximum), mais plutôt en provoquant une accélération
vertigineuse de la narration. Elle a inventé un Nouveau Roman à sa
manière. Elle produit une fiction qui possède à la
fois une forte charge émotive, parfois poétique, parfois
drôle et grinçante. Mais jamais dans le cas présent,
en transformant le tissu romanesque en une peau de chagrin. Elle ne se
prive pas de montrer les travers du mode de vie helvétique, de
ses modes idiomatiques, du rythme du phrasé caractéristique
de nos voisins romands. Mais c’est plutôt l’absurdité de
ses rencontres et de ses conversations qui ont la meilleure part. Au-delà des
tribulations de la narratrice, on tient entre les mains un livre qui
dévoile sans cesse de magnifiques bonheurs d’expression,
des images fortes, fulgurantes, parfois, et aussi des pensées
qui traversent la page, quelques mots posés là avec le
sens de la concision qui est le propre du haiku japonais, mais avec une
charge émotionnelle rare. Il serait sot et révoltant de
ne pas ouvrir ce livre et d’y trouver le plaisir que j’y
ai puisé. On y retrouve un peu l’esprit de Robert Walser,
le même humour, la même simplicité, la même
beauté d’écriture.
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Une vie à deux,
Jean Blot,
Editions du Rocher |
De Jean Blot, je connaissais les essais sur la littérature russe
(son Alexandre Block étant le dernier en date), son étude
sur Moïse. Mais (honte à moi) je n’ai jamais lu ses
romans. Cette autobiographie met en relief son grand don de narrateur.
Son style ressemble d’ailleurs à ce qu’il est dans
la vie : en apparence léger, désinvolte, élégant,
drôle sans être un apôtre du mot d’esprit, généreux,
intelligent, curieux des autres, curieux du monde. Tout ce qui fait sa
valeur humaine se retrouve dans l’histoire de sa vie qui est narrée
avec une frénésie pleine de verve et de tonus. Il met en
scène une après-guerre pleine d’illusions et de promesses
(cela ne durera pas longtemps) qu’il vit à travers la loupe
grossissante des grandes institutions internationales nées du
désastre de la guerre, d’abord l’ONU et ensuite l’UNESCO.
Ce qu’il nous en dit est d’une haute densité comique
! La grande Histoire qui se construisait grâce au nouvel équilibre
de la Terreur (ce qui n’empêcha pas l’émergence
de nouvelles guerres d’une horreur tout à fait digne de
celle qui avait secoué le monde entier) rencontre son histoire
personnelle, qui se traduit par une belle relation amoureuse avec une
jeune aristocrate russe. D’une certaine manière, Une vie à deux
est l’anti-Morand par excellence, même si l’on y trouve
encore de grands transatlantiques, des hôtels luxueux, des personnage
qui ne cessent de se déplacer d’un pays à l’autre
: pas d’ivresse ni de vertige de la vitesse, pas de mondanités
montées en épingle – Jean Blot nous offre sa vision
du monde, une vision à la fois lucide et pleine d’optimisme.
L’auteur fait partie de ces êtres rares qui recèlent
une jeunesse éternelle. Ses mémoires le prouvent largement.
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Roger Vailland,libertinage et lutte
de classes,
Franck Delorieux, le Temps des cerises |
Franck Delorieux, qui n’en est pas à son coup d’essai,
a écrit un bref mais saisissant essai sur Roger Vailland. Il a
tenu a nouer deux grandes thématiques chères à l’auteur,
qui semblent former un couple aberrant : le bonheur et le communisme.
L’idéal du bonheur est déjà présent
dans Bon pied bon oeil où il fait ses adieux à la culture
bourgeoise. Quand il adhère au PCF en 1942, il veut associer étroitement
communisme et libertinage. L’auteur explique en quoi ce couple
théorique a pu être viable et même cohérent
dans sa pensée. Dans Le Regard froid, Vailland étudie plusieurs
postures libertines, qui sont d’abord celles d’hommes qui
affirment leur liberté et qui revendiquent la raison contre l’irrationnel
religieux (c’est d’ailleurs un des arguments de son pamphlet
contre Breton et les surréalistes). Enfin, Marat est pour lui
un grand modèle, qu’il ne va pas renier. Le bonheur, la
raison, l’athéisme, le libertinage (mais plus dans l’esprit
de Laclos que dans celui de Sade) : il faut encore ajouter la souveraineté,
qu‘il mentionne souvent. C’est pour lui être souverain
de soi. Delorieux montre que Vailland l’a été jusque
dans sa vie privée en agissant selon son bon plaisir sans réduire
son épouse à la « servitude volontaire ». Avec
beaucoup de talent, Delorieux a mené une démonstration
pleine de passion permettant de mieux connaître l’écrivain
et l’homme.
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La Bécassine de Wilson, Elisabeth
Motsch, Actes Sud |
La maladie (et non des moindres), le monde rural et une figure de vieillard à la
Hemingway, voilà une recette qui n’est pas trop pour me
séduire. Le roman est tout à fait honorablement écrit
et l’hisoire peut attendrir les âmes sensibles. Il n’en
reste pas moins que c’est là une littérature qui
joue sur les bons sentiments et un certain nombre de poncifs contemporains.
Rien n’y fait : je ne peux m’empêcher d’y discerner
les ombres de Giono, de Ramuz, de Maurice Genevoix et de quelques autres
auteurs exaltant la terre et ses bienfaits. Et ce vieux bonhomme qui
devient le guide du gamin handicapé mental, favorisant son épanouissement
et son bonheur, n’est-ce pas un personnage de série télévisée
? Ce livre vaut mieux que cela, c’est vrai. Mais je n’arrive à le
juger que dans cette optique. Le plus dramatique est que Elisabeth Motsch
vaut mieux que bien d’autres de ses confrères !
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La Vie et le reste, Joachim Vital, «Littérature »,
Editions de la Différence |
Joachim Vital a un talent né pour l’art de la nouvelle.
Il a non seulement le sens de l’ellipse (ce qui est absolument
nécessaire), mais un sens très particulier de l’humour
(un humour noir, un humour gris, un humour jaune aussi) qui rend les
choses très séduisantes. Le très nostalgique retour à Lisbonne
qui fait revenir son héros dans le bar d’un hôtel
qu’il a fréquenté pendant les années 60 est
d’une drôlerie tragique. Quand il relate l’histoire
des employés qui louaient la résidence de la vielle dame
allemande en son absence avec toute la complicité du village en
Toscane les pages qu’il a écrites possèdent aussi
ces qualités presque paradoxales. Il y a dans chacune de ces nouvelles
une étrangeté et une pointe d’ironie qui leur donnent
ce caractère si singulier. La Vie et le reste est un beau livre
qui révèle un talent et une originalité indéniables.
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Sator, Alain le Ninèze, Actes
Sud |
Le roman historique est un genre que je qualifierai de « douloureux » car,
de nos jours, on peut s’attendre au pire. Cela ne se vérifie
pas toujours, comme le prouvent Gérard de Cortanze ou Jonathan
Littell. Mais il y a les autres et les autres font peur ! Dans le cas
d’Alain de Ninèze, Sator est un livre qu’on lit presque
d’une traite et avec une certaine jubilation. Que raconte-t-il
? A la Bibliothèque vaticane, des manuscrits sont retrouvés
par un chercheur qui les livre au public. Il s’agit de l’existence
de Lucius Albinus qui a été procurateur de Judée à l’époque
du Christ. Il resta en poste jusqu’à la chute de Jérusalem
et la destruction du Temple en 70. Cet homme puissant se trouve devant
une énigme : un cryptogramme. Ce dernier est la condition mise
par Messaline pour protéger les chrétiens dont notre héros
a rejoint les premières communautés. A travers ce rébus,
on découvre la vie des premiers chrétiens, leurs persécutions,
on relit aussi les derniers moments du Christ et la naissance des symboles
de la nouvelle foi. Sator est un livre passionnant et nous amène
rapidement à résoudre l’énigme qui est gravée
sur plusieurs monuments, à Pompéi, à Aquincum comme à Gloucester,
nous demandant s’il s’agit d’un boustrophédon
ou d’un message hermétique codé. En sorte qu’on
se passionne pour cet homme qui nous fait connaître sous un nouvel éclairage
un moment décisif de l’histoire de l’humanité.
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Le Goût des abricots secs, Gilles
D. Perez, “La Brune”, Editions
du 10 |
Dans ce récit élaboré avec une très grande
simplicité, nous faisons la connaissance d’un narrateur
qui vit dans un immeuble dont les habitants partent les uns après
les autres. Dans l’appartement à côté du sien,
vit un vieillard qui écoute de la musique jusque tard dans la
nuit. Le jeune homme le rencontre, puis le fréquente. Et, au cours
d’un échange pudique, il découvre le mystère
de son existence qui a tourné autour de son épouse Véra,
qui a été une très grande pianiste. La vie et le
drame de cette femme deviennent alors le centre véritable du récit,
qui est traité avec retenue et une relative élégance.
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Les Jardiniers, Véronique Bizot,
Actes Sud |
Véronique Bizot n’est ni Kafka ni Thomas Bernhardt comme
on nous l’annonce et fort heureusement d’ailleurs. Il y a
chez elle un sens du grotesque et de l’absurde qui peut la ranger
dans une certaine tradition issue de l’Europe centrale. Mais ni
son esprit ni son écriture ne corrobore cette hypothèse.
Son esprit est bien français et particulièrement affilé.
Elle sait transformer une situation somme toute ordinaire en un événement
baroque et déconcertant. L’histoire des jardiniers dans
la nouvelle homonyme est extraordinaire car tout ce qui préside
normalement à l’ordonnancement de ma Nature se change en
agent de désordre. C’est un récit hilarant. Les autres
textes sont du même tonneau et le dernier d’entre eux, Lamirault
est un exercice de détestation de haut niveau…
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Le Goût des mots, Alain Rey,
Senso |
A lain Rey est un lexicographe chevronné. La parution de son Dictionnaire
culturel en langue française a été saluée
comme un grand événement. Il a produit en marge de ses
grands travaux un petit ouvrage divertissant, Les Mots de saison. Il
y fait une curieuse synthèse de Littré, de Barthes et de
l’Oulipo. Il joue avec les mots, leurs origines et leur manière
de voyager dans le temps en se métamorphosant. C’est plaisant à lire,
mais ce n’est pas un exercice de style immortel. Il lui manque
l’esprit littéraire. On peut néanmoins prendre ces
pages sous un éclairage pédagogique pour apprendre comment
vivent, se métamorphosent et parfois meurent les mots.
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Le Procès de la vieille dame
(éloge de la poésie), Lionel
Ray, «Littérature »,
Editions de la Différence |
C’est une invitation au voyage, mais à un voyage très
particulier à travers le monde poétique. Nous partons à la
rencontre de Reverdy et puis de Michaux, de Char, de Guillevic (c’est
inévitable !), mais aussi de Louise Labe (délicieuse surprise
!) et, pour les modernes, de Louis Aragon et de Guy Goffette. Lionel
consacre de très belles pages à la voix de l’auteur
du Fou d’Elsa dont il fait un portrait remarquable à travers
son timbre, son rythme et son phrasé. Il fait aussi un très
bel essai sur l’invention de la modernité avec Rimbaud,
mais également Marinetti et Cendrars. C’est un périple
hautement recommandable.
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Passage de la mère morte, Jean-claude
Perrier, Stock |
Le narrateur du roman de Jean- Claude Perrier cherche à retrouver
sa mère – tout du moins en des termes métaphoriques
puisqu’elle n’est plus de ce monde. Il revit les jours difficiles
qui ont suivi sa disparition. Pour conjurer son désarroi, il reconstruit
son existence pièce après pièce , ne la connaissant
que de manière très fragmentaire, il la montre serveuse
sur les Grands Boulevards puis en tenancière de bistrot quand
elle a pu acheter un petit établissement derrière la Bastille.
Sa propre vie se mêle alors étroitement à celle de
la défunte presque inconnue. Il dépeint le divorce de ses
parents. Il ne se souvient pas du tout de son père parce qu’il était
trop petit au moment de cette séparation. Ainsi reconstitue-til
avec patience ce puzzle douloureux et nous propose-t-il son roman familial.
Tout tourne autour de l’absence de cette mère qu’il
recherche par l’écriture.
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Chronique monégasque, Philippe
Claudel, Folio Senso |
Ce petit volume soulève quelques questions. La première
consiste à se demander pourquoi ces textes courts ont été rassemblés,
selon quelle logique et à quelle fin. Parce qu’il sont brefs
? Ils donnent surtout le sentiment d’être un premier jet
en vue d’un récit plus important ou de pages abandonnées
après avoir été un peu travaillées. C’est
ce qu’on éprouve en lisant Château Süskind et
Bye bye Nicole. D’autres, surtout les derniers, paraissent être
là pour solde de tout compte – des fonds de tiroir en somme.
Demeure une dernière interrogation, la plus agaçante de
toutes : à quoi diable servent des photographies en couleurs ?
A mon humble avis, elles ne servent à rien sinon à rendre
le livre plus proche du magazine féminin…
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Bourlinguer
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Paris poète, Catherine Aygaline, «Bibliothèque»,
Hazan |
Catherine Aygaline nous offre un très beau voyage dans le Paris
des photographes du temps jadis. C’est le Paris des chanteurs des
rues, des terrasses affolées, des ruelles borgnes et des grands
boulevards flamboyants, c’est aussi le Paris de ces peintres et
de ces sculpteurs qui ont fait sa gloire, avec la Ruche, des ateliers
de Montparnasse et des expositions surréalistes, c’est le
Paris des écrivains, des existentialistes et des autres, des cafés
littéraires élevés au rang de temples de la culture
moderne. Ce Paris-là, il vit aussi dans la parole des poètes
: Aragon, Prévert, Queneau, Verlaine, Pierre Mac Orlan sont quelques-uns
des guides qui nous font découvrir mille et une façons
d’éprouver les pulsations de la villelumière dans
un jeu de réminiscences pleines de nostalgie, mais aussi de gaîté et
de facétie. Paris est reconstitué sous toutes ces facettes
et à travers la voix de ces auteurs qui l’ont aimé si
intensément. C’est un beau livre, qui constitue un compendium
d’un monde qui n’est plus qu’à travers ces signes
adressés par ces hommes et ces femmes qui ont su en préserver
les différentes réalités qui se sont attachées à son
histoire au cours du XXe siècle.
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Les Parisiens sous l’Occupation,
André Zucca, présenté par
Jean Baronnet, préface de Jean-Pierre
Azéma, Gallimard/Paris bibliothèques |
André Zucca nous promène dans le Paris de l’Occupation.
Et en couleurs, s’il vous plaît ! Il avait presque toutes
latitudes pour enregistrer les scènes de la vie quotidienne de
la capitale puisqu’il collaborait allègrement et travaillait
pour le journal de propagande nazi Signal. Les clichés réunis
dans cet album sont précieux puisqu’ils ont pour but de
rendre normal ce qui ne l’était pas et de montrer que la
vie continuait son cours bon gré mal gré avec des hommes
en uniforme vert-de-gris un peu partout et des rues particulièrement
vide où l’on voit surtout des femmes. Une atmosphère
d’insouciance semble se dégager de ces prises de vue. Mais,
quand on y regarde de plus près, on comprend vite que les robes
de ces femmes sont faites avec les moyens du bord, que ce simulacre de
légèreté cache mal une sorte de pesanteur et que
le vide de ces avenues et de ces places n’est comblé que
par ces militaires en permission qu’on envoyait se reposer dans
le Gay Paris.
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Les Canonnières du Yang-Tsé-Kiang,
Constantin Slizewicz, Imprimerie nationale |
Les photographies du temps jadis nous font rêver. Celles qui se
trouvent dans l’album de Constantin Slizewicz plus encore que beaucoup
d’autres. Entre 1936 et 1938, le lieutenant de vaisseau Maurice
Tournet remonte le Yang-Tsé-Kiang. Marco Polo disait de ce grand
fleuve : « Il va et vient par ce fleuve plus de navires et de riches
marchandises qu’il n’en va par tous les fleuves et par toutes
les mers de la chrétienté. » C’est ce que constate à son
tour le jeune sous-officier français. Il découvre Shangaï à son
embouchure, les gorges de Son-Tan, les gorges d’Ouchan, les gorges
de Kouigou. Il voit les embarcations échouées à cause
de la baisse des eaux, montre le fort Odent, caserne de la marine française.
Son histoire touche vite à sa fin parce que les Japonais ont envahi
la Chine en juillet 1937. L’équipage doit être rapatrié.
Mais l’aventure de ces marins se prolonge jusqu’en 1940.
C’est assez en tout cas pour nous faire découvrir ces paysages
superbes où glissent des sampans, comme si le temps demeurait
suspendu.
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Am
Le Monde souterrain, Jean-Jacques Terrin, « Guide des arts »,
Hazan |
Jean-Jacques Terrin a tenté de faire l’inventaire des mondes
qui se trouvent sous l’écorce terrestre et y a réussi
avec un certain talent. Bien sûr, il le dépeint d’un
point de vue mythologique et religieux ; ce sont les limbes, les enfers
et les divinités chtoniennes. Mais il tient aussi à explorer
l’habitat de nos anciens ancêtres où sont apparues
les premières formes d’expression artistique de l’humanité.
Enfin, il montre comment les hommes ont utilisé les ressources
fertiles que le sous-sol lui ont offert et aussi des possibilités
stratégiques : on a mené une guerre entière enterré (la
Grande Guerre) et on a conduit une autre (la Seconde) en imaginant des
forteresses souterraines de plus en plus formidables. L’auteur
a mené un excellent travail de recherche et on doit saluer la
richesse des commentaires et de l’iconographie. Un beau vade-mecum
pour les lecteurs de Dante et de Jules Verne !
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Deyrolle pour l’avenir, préface
de Pierre Assouline, Gallimard |
On se souvient tous du terrible incendie qui a détruit en partie
les locaux du grand taxidermiste Deyrolle. Le vieil établissement
de la rue du Bac reçoit aujourd’hui un hommage qui lui est
dû. Pierre Assouline, François Becker Blaise Mao et Thomas
Saintourens ont pris la plume pour rappeler ce qu’il a pu signifier.
Cette maison née au XIXe siècle en a fait rêver plus
d’un avec ses grands mammifères empaillés, immortalisés – et
je fais partie du lot ! Le rêve a fini par l’emporter sur
la science dans mon esprit (ce n’était pas difficile). Ce
petit ouvrage, je le regarde comme une partie de mon enfance passée à contempler
cette vitrine ô combien magique quand je me hasardais avec ma mère
dans ce coin de Paris…
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Paradors, Jesus Avila Granados, Actes
Sud |
L’auteur (Jesus Avila Grandos) et les photographes qui ont travaillé avec
lui (parmi lesquels Ramon Marient, Koldo Chamorro, Domi Mora, Gregorio
de la Cruz, Andreu Massagué, Francisco Ontañon) nous font
parcourir toute l’Espagne. Le voyage commence en Andalousie, à Huelva, à Cadix, à Malàga, à Grenade.
Puis nous sillonnons la péninsule ibérique en tout sens,
de la Castille au pays basque, en passant par la région de Madrid
et poussant jusqu’aux îles Canarie. Il ne s’agit pas
seulement ici de faire découvrir des lieux de rêve (ces
châteaux en Espagne qui ne sont pas toujours des châteaux,
mais de très belles propriétés transformées
en villégiatures de luxe). On découvre des paysages sauvages
ou insolites. C’est un peu le livre des merveilles : l’Hostel
de San Marcos a Leon, le parador de Ségovie, le couvent de Plascencia,
le parador de Guadalupe Zurbaran en face du monastère de Santa
Maria, le parador Conde de Orgaz, sur la colline de l’Emperador
de Tolède - autant de lieux irréels. En sorte que le voyage
conduit toujours ici dans une résidence qui offre de l’Espagne
une vision enchantée. •
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