Pour le musée Malraux, face au grand large, à ses houles paisibles ou à la violence de ses tempêtes, la vague, en permanence et à perpétuité, est au cur du débat ! Reste à lui trouver ses formes de création artistique les plus adéquates pour saisir et exposer ce qui, dans son éternité et son universalité, pourra nous exalter grâce aux progrès incessants des techniques photographiques et vidéo maîtrisées par les créateurs daujourdhui. La preuve en a été fournie par lexpo Vagues 2, hommages et digressions, de juin à septembre derniers. Ce pari, né dune idée, aura été une réussite.
Dans ce musée à larchitecture de lumière toujours davantgarde, même si le fonds de la maison privilégie un classicisme de qualité, ses expositions senhardissent et ouvrent aux visiteurs des voies et des expressions contemporaines. Vagues 1 avait été, de mars à juin dernier, centré sur le motif de la vague et des « paysages de mer » de la fin du XIXe siècle, à partir de Gustave Courbet dont la Vague peinte à Étretat en 1869, acquise par le musée, fut un point de départ. La bonne idée dAnnette Haudiquet, conservateur, et de Marc Donnadieu, directeur du FRAC de Haute-Normandie, a été de prolonger ce thème, comme en écho, sur les XXe et XXIe siècles, jusquà aujourdhui. Ils lont fait en coproduisant cette exposition aux uvres de multiples provenance et du monde entier. Elle restait dédiée à la Vague dans tous ses états, sacralisée ou banalisée, parfois avec ironie ou avec humour, selon les lieux, les circonstances et les modes ou modalités dexpression, par des créateurs, peintres, photographes et vidéastes comptant parmi les plus célèbres de notre temps, en particulier Kate Blacker, Balthasar Burckhard, Sonja Braas, Elina Brotherus (illustration), Elger Esser, Thierry Kuntzel, Joachim Mogarra, Jean-Loup Sieff et Boyd Webb
Trois émotions décisives dont une vidéo percutante
Trois moments se distinguaient dans cette exposition. Dabord le choc du jumelage qui, demblée, associe côte à côte la vague de Courbet (1869) et le splendide cliché noir et blanc dune déferlante saisie au même endroit, à Étretat, par Balthasar Burkhard (1995). Le second choc, plus technique mais très esthétique, cest la création, conçue et réalisée en 2004 par le Laboratoire de Mécanique, Physique et Géosciences de lUniversité du Havre : un canal à houle (oui !) installé, pour être vu, dans un bac de verre blindé surélevé. Il est long de quelques mètres et large denviron soixante centimètres, genre aquarium, doté à un bout dun générateur de houle (un clapet de verre cadencé par un moteur électrique) et dune plage en verre damortissement, en pente, placée à lautre extrémité, sur laquelle la houle engendrée déferle en vagues régulières. Sous toutes ses coutures, ce dispositif permettait aux visiteurs dobserver dans la clarté la naissance et le destin des ondulations aquatiques qui aboutissent en vagues chargées de bulles dair et décume
Dans la réalité, les vagues résultent des effets du vent, des courants, des raz-de-marée, des navires créateurs dondes et de la nature comme de la structure des littoraux. Mais ce canal à houle, en démontant et reconstruisant le phénomène de la vague et en lui donnant sa dimension spatio-temporelle, répétitive et identique, fut à sa manière une création artistique et contemporaine fascinante ! Kacha Legrand en a tiré une vidéo numérique et onirique réussie, La Ligne, projetée dans un box à quelques mètres. Le box voisin abritait lastucieuse création de Tacita Dean (1997), qui interpelle et fascine : une sorte de « tour de phare » en 360 degrés, de jour, par beau temps et en couleurs, sur un archipel de rochers et sur les vagues pas trop amènes dont ce phare signale la présence et avertit des périls. La bonne idée a été de disposer la caméra tout simplement à la place de la lanterne tournante du phare. Cest bien trouvé et cest beau. À quelques mètres, on diffuse en continu, la vidéo Traversée rouge dAnge Leccia (2003), somptueux et large sillage qui sétale plein écran, interminable et écumant, mouvant et émouvant aussi, depuis la poupe du ferry boat Marseille-Alger qui remplaça pendant des mois les avions interdits de vol entre la France et lAlgérie.
La troisième et la plus forte émotion était procurée en salle obscure par un chef duvre coproduit en 2003 par le FRAC de Lorraine : Les Vagues de Thierry Kuntzel, un représentant majeur de lart vidéo, ancien élève de Barthes et sémiologue de limage. Sur un large écran constitué par la paroi du fond de la salle, une rétro-projection dispense, en continu et en boucle, le film en couleurs dun superbe déferlement de vagues au soleil, sonorisation à lappui. Limage vit en fonction du déplacement des spectateurs. Si on reste au fond de la salle, tout se déroule naturellement. Mais si on savance vers lécran, plus on se rapproche et plus la vitesse de défilement des images et de la bande son se ralentit, jusquà un arrêt complet si on sapproche trop près. En dosant ses propres allers et retours, on devient le maître du spectacle et on règle à sa mesure la fascination de limage projetée et du son entendu. Des milliers de visiteurs et de scolaires en ont été émerveillés. |