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Sorti(e)s d'école et autodidactes |
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par Sophie Braganti |
Pas de P.A.N.I.C (Pour l'Art à Nice International et Contemporain) à bord de la respectable galerie Atelier Soardi qui en collaboration avec la Villa Arson à Nice, offre ses murs pour la troisième fois (et quels murs Ceux de l'atelier où Matisse peignait La Danse en 1930), à sept lauréats fraîchement diplômés, avec mention ou félicitations, titre d'artiste officiel en poche. La démarche est louable, mais pas vraiment de quoi mettre la panique, dans la lumière ouatée. Je ne vais pas m'attarder sur le malheureux titre de l'exposition " Peau d'âne " qui signifierait, dans le dictionnaire des expressions de la langue française " diplôme ", de peau pour parchemin et d'âne pour ignorant. Je ne vais pas me livrer à de malheureuses et faciles interprétations, quoique trois de ces artistes ne s'en soient pas privés. Retour à l'enfance qui n'est pas si loin pour eux. Ou stagnation dans la naïveté de celui qui croit tout découvrir et oublie de citer ses pères. Combien de " ressucés " de ready-made. Pourquoi cet empressement à exposer, à s'exposer ? L'univers du conte est celui de la tromperie. On en est donc encore là: pour ou contre le père Noël? Combien d'enfants de Duchamp n'utilisent-ils pas ce procédé qui consistent à appliquer au pied de la lettre un mot ou une expression, tous jeux de mots, prétextes mal assumés ici, de la charade au calembour. Si on est gentil, on peut sourire un peu avec eux. Mais sommes-nous là pour ça ?
Valentina Traianova expose " Mon titre" : son diplôme est entouré de cierges sur des supports comme cela se fait à l'église, après avoir glissé la pièce dans la tirelire pour un vu. Désacralisation souhaitable. Haidée Henry (on nous précise qu'elle travaille à Paris dans l'atelier des beaux-arts, animé par Annette Messager. Et alors ? Comme avant, Rodin et ses élèves, pas tous devenus illustres) et son âne qui a foncé dans le mur qui lui a pris la tête et qui pond des ufs si vous lui tirez la queue il pondra des ufs l'âne aux ufs d'or et on doit rire à " L'écu rit où l'âne d'or ". À moins que l'on y prête un sens plus grave mais alors là, c'est tiré par les cheveux. Elle écrit : " cette approche qui cherche dans la mise en forme l'absurde et le dérisoire, constitue une façon de mettre en évidence l'aspect inaccessible du fantasme, source ordinaire de frustration et de manque ". La boîte blanche c'est le nom de l'artiste au Macintosh dernier modèle avec des images et du son, un " couper-coller " du web qui usent ce qui nous use. On nous écrit qu'il " opère un brouillage accru, un scalpel glacial et salutaire dans l'errance négative pour tenter de rendre vivant (par l'audiothérapie ? ) ce qui ne l'est déjà plus..." Ça c'est un cours de sociologie, au moins. Naoko Okamoto dépose dans plusieurs lieux de la galerie des pièges à souris qui capturent Mickey ou une pièce de un euro. Elle est née en 1969. Dans les plinthes, de minis portes rouges arrondies sont taillées très méticuleusement et restent fermées. Si vous n'avez pas compris et pas demandé le mode d'emploi, débrouillez-vous, vous débordez d'imagination et votre générosité prêtera des concepts à ces installations, qui n'étaient peut-être pas voulus par l'artiste. Car je le rappelle, à l'école, on apprend à écrire et à communiquer, ce qui veut dire en termes clairs, à faire sa promo.
David Sauval et son " High lee " tiré de Ann Lee, donc lire: de âne lit ou Anne lit c'est le lit d'âne, reproduit en numérique sur maille drapeau, le visage de cette héroïne de bande dessinée à la Manga sauce, grâce à l'apport de dessins d'enfants de classe de sixième. Un lit, un drap aux visages de la fillette et une porte fermée au-dessus, le tout style Ikéa font appel à la psychanalyse: " cet instinct ludique utilisé comme fiction s'impose, comme une distance avec les mots, la forme, et donc, avec moi-même ", dixit l'artiste à qui on a aussi appris à écrire sur son travail. La Villa Arson est persuadée d'être au top de l'avant-garde (tiens, ça existe encore ?) en apprenant aux jeunes comment on devient; artiste et qu'un artiste ça construit des projets, ça remplit des dossiers, ça enchaîne les expos, ça va chercher le client, sûr de soi, peu importe toutes nos vieilles idées sur l'expérience, le travail, la culture, le temps, l'élaboration d'une pensée, d'une conscience... des trucs de vieux ringards sans doute. Le problème de tout ce qui est écrit par eux et sur eux est applicable à l'un comme l'autre, tel un discours interchangeable. Ces discours sont plaqués et trop tôt affirmés. Qui est ringard, qui fait du neuf avec du vieux, quelle expérience de l'intérieur ? Sentie ? Renversante ? Vraie ? Urgente ? Irrépressible ? Autonome.
Car nous sommes bien dans l'ère du jeunisme. On ne parle plus d'un artiste pour son travail et son talent, la force qui se dégage de sa personnalité, le choc dans l'atelier devant une proposition qui étonne. On cherche comment se valoriser avec lui Si on montre des jeunes, on tue le temps qui ratatine, on est dans l'air du temps. Oui mais les jeunes, ils ne sont pas que dans les écoles. Il faut retourner à la recherche des jeunes créateurs là où ils vivent: dans leurs ateliers (mais ça aussi ça doit être archi ringard, car beaucoup d'entre eux n'en ont pas besoin: tout est dans la tête avec dans la main trois épluchures de pommes de terre, trois jours avant l'exposition). Nombreux sont les galeristes qui geignent face au désert qui s'étend devant eux ? Mais où sont les galeristes qui sont des découvreurs, qui font ce travail de flairer, de pressentir, de risquer une longueur d'avance sur leur temps ? Espèce en voie de disparition. Hormis des petites galeries courageuses et marginales, la plupart des galeristes attendent le CD, la mayonnaise déjà un peu montée, ce qui fait " in ". Mais il serait injuste de ne; pas saluer des artistes de qualité, issus de cette école comme Natacha Lesueur et Bruno Pelassy trop tôt disparu.
Parlons Finalement de ceux qui me semblent plus prometteurs Cédric Noël expose des housses sérigraphiées, attractives par leurs formes et le mystère qu'elles enveloppent plus que par leur esthétique. Leur disposition au sol tient compte de la topographie et de l'histoire du lieu pour abriter ses cadres de motos cachés, comme ici un ancien parking. Le concept semble intéressant et le résultat trouble. I1 recompose une sorte de figuration à partir d'éléments abstraits. Celle qui retient le plus l'attention, c'est Virginie Rosso Le Touze avec une délicate " Insomnie ", vidéo diaphane avec durant cinq minutes un visage en gros plan qui chante de manière envoûtante et déformée " Pour une valse " de Rezvani. Mais le décalage entre le; regard, les paroles et le mouvement de la bouche met à distance les sensations, les désirs, les décale de sorte que le spectateur est obligé de s'impliquer comme pour en recoller les morceaux. Cette " Insomnie " nous berce. En face sur le mur, une photographie en couleurs présente un bras tendu mais pas raide, qui nous appelle à venir se poser sur sa chair de poule. La poésie de la séduction opère dans une sobriété mesurée. Un seul geste pour beaucoup d'effets. Dommage qu'elle écrive aussi pour raconter son travail.
Enfin, il faut rendre grâce à l'exposition précédente dont l'accrochage était irréprochable, dans la même galerie. Laurence Demaison. Une artiste dont le travail sent le fruit qui a mûri au soleil et pas gonflé sous le goutte-à-goutte. Remarquable travail photographique, à côté du non moins remarquable anglais Rip Hopkins, dont le travail issus de son métier de reporter, véhicule un langage poétique sorti du cadre. Tous deux sont des lauréats aussi, mais de la Fondation CCF pour la photographie. Laurence ne photographie pas la danse mais la photo est danse. En noir et blanc sur de grands formats ses autoportraits transfigurés crèvent la limite du papier, flottent dans le non-dit. Sa propre image est altérée puis remodelée dans des formes qui sont encore elle, méconnaissable. Fluidité, beauté (excusez-moi !) aérienne et aquatique, ce travail nous porte dans un monde particulier où la maîtrise technique se fait oublier, pour laisser place à la poésie. Des pieds ne touchent pas le sol. Des mains sont peut-être celles d'une morte, on oscille dans le blanc qui propose une reformulation des matières. Tout se passe dans la prise de vue. L'eau et ses bulles se font oublier.
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Images radiographiques sur lesquelles le regard se pose inévitablement. Là on s'arrête, même si ce n'est pas à la sensibilité seule qu'il faut se référer. On est intrigué et fasciné, entre linquiétude et sérénité. En profondeur. Le visage se dédouble à l'infini, se voudrait repoussant, mais la monstruosité n'est pas de son monde. On oublie tout ce met en colère, le reste de l'art, les poussières, qui courent pour rattraper la comète, ce qui est une tautologie de l'art et de la société de consommation, dont nous sommes saturés. On oublie que Laurence parle d'elle. C'est pour cela que ça nous parle. Sans discours, ni sans redondance.
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Jean-Luc Chalumeau |
Laurence Demaison est née en 1965.
Exposition à Bruxelles avec Rip Hopkins, galerie Baronian-Francey en juillet, en permanence à la galerie Wocrdahouf à Paris.
Monographie co-éditée par Actes Sud et la Fondation CCF, en librairie.
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mis en ligne le 01/09/2003 |
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