À propos
de la première exposition du Collège
des Bernardins
Eminence,
Dans l’espace même où le
pape Benoît XVI s’exprimait devant
sept cents personnalités parisiennes
il y a quelques mois, le Collège des
Bernardins présentait ces derniers temps
une exposition conçue par Claudio Parmiggiani.
La presse a abondamment parlé de ces
structures de verre brisées et de cette
accumulation de cloches à l’abandon,
tristement blotties dans l’ancienne sacristie.
Souvent séduite, elle a estimé avec
raison que l’ensemble ne manque pas d’allure
: voici une double installation qui saisit
le visiteur, même s’il ne comprend
pas vraiment ce dont il s’agit (le livre
d’or en témoigne : 50% de témoignages
d’admiration pour le lieu – non
pour l’oeuvre, 50% de protestations du
genre : « à quoi bon chercher à épater
le bourgeois ? »). En fait, de quoi est-il
question ?
Vous
avez fait appel à madame Catherine Grenier
en qualité de commissaire, qui a elle-même
invité un artiste pour un projet parfaitement
conforme à ce que cette spécialiste
réputée pense de la place de
la religion chrétienne dans notre monde.
Je la cite, d’après mes notes
prises au cours d’une conférence
donnée par elle dans l’auditorium
du Centre Pompidou : « L’art contemporain
se recharge grâce à la religion
chrétienne alors qu’elle est évacuée
de la scène sociale car elle est devenue
obsolète ». En exergue de sa conférence,
elle avait fait projeter une vidéo de
Peter Land se représentant, en boucle,
en train de tomber indéfiniment du haut
d’un escalier. « Il s’agit
d’une chute, expliquait madame Grenier,
et effectivement le christianisme est l’histoire
d’une chute ». Elle ajoutait que
lorsque Maurizio Cattelan représente
Jean-Paul II grimaçant, renversé par
une météorite, il s’agit
d’une figure christique réduite à un état
dérisoire, une « réflexion
sur la religion, mettant en scène la
silhouette déchue du Père ».
Nous y voilà : le catholicisme, tout
comme son chef, sont des « figures déchues »,
et Parmiggiani, en rassemblant ces symboles
de l’Église d’autrefois
que sont les cloches (dont il dit gentiment
avoir la nostalgie) nous parle lui aussi d’une
chute, d’une déchéance.
Les morceaux de verre qui jonchent le sol des
Bernardins seraient, de leur côté,
issus d’une réflexion sur un tableau
de Caspar-David Friedrich, Naufrage de l’Espoir.
Le bateau l’Espoir s’était
trouvé pris par les glaces, que représenteraient
donc les verres brisés ? Ou bien faut-il
craindre qu’en ce lieu l’on nous
parle d’un naufrage, donné comme
a priori, celui du christianisme ? Je sais
bien : en 1920 déjà, Jacques
Maritain publiait Art et Scholastique. Il y
demandait aux artistes « de ne rechercher
aucune règle, aucune technique, aucun
style spécifiquement chrétien » (on
a vu, avec l’art dit de Saint-Sulpice,
où cela pouvait mener). Maritain proposait « de
ne pas dissocier l’art chrétien
du grand mouvement de l’art contemporain ».
Autrement dit, il défendait il y a presque
un siècle la modernité contre
l’opposition instinctive des milieux
catholiques, alors généralement
politiquement conservateurs et esthétiquement
rétrogrades. « À ne pas
participer à l’art de son temps,
dira après lui le Père Couturier,
on se coupe, on se retire de la vie. »
Eminence, permettez à un catholique,
critique d’art de surcroît, de
vous dire avec tristesse que l’Eglise
se fourvoie quand elle fait appel, croyant
ne pas se dissocier de l’art de son temps, à ceux
qui voient en elle une « structure obsolète » et
l’invitent à valoriser, dans ses
lieux les plus prestigieux, des artistes qui
la considèrent comme morte. Elle n’a
pas davantage raison, certes, quand elle fait
appel aux « médiocres plus ou
moins spécialisés » que
vomissait le Père Couturier (il pensait
aux braves gens bardés de bonnes intentions,
fabricants d’art dit par eux « sacré »).
Il n’y avait qu’une solution à ses
yeux : « l’Eglise, disait-il, aura
retrouvé le sens de la grandeur quand
elle aura retrouvé l’habitude
de s’adresser aux plus grands ».
Peut-être, après tout, le Père
Couturier se serait-il adressé de nos
jours, lui aussi, à Claudio Parmiggiani
(j’en doute), mais il aurait alors participé à l’élaboration
du projet et aurait fait en sorte qu’il
soit, pour le moins, dépourvu d’ambiguïté.
Ainsi faisait-il avec ses amis Braque, Léger,
Matisse et Picasso… Ceux qui croient
en Christ, fondateur de l’Eglise, la
savent éternelle. Ils n’ont que
faire des divagations de ceux qui la veulent
disparue. Croyez, Eminence, en l’expression
de mes sentiments respectueux et filiaux.