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Histoire de lart
Éloge de lambiguïté |
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par Jean-Paul Gavard-Perret
Lart italien et la metafisica, 1912 - 1935
Le temps de la mélancolie Musée de Grenoble
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Heureux propriétaire de deux uvres de Giorgio De Chirico ainsi que de neuf peintures de Luigi De Pisis et de trois tableaux de Mario Tozzi, le Musée de Grenoble grâce à son directeur Guy Tossato et à Christine Poullain commissaire de lexposition a eu lidée, à partir de ce fonds, de présenter la peinture métaphysique, ses développements et son influence sur lart en particulier dans lEurope dont bien sûr lItalie puisque ce mouvement y naquit « officiellement » en 1916 et eut comme chefs de file De Chirico, Carrà, De Pisis et Savinio. Une telle peinture trouve ses origines et ses images de proue dans lunivers onirique inventé par De Chirico. Ce fut dailleurs là sa marque de « fabrique » avant ce que certains considèrent comme ses « dérives » finales. Influencé par le symbolisme pictural de Böcklin et de Klinger, et par la philosophie de Nietzsche (Italien d « adoption ») et de Schopenhauer, on connaît parfaitement lunivers de De Chiricho composé de figures régies par des principes mystérieux, univers quon a trop vite annexé à lesthétique surréaliste. Mais chez le peintre italien, statues, architectures antiques, mannequins de couturière, cheminées dusine, instruments de géométrie ne sont là que pour mettre en abîme le regard dun spectateur pris dans létau de deux univers opposés : dun côté un réalisme classique, de lautre, et à travers lui, une sorte de monde quasiment de science-fiction propre à suggérer non le rêve mais diverses formes de peur.
Mais lexposition grenobloise se propose aussi de décoder lévolution de la peinture métaphysique. Elle montre en particulier comment les thèmes et les signes élaborés par la « metafisica » vont faire paradoxalement évoluer beaucoup dartistes italiens issus du futurisme vers la représentation dun quotidien aussi familier quétrange et dans lequel le silence devient visuellement palpable. Lexposition montre aussi combien une telle propension - en particulier chez les artistes du « Novecento », mouvement né en 1922 - esquisse des formes prémonitoires des événements politiques à venir. En effet dans ce mouvement post-metafisica ce nest plus létrange qui domine mais plutôt une atmosphère inquiétante palpable elle aussi par la force dimages où le silence semble lourd des cris à venir.
Il est vrai que le rapport de la peinture « metafisica» à lhistoire est capitale à bien des titres. Chez De Chirico, par exemple, le rapport à la Grèce est fondateur et le peintre y découvre très tôt un moyen dopérer une identification entre lhistoire antique collective et son histoire individuelle. Et cest ainsi que chez lui la réalité et le mythe deviennent lobjet de sa création artistique. Ce qui est vrai pour lui lest aussi pour les autres peintres de la « Metafisica » Ainsi tout ce qui semble désorienter le spectateur dans une telle peinture nest pas le fruit dune tendance « surréalisante ». Le rêve, lamour, le hasard tous ses fruits du surréalisme ne font pas partie de larsenal de la « Metafisica» même si par certains aspects les deux mouvements donnent limpression de se rapprocher. Toutefois ce qui domine dans le mouvement italien reste cette omniprésence du silence qui tient en particulier au fait que dans ses uvres lhomme est absent et remplacé par des statues antiques ou des mannequins comme si soudain lhumain nétait plus centre mais accessoire et secondaire.
Paradoxalement et en dépit de son nom, la peinture « metafisica » na donc rien danthropomorphique et cest dailleurs ce qui en fait lintérêt et le danger (si on pense à ce qui allait se passer par la suite). Le mouvement établit ainsi une nouvelle dramaturgie picturale faite de stucs, de décors, de toiles dans les toiles. Dans un tel espace du vide cest donc le leurre qui construit et instruit un monde. Les objets sont eux-mêmes murés dans leur solitude, juxtaposés entre eux sans lien explicite si ce nest celui de signifier un monde devenu incompréhensible, absurde.
Face à un tel univers, on comprend mieux comment une certaine idéologie du repli a pu se bâtir et pourrait encore se reconstruire aujourdhui. Et cest pourquoi une telle exposition na pas seulement un intérêt historique passéiste. Elle apprend à (re)lire les images et à préciser la jonction quelles peuvent avoir avec le monde qui leur fait face. On comprend aussi comment de « révolutionnaires » des artistes peuvent être facilement transformés - à tort ou à raison - en « révisionnistes ». On se rend compte aussi quà un moment (début du XXe siècle) où lon comprend que copier la réalité na plus de sens, ceux qui sont en accord sur le constat peuvent très largement diverger quant aux conséquences artistiques quils en tirent.
Ainsi, dans un regard qui sen retournait - contre le futurisme - sur les époques lointaines de lhistoire, les adeptes de la « meta-fisica » laissaient soudain une brèche ouverte vers un horizon de places quils peignaient désertes et ensoleillées mais qui allaient se remplir de cris de haines et de vociférations belliqueuses. Cest dailleurs parce quelle anticipait sur son époque par tout ce quelle soulevait que la peinture métaphysique, après 1920, a rayonné sur lItalie et sur lEurope. Rappelons quelle a fécondé quantité de mouvements artistiques : le Novecento (déjà cité), le Magischer Realismus, voire la Neue Sachlichkeit, et pourquoi pas dans une certaine mesure tout un pan du surréalisme
Peinture aussi bien anticipatrice que fervent miroir dun climat du retour à lordre du passé, cette peinture méritait lexposition denvergure que propose aujourdhui le musée de Grenoble. Elle permettra de comprendre en effet comment sorganise aussi bien le retour au passé et les avancées caractéristiques, elle permettra aussi dapprécier combien lidéologie - en peinture comme ailleurs - est plus ambiguë quon le croit très souvent. Gardons nous ainsi des jugements trop hâtifs. Et acceptons les uvres de la Metafisica (comme de tout autre mouvement) avec leur charge complexe et leur densité expressive. Rappelons dailleurs que pour quune uvre résiste au temps il faut dabord quelle résiste à lidéologie à laquelle on veut la réduire. Avec De Chirico défendons ainsi limportance des « Valori plastici » face aux idéologies quon veut leur faire servir. Avant-gardistes ou art rétrograde ne se définissent pas en effet simplement à coup des diktats de certains théoriciens de lart qui parfois aujourdhui comme hier se contentent de servir les plats des pouvoirs qui leur graissent la patte. |
Jean-Paul Gavard-Perret |
mis en ligne le 28/08/2005 |
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