Aujourd’hui,
parle-t-on toujours des traditions ?
L’art
contemporain n’est pas un art sans
repères puisque l’artiste
cherche sans cesse l’inspiration
et inconsciemment il soulève les
questions problématiques: répéter
une oeuvre déjà créée
ou inventer quelque chose de totalement
nouveau et individuel, briser les vieux
postulats de l’art ancien ou s’inspirer
par les chefs d’oeuvres des maîtres
du passé. Un autre problème
reste toujours actuel, il s’agit
du rapport entre le public et l’art
contemporain. Si on demande à une
dizaine de personnes dans la rue, aimez-vous
l’art contemporain ? Soit on reçoit
des réponses négatives, soient
les personnes interrogées expriment
leur incompétence en matière
d’art contemporain. L’existence
de ce problème se confirme par la
solution qu’apportent les établissements
culturels pour ces publics. C’est
un phénomène qui s’est
créé ces derniers temps,
surtout en Europe, et qui consiste dans
l’installation d’expositions
d’art contemporain dans les lieux
abritant l’art ancien, tels que les
musées, les vieilles villes, les
châteaux, les abbayes, etc…
D’un côté l’art
contemporain a besoin de courtiser les
publics qui préfèrent l’art
ancien, mais ce phénomène
a encore un but : réhabiliter un
lieu peu visité grâce à l’Art
contemporain qui est une sorte de curiosité.
Les publics, les commissaires, les artistes
deviennent des « consommateurs » de
traditions. On verra de plus en plus la
tendance car elle permet de s’adresser
aux publics se trouvant dans plusieurs
camps : ceux qui fréquentent des
musées surtout d’art ancien,
ceux qui investissent dans l’art
contemporain et qui ont besoin d’être
rassuré par la reconnaissance de
la valeur de l’artiste de leur collection
et en même temps, le public surtout
composé par les jeunes qui appartient à la
culture de consommation, ou ceux qui ne
s’intéressent pas aux patrimoine
culturel, ou encore ceux qui vivent dans
les secteurs urbains modernes dégradés,
qui sont souvent issus d’une culture
lointaine hors d’Europe, mais qui
en réalité ont des repères
culturels très faibles. Ce conflit
culturel propagé en Europe occidentale
crée un terrain fertile pour les
artistes contemporains et pour les organisateurs
des expositions qui s’inspirent de
plus en plus des traditions d’art
des siècles passés et d’art étranger.
Soumis aux conditions de la mondialisation
de l’art, ils cherchent de cette
façon un art intemporel et international
pour trouver un langage compréhensible
pour les populations de générations,
d’origines et de cultures différentes.
Un exemple de cet intérêt
de la part des professionnels du monde
de l’Art d’aujourd’hui
pour les expériences du passé,
nous le trouvons dans un des plus grands événements
d’art contemporain non seulement
français, mais aussi international,
telle que La FIAC. L’édition
de La FIAC 2006 devient très significative,
car la Foire quitte définitivement
les pavillons d’expositions, construits
dans les années 1970-80 à La
Porte de Versailles pour se réinstaller
dans Le Grand Palais. Et une autre partie
des exposants de La FIAC 2006 sont accueillis
dans la cour carrée du Louvre et
dans le jardin des Tuileries. D’un
côté, c’est une démarche
purement commerciale, mais de l’autre
côté c’est la preuve
que l’art contemporain n’est
plus un art « révoltant » et
non officiel, mais l’art reconnu
par les autorités culturelles qui
trouvent que les publics visitant les monuments
d’art ancien sont prêts non
seulement à accepter les créations
contemporaines placées dans le cadre
d’un chefd’oeuvre d’art
ancien, mais ils laissent le public faire
une liaison associative entre deux univers
incomparables du premier regard. Souvent
le grand public n’est pas prêt à cela,
car il reste non accompagné par
les créateurs des expositions qui
n’expliquent pas leur logique d’emmener
la Foire dans la résidence royale.
Les visiteurs se demandent pourquoi un
sousmarin arrive dans le jardin des Tuileries,
quelle en est la raison ? Pourtant la raison
est simple : l’art contemporain a
besoin d’appuis, une base prouvée
par le temps et par l’opinion publique
et il les trouve dans l’art ancien.
L’art contemporain « officiellement
reconnu » a besoin d’être
médiatisé, car sa valeur
esthétique n’est pas toujours évidente,
même s’il n’y a pas d’inspirations
directes venant des oeuvres des maîtres
anciens, l’art contemporain présenté non
seulement par l’artiste, mais surtout
par l’organisateur de l’exposition
sera référencé avec
l’art ancien. Malheureusement une
grande partie des événements
d’art contemporain utilise les oeuvres
anciennes en tant qu’un fonds sans
trop plonger dans l’actualité de
l’art ancien, que les artistes voient
souvent mieux que les organisateurs. Voila
pourquoi il est intéressant d’évoquer
les actions artistiques qui révèlent
vraiment les traditions de l’art
ancien réactualisées aujourd’hui.
Nous restons dans le cadre de l’art
officiellement reconnu par les collections
publiques.
D’abord nous allons nous adresser
aux plus grands musées du monde,
par exemple, au Musée du Louvre.
Aujourd’hui le Musée du Louvre
mène une politique en faveur de
l’art contemporain, en effet entre
les années 2000 et 2008 le musée
a organisé plus d’une dizaine
d’expositions consacrées à l’art
contemporain influencé par l’art
ancien. Une des premières expositions
faite en l’an 2000, intitulée « l’Empire
du Temps. Mythes et créations.» a été composée
avec les oeuvres tirées de tous
les domaines de civilisation représentés
au Louvre, des oeuvres empruntées
au musée d’Orsay avec une
incursion dans l’art contemporain.
Déjà cette première
expérience avait pour le but la
démonstration des liens entre les
siècles et entre les cultures réunies
au sein d’un musée de l’art
ancien. Le Louvre alors privilégie
de dire que les traditions existent toujours
dans l’art contemporain. Les dernières
expositions nous montrent : le passé et
le présent dans « A côté rêve
un sphinx accroupi. Des photographes au
Louvre » avec des oeuvres de Patrick
Faigenbaum (12-11-2004 au 07-02-2005).
Les liens entre la tradition et la modernité dans « Contrepoint.
L’art contemporain au Louvre » (12-11-2004
au 09-02-2005). Dans « Profondeurs
Vertes. Commande à un artiste américain » (14-06-2006
au 25-09-2006) les frontières de
l’histoire de l’art traditionnelle
ont été brisées.
Dans « Contrepoint 3 - De la sculpture.
Art contemporain. » (05-04-2007 au
25-06- 2007) Le Louvre attire l’attention
vers l’art ancien grâce aux
sculpteurs contemporains. Trois récentes
expositions personnelles organisées
par le musée dans le cadre de l’art
contemporain nous offrent des points de
vue sur les traditions artistiques anciennes
faites par les trois artistes, tel que
: Sarkis (Sarkis. Rencontres avec Uccello,
Grünewald, Munch, Beuys, 21-02-2007
au 21-05-2007), Anselm Kiefer (Anselm Kiefer
au Louvre - Un nouveau décor pour
le palais, du 25-10-2007) et Jan Fabre
(Jan Fabre au Louvre - L’ange de
la métamorphose, 10-04-2008 au 07-07-2008).
Toutes ces expositions nous présentent
un travail évolutif pour la mission
de l’art contemporain qui de simples
citations va vers l’analyse de l’art
ancien. L’exposition préparée
par le département de l’Art
de l’Islam intitulée « Rencontre » nous
présente l’art contemporain
occidental appuyé sur l’art
oriental du Moyen Age dans les oeuvres
issues du travail commun de deux artistes
italiens inspirés par les Arts de
l’Islam. Les calligraphies d’Emanuele
Pantanella et les créations contemporaines
de Franco de Courten jouent sur les grandes
feuilles de papier. Depuis toujours Emanuele
Pantanella a été fasciné par
le signe et la rythmique à la fois
rigoureuse et à la fois dansante
des lettres arabes. En voyageant de l’Inde à l’Iran,
en passant par la Turquie et le monde arabe,
Pantanella cherche la musicalité graphique
du mot. Il apprend l’arabe et sa
calligraphie, l’architecture particulière
de sa graphie : la structure des lettres,
les signes souscrits… Franco de
Courten est aussi un connaisseur de l’Art
Islamique, il a vécu plusieurs années
en Orient. Emanuele Pantanella et Franco
de Courten se réunissent dans une
libre interprétation des particularités
de la culture classique de l’Islam
que domine l’écrit ; ils y
mêlent les signes, les couleurs et
le goût de la géométrie.
Si le monde islamique préférait
un papier parfaitement lisse, les deux
artistes contemporains utilisent un papier à la
texture non polie. Alors la plume n’y
glisse pas de la même manière,
et avec une encre intense elle se tait
dans les arrondis et elle laisse apparaître
le papier. Comme remarquent les organisateurs
de cette exposition : «Peinture et écriture
vont en toute complicité. Avec l’humour
en partage : un proverbe arabe - « Occupe-toi
de ta santé »- accompagne
une icône de notre culte du corps,
saisie derrière une trame en code
- barres. « Grande est la faute de
celui qui parle » s’adresserait-il
par hasard aux bavardages d’une femme,
fût-elle d’Orient ou d’Occident
? ». Cette exposition est une rencontre
entre l’art de la calligraphie, des
textes remontant aux siècles du
Moyen Age et entre une technique libérée,
qui ne se manifeste pas contre d’anciennes
règles, mais qui cherche à exprimer
la particularité de l’art
ancien de l’Islam en langue artistique
bien explorée par les artistes occidentaux.
Depuis 2004, Le Musée d’Orsay
lance le projet « Correspondance
Musée d’Orsay/ l’Art
Contemporain », dans une vingtaine
de projets déjà réalisés,
l’organisateur principal, l’ancien
président du musée Serge
Lemoine crée un libre jeux associatif
entre une oeuvre qui se trouve dans la
collection et une oeuvre d’un artiste
contemporain, parmi ces « Correspondances » :
J.-F. Millet / J. Kounellis, P.Cézanne
/ J. Wall, C.Monet / F. Morellet, V. van
Gogh / J. Chamberlain et les autres.
De l’autre côté de
l’océan, dans The Metropolitan
Museum, l’art contemporain présenté ne
cherche pas d’appuis dans l’art
ancien, la politique des expositions n’est
pas analytique, elle n’est pas non
plus conceptuelle, elle ne force pas le
spectateur à réfléchir,
elle est plutôt informative. Par
exemple, l’exposition de l’art
contemporain « Closed circuit » qui
a réuni les artistes de vidéos
et des news médias n’a pas
de quelconques correspondances avec la
collection de l’art ancien du Musée
Metropolitan. Metropolitan se dirige vers
les expositions de l’art ancien où il
y a une forte préférence
pour l’art oriental qui se concentre
sur Le Proche et L’Extrême
Orient à partir de l’époque
du Moyen Age. Dans l’intervalle de
temps entre 2005 et 2007 trois expositions
sur l’art médiéval
de La Chine et du Japon ont vu le jour.
L’art de L’Extrême Orient
comme l’art contemporain est exposé ici
sans aucun « parallélisme »,
sans jeu associatif, ni avec l’art
d’autres époques, ni avec
l’art d’autres pays. Par contre,
concernant des expositions consacrées à l’art
du Proche Orient, The Metropolitan Museum
a organisé au cours de l’année
2007 deux grandes présentations
du Monde de l’Islam : « Europe
and the islamique World : Print, Drawing,
Books » et « Venice and the
Islamique World (828-1797) » il a
choisi de suivre la politique actuellement
fréquente dans les musées
occidentaux qui consiste en la « réconciliation » de
deux mondes à travers des oeuvres
anciennes témoignant des liens artistiques,
culturels et économiques entre le
Monde Arabe et le Monde Chrétien.
Pourtant Le Musée Metropolitan n’hésite
pas à s’adresser aux associations
plus ou moins directes que révèlent
des organisateurs de l’exposition « Eternal
Ancestors : The Art of the Central African
Reliquary » pour montrer que l’art
populaire africain a les mêmes racines
que l’art occidental et oriental
et qu’elles remontent de l’Antiquité Tardive
au Moyen Age. Les reliquaires africains
des peuples du Gabon de la fin du XIXe-
début du XXe siècles, présentant
les têtes, les bustes et des figures
anthropomorphiques sont comparés
aux reliquaires créés au
Pakistan au I-IIIe siècle et à celui
de St. Yrieix, daté du XIIIe siècle
et provenant de l’église de
St. Yrieix-La Perche en Haute-Vienne. Revenons
en Europe dans The British Museum qui contrairement
au Louvre et au Musée Metropolitan
reste fidèle à l’art
ancien et s’il invite l’art
contemporain c’est toujours l’art
qui est basé sur les traditions
et c’est plutôt l’art
populaire et «ethnique» venu
des pays lointains. Ainsi au cours de l’année
2007 The British Museum nous présente
les expositions d’art contemporain
de l’Afrique et de la peinture indoue
. Les expositions organisées en
2007 et 2008 consacrées à l’art
oriental et occidental du Moyen Age, telles
que « The First Emperor, China’s
Terracotta Army » et « Tau
Cross, Anglo- Saxon early XI c.» montrent
toujours un intérêt pour ce
sujet, mais elles restent plutôt
informatives, qu’analytiques. A l’Est
de l’Europe, La Russie qui réunit
l’Europe et l’Asie, Le Musée
de l’Ermitage à partir des
années 1999-2000 a donné carte
blanche à l’art contemporain.
Aujourd’hui les projets et les expositions
se multiplient dans ce musée ambitieux
qui veut enrichir sa collection d’art
du XXe et XXIe siècles et qui invite
de façon permanente les galeries
et les musées d’art contemporain,
pour présenter aux grands publics
les artistes d’aujourd’hui.
En 2002, l’Ermitage a acquis « le
Carré Noir » de Kazimir Malevitch,
en 2004 il présente Ilya Kabakov
dans son exposition personnelle « Un
cas dans le musée et autres installations »,
en octobre 2007 l’Ermitage lance
l’exposition « l’Amérique
aujourd’hui » dans le cadre
du projet « l’Ermitage 20/21».
Ce musée n’est pas une exception
et il mène une politique progressiste
en faveur de l’art contemporain,
pourtant la plupart des projets trouve
un lien soit avec la collection du musée,
soit avec les traditions artistiques anciennes.
Parmi ces expositions, celle de l’abstractionniste
Wilem Kooning ouverte pour le 400e anniversaire
de Rembrandt, retrace les traditions de
la peinture occidentale avec ces multiples
triptyques destinés aux églises.
Entre 2006 et 2007 le musée se
dirige vers l’Art contemporain oriental
qui garde plus visiblement les traditions
populaires anciennes : en 2006 s’ouvre
l’exposition « Les couleurs
du Japon dans l’oeuvre de Séridzava
Kéyssyké, le maître
de la peinture sur les tissus de la ville
Sydzouoka » qui revoit l’ancienne
technique traditionnelle « kathazomé » sous
un angle contemporain ; en 2007 s’ouvre
une autre exposition personnelle du maître
bijoutier de La République des Adygués
Assia Eoutykh qui s’intitule « La
tradition et l’actualité dans
l’oeuvre d’Assia Eoutykh » qui
montre une forte inspiration pour les oeuvres
de l’art décoratif avec les
ornements et les symboles qu’on trouve
dans l’Orient ainsi que dans l’Occident
de la période de La Grande Migration
des Peuples.
En 2007, en même temps que le Louvre,
l’Ermitage ouvre l’exposition
qui s’intéresse aussi aux
calligraphies arabes dans l’expression
des artistes contemporains, mais si « Rencontre » du
Louvre se passe entre l’art ancien
de l’islam et les artistes occidentaux
d’aujourd’hui, « La danse
de la plume et des encres » de l’Ermitage
présente l’art contemporain
du Proche Orient inspiré par les
traditions qui déterminent un style
national unique. Avant d’arriver à l’Ermitage
cette exposition conçue en collaboration
avec la galerie privée Triomphe
et une commissaire occidentale, Rose Issa
(connue par les expositions identiques
qu’elle a organisées dans
le Musée de Victoria et Albert à Londres)
a été d’abord « testée » sur
le public moscovite, dans le Musée
de l’Orient à Moscou. Cette
exposition comportant 36 oeuvres d’artistes
venus du Liban, d’Iran, de Tunisie,
d’Algérie, tels que : Ali
Omar Hermes ; Mohamed Ehsai ILL.4; Nja
Mahdaoui ; Etel Adnan ; Rachid Koraichi
; Malihe Afnan devient la plus grande présentation
de cette spécialité d’artistes
jamais organisée auparavant en Russie,
sur le plan que leur art est un art entre
le sens symbolique profond et la décoration.
Pourtant ce n’est pas la première
expérience de l’Ermitage d’avoir
présenté des artistes contemporains
qui parlent des traditions de l’Islam.
En 2003, dans le cadre du festival international
de l’art vidéo PRO/SMOTR à l’Ermitage,
l’artiste américaine d’origine
iranienne Shirin Neshat révèle
les codes sociaux et religieux cachés
dans la calligraphie qui semble si décorative
aux publics non islamiques. Dans sa vidéo « Turbulent » (1998)
présentée au festival, elle
aborde des problèmes essentiels
de la société patriarcale
et fondamentaliste dont elle est issue..
Cet artiste, aujourd’hui installé à New
York, nous entraîne aussi vers une
réflexion plus profonde, c’est-à-dire
dans un monde où l’identité culturelle
est en perpétuel devenir. L’oeuvre
de Shirin Neshat ne cite pas des oeuvres
anciennes, l’artiste souligne ses
racines orientales, elle maîtrise
bien la langue artistique ancienne, mais
elle parle surtout de l’actualité qui
est encore fortement liée au passé.
L’autre artiste américain
présenté dans ce festival,
Bill Viola, est attaché à la
tradition artistique occidentale. Dans
son installation – vidéo,
il s’appuie sur le tableau de Pontormo « Rencontre
de Marie et Elisabeth » exécuté vers
1530 pour l’église Saint Michel
de Carmignano en Toscane et inspiré par
la petite gravure d’Albrecht Dürer « Quatre
sorcières » (1497). Le Musée
de l’Ermitage nous confirme une tendance
fortement présente dans les plus
grandes musées du monde. La politique
de la démonstration de l’art
contemporain peut varier, elle peut être
: informative, comparative ou analytique.
Le statut de ces musées en tant
que « le musée de l’art
ancien » les oblige souvent à faire
le lien entre l’oeuvre contemporaine
et les oeuvres de leurs collections, parfois
même commander une oeuvre « sur
mesure » chez un artiste contemporain.
Nous trouvons ces exemples au Louvre qui
tient à cette pratique depuis longtemps
: il y a plus de cinquante ans, le musée
commande le décor pour la salle
Henry II à Georges Braque ; en 2007
l’escalier nord de la colonnade de
l’aile Sully est décoré par
l’oeuvre d’Anselm Kiefer, les
créations musicales et chorégraphiques
créées spécialement
pour cette occasion sont présentées
au cours des années 2007-2008. Contrepoint
3 -
De la sculpture qui a eu lieu en 2007
a été marqué par les
créations spécialement faites
pour le Louvre. En 2006, Le Louvre invite
l’artiste américaine Mike
Kelley à produire une oeuvre spécifique
; à la fois plasticien, performeur,
musicien, critique d’art et commissaire
d’exposition, Mike Kelley réalise
des installations mixed - média
qui associent l’image animée
et le son à la sculpture . Ainsi,
cela donne une réflexion que les
artistes contemporains ressentent aussi
fortement que la nécessité pour
les grands musées de s’adresser
aux traditions artistiques intemporelles.
Est-ce que dans leur vie hors « les
musées de l’art ancien » les
artistes contemporains exposent leurs attachements
aux traditions ?
Pour répondre à ces questions,
nous allons voir un musée orienté vers
les Beaux Arts de tous les temps et de
tous les pays, avec un intérêt
particulier pour l’art contemporain.
Prenons l’exemple du Musée
des Beaux Arts de Montréal qui a
créé l’exposition « E-Art
: nouvelles technologies et l’art
contemporain. Dix ans d’action de
la fondation Daniel Langlois ». Cette
exposition a réunit plusieurs artistes
canadiens et américains, spécialisés
en mélanges de différentes
techniques multi médias pour la
création de leurs oeuvres. Parmi
ces artistes, trois s’adressent à l’art
ancien. Catherine Richards en collaboration
avec Martin Snelgrove présente l’oeuvre
intitulée « Méthode
et dispositif pour trouver l’amour »,
créée en 2000 en une copie à la
demande du brevet d’invention. Cette
création est composée par
: une vitrine en verre, des circuits électroniques,
capteurs, schémas à partir
de tableaux de maîtres, tel que :
Bronzino, Da Vinci, Da Vignola, Michel
Ange et Rubens exécutés sur
papier et une citation tirée de
la correspondance avec l’examinateur
de brevets. Le texte du brevet est un texte
protégé, car il se trouve
dans une vitrine, comme dans un reliquaire,
ce n’est plus un simple texte, mais
un texte sacré. En consultant le
brevet plus attentivement, nous constatons,
que sur les dessins on a superposé des éléments
technologiques comme : boucle d’oreille,
pince-nez, excitateur de mamelon. Les agrandissements
de ces figures accompagnent une citation
: « Les dessins sont rejetés
parce qu’ils contiennent des images
offensantes. Spécifiquement les
figures 1, 5, 11, 12, 13 sont considérées
contenir de telles représentations
qui peuvent être considérées
offensantes par plusieurs personnes. Donc,
il est requis de les éliminer de
la demande. » Alors d’un côté l’écrit
est sacralisé par l’artiste
comme si c’était La Bible,
mais de l’autre côté,
par cette réponse « d’un
inquisiteur » prononcée comme
un verdict à une « sorcière » le
texte « sacré » devient
une théorie rejetée.
Un autre artiste présenté à cette
exposition cherche lui aussi des repères
perdus dans sa série intitulée « Travaux
de mémoire » et notamment
dans l’oeuvre « Je n’ai
jamais lu La Bible » (1995) faite
avec les circuits électriques fabriqués
par l’artiste, le dictionnaire Webster
et un haut-parleur.
De cette série sur la mémoire
ou sur la rémanence et l’oubli
d’une oeuvre évoquant les
souvenirs et le déracinement culturel
Jim Campbell passe à la frontière
de la reconnaissance des images, il se
concentre sur la mémoire intemporelle.
Ces oeuvres reposent sur plusieurs ambiguïtés,
celle de l’image et de sa perte.
Dans les « Icônes ambiguës » (2000)
ou « l’Église sur la
Ve Avenue » (2001) l’image
est avant tout dans la tête du spectateur.
C’est lui qui reconnaît l’image.
Ici, les oeuvres d’artistes marquent
ainsi l’ambiguïté du
statut des images dans notre monde des
bits informatiques. Son oeuvre est aussi
un discret plaidoyer pour une herméneutique
faisant encore place à l’interprétation
humaine, à cette reconnaissance
ouverte au jeu des ambiguïtés
que portent les sujets humains. Co-exposant
de Richards et Campbell, l’artiste
américain Eduardo Kac s’intéresse
aussi à La Bible au travers d’un
autre aspect de la mémoire humaine
intemporelle. « Genesis » (1999)
est une oeuvre transgénique faite
avec une bactérie créée
par l’artiste, lumière ultraviolette,
ligne Internet et projection vidéo. « Genesis » utilise
la méthode de la conversion qui
est illustrée par une image faisant
partie de l’oeuvre, elle présente
un verset de La Bible converti en code
Morse, ensuite, une table de conversion
traduit en code d’ADN, protéines
de base de l’ADN : T (thymine), C
(cytosine), A (adénine), G (guanine).
Cette exposition dans le Musée
des Beaux Arts de Montréal est très
significative, car elle est orientée
vers les nouvelles technologies, vers l’art
novateur, l’art lié à une
autre réalité telle que l’informatique,
mais nous comprenons très vite que
cet art « novateur » a besoin
de s’orienter vers les cultures anciennes,
car elles sont porteuses des codes incrustés
dans la mémoire du spectateur international.
Ce n’est pas étonnant que
les artistes américains s’adressent
aux oeuvres des anciens maîtres,
aux icônes, aux textes sacrés,
car ils semblent chercher leurs repères
dans le mixage des cultures, dans le « chaos » du
mondialisme et des nouvelles technologies.
Nous apercevons une tendance valable pour
tous les pays, elle consiste dans le fait
que le phénomène de l’art
contemporain ne se présente pas
comme une logique : « l’artiste – l’oeuvre
d’art », mais comme celle de « l’artiste – l’oeuvre
d’art – l’organisateur
d’exposition » et parfois comme
une suite: « l’artiste – l’oeuvre
d’art – l’organisateur
d’exposition – le lieu d’exposition ».
Quelle est la place du lieu d’exposition
dans le phénomène de l’art
contemporain ? En revenant en France qui
possède un très grand patrimoine
historique, nous constatons que certains
sites patrimoniaux invitant les artistes
contemporains internationaux ne cherchent
pas à établir un lien entre
le lieu, son époque, son sens esthétique
et les créations des artistes invités.
Au contraire ils détournent l’esprit
du site pour mettre en place une politique
pseudo – intellectualiste basée
sur la relation l’art/ publics.
Pour être concrète, je donne
l’exemple de l’Abbaye de Maubuisson
qui est un centre d’art contemporain
créé au début des
années 2000 dans le département
du Val d’Oise, il se trouve dans
le domaine d’une abbaye cistercienne
du XIIIe siècle qui regroupe un
ensemble de constructions originales du
Moyen Age. La directrice du centre qui
est en même temps la chargée
de la mission pour l’art plastique
dans ce département Caroline Coll-
Seror fait une déclaration inquiétante
: « L’art contemporain n’est
pas un art de la contemplation, mais un
art de la relation » et elle continue
en posant la question à un des artistes
invités : « Pouvezvous dire
en quoi les oeuvres présentées à Maubuisson
explicitent cette relation et le rôle
accordé au spectateurs ? De quelle
manière sollicitez-vous la participation
des visiteurs ? ». Selon elle « l’abbaye
est aussi un espace publique, un lien d’échange
où l’artiste est en prise
directe avec un public ». Mise à part
cette affirmation douteuse vis-à-vis
de l’art contemporain en général,
qui de toute façon ne peut pas être
généralisée, ce « principe
de Maubuisson » doit être valable
pour une méthode subjective de la
sélection des artistes invités
dans l’Abbaye.
Alors le lieu qui est destiné à être
une concentration de l’esprit, de
la réflexion sur les sujets intellectuels
et religieux, royaume de la méditation
religieuse est converti dans l’endroit
où la contemplation n’est
pas envisageable. D’après « le
principe de Maubuisson » l’art
est « obligé » de rentrer
en contact avec le public, d’être
interactif, il n’a pas le droit d’être
concentré ou d’être
enfermé en lui-même, il ne
peut pas être autonome et par conséquent
l’artiste qui ne réfléchit
pas à la politique du lieu d’exposition,
qui ne crée pas l’oeuvre pour
un spectateur potentiel n’est pas
bienvenu dans ce centre d’art. Bref
comme la valeur esthétique de l’art
contemporain n’est pas toujours évidente,
l’oeuvre « de qualité » pour
les responsables de Maubuisson est une « oeuvre – attraction » qui
appelle le spectateur à l’action
physique, au contact souvent tactile, comme
par exemple les appareils de musculation
dans l’exposition d’Olga Kisseleva « Douce
France » ; la contemplation, le regard
méditatif, admiratif, attentif ne
font pas partie de la relation oeuvre -
spectateur. Intéressant comment
un critique d’art actuel ressent
cette oeuvre d’Olga Kisseleva, détournant
l’esprit original de la salle du
Parloir de l’Abbaye : « Les
coussins des appareils de fitness sont
recouverts de motifs rappelant ceux des
tapisseries médiévales, transformant
cette salle de fitness en salle de torture
Moyenâgeuse ».
C’est triste pour le créateur
qui est souvent obligé de suivre
ce principe autoritaire de Maubuisson,
car il fait (comme Olga Kisseleva dans
son exposition « Douce France »)
ou adapte (comme J.-C. Nourisson, B. Broisat,
F.-X. Courrèges) des oeuvres spécialement
pour l’Abbaye selon « les règles » instaurées
par ce centre artistique. Et c’est
d’autant plus triste que le spectateur
n’a plus la possibilité de
trouver les liens harmonieux entre un lieu
historique et l’art d’aujourd’hui,
il est obligé de constater un fossé entre
le passé et le présent, sans
pouvoir comprendre pourquoi ces oeuvres
contemporaines se trouvent dans une abbaye
médiévale. Puisque « le
projet artistique et culturel de Maubuisson
s’éloigne de la pratique classique
de l’in situ : plutôt que de
partir du lieu pour créer des oeuvres,
il privilégie l’univers singulier
des créateurs invités à s’exposer
dans les espaces mis à leur disposition.
La grange à dîmes est utilisée
comme un volume, une « boîte
noire » propice à tous les
possibles ». Non seulement la grange à dîmes,
mais aussi les parties réservées
aux religieuses sont utilisées simplement
comme les « murs » pour « accrocher » les
expressions artistiques. Nous avons déjà vu
ce phénomène (bien sûr
dans son extrémité) dans
l’histoire proche, quand les églises
ont été reconverties en lieu
de stockage pour des légumes, ou
refaites en théâtres, ou encore
mieux en piscines, quand des couvents servaient
de prisons.
Le vrai esprit du lieu est systématiquement
détourné et parfois même
renversé, par exemple, le parloir
qui était la seule pièce
dans laquelle les religieuses avaient le
droit de parler, l’artiste Jean-Christophe
Nourisson a placé des radios abritées
dans une installation de laine de verre
pour introduire le bruit du monde dans
ce lieu protégé. François-
Xavier Courrèges installe son autoportrait
vidéo « Dreamlike » (2002)
dans la salle des religieuses. Stéphane
Calais place trois chiens fao de restaurant
asiatique « déguisés » en
lions chinois devant des vestiges de l’église
abbatiale. Mais ce n’est pas dans
l’idée de faire des parallèles
quelconques entre la tradition orientale
et occidentale, ou pour faire des associations
avec les traditions médiévales
de ces deux cultures basées sur
la similitude mythologique, décorative
ou symbolique. C’est tout simplement
une des oeuvres de cet artiste invité qui
a été auparavant exposée
dans les salles d’expositions de
la Villa Arson à Nice dans « une
mise en scène », qui s’appelait « Or,
chien et oiseaux » et qu’il
fallait placer quelque part sur le site
de Maubuisson. D’un côté « le
principe de Maubuisson » refuse l’influence
du lieu en tant qu’une source d’inspiration
pour un artiste contemporain invité,
car c’est le lieu qui doit accueillir
une expression contemporaine et c’est
au spectateur de se « débrouiller » pour
produire une opinion, pour percevoir les
idées d’artistes et de commissaires
d’exposition qui ne se croisent pas
toujours. Mais de l’autre côté,
les oeuvres qui remplissent les espaces
de l’Abbaye de Maubuisson sont souvent
tellement « vides » qu’elles « s’accrochent » sur
l’esprit du lieu pour en capter une
moindre association qui va apporter un
sens. Bien évidemment les principaux
acteurs dans cette action ne sont pas les
oeuvres et même pas les artistes,
mais les commissaires mis en place à Maubuisson.
Parfois nous y trouvons des adaptations
surprenantes entre le lieu d’exposition
et le sujet de l’oeuvre comme dans « La
Mariée » (2005) de Stéphane
Calais qui présente la photographie
de mariage de sa mère dans le passage
entre le cloître et le jardin et
se qui doit « faire référence
au mariage christique que les moniales
cisterciennes contractaient en prenant
le voile ».
L’in situ ou pas, il faut justifier
la présence de l’art contemporain
dans un lieu du patrimoine, aujourd’hui
les commissaires expliquent toujours pourquoi
on retrouve un homard suspendu dans des
appartements royaux, ou pourquoi un lapin
de dessins animés est mis sur le
piédestal dans un château.
verso 27 Ainsi le Split Rocker - un hybride
de jouets d’enfants moitié cheval à bascule,
moitié dinosaure animé règne à Versailles,
prenant place dans le parc royal. Cette
création de Jeff Koons réalisée
avec 100.000 pots de fleurs symbolise « la
vie et la grâce ». Cette action
très médiatisée est
marquée par l’édition
d’un catalogue « dans lequel
les oeuvres sont reproduites in situ dans
le cadre d’une installation exceptionnelle ».
Les organisateurs de l’exposition
valorisant si bien Jeff Koons, mais à peine
le Château de Versailles nous donnent
un espoir, que cette édition « ouvrira
plusieurs pistes de recherches »… La
relation entre l’art contemporain
et l’art ancien ne vient que de commencer,
car l’art contemporain veut à tout
prix devenir intemporel.