La guerre n'est jamais froide . Tel est le titre de l'exposition personnelle que le musee d'art moderne et contemporain de Geneve a consacre (jusqu'au 25 janvier) a Gerard Fromanger. A l'exception d'une commande recente passee a l'artiste par cette institution, les oeuvres presentees etaient anciennes. On retrouvait les tres grands formats (320 x 920 cm) peints au debut des annees 90. A leurs cotes, des oeuvres des annees soixante et soixante-dix. En confrontant des tableaux peints a plusieurs decennies d'intervalle, et surtout en disloquant un groupe de vingt-cinq toiles qui, selon l'artiste, ne devrait en former qu'une, le MAMCO a depasse la notion de serie et de chronologie : il a propose une approche transversale dont le theme general etait la guerre, ou plus exactement la peinture d'histoire en tant que genre recurrent au long de quarante annees de peinture.
Le noyau dur de l'exposition etait donc constitue par les grands formats executes entre 1991 et 1994 ; a leur propos, Fromanger a ecrit que seule une necessite interieure m'a pousse. Apres la chute du mur de Berlin, la guerre du Golfe, la purification ethnique en Bosnie-Herzegovine et les drames du continent africain telle fut ma reaction face a la tragedie du monde en cette fin de siecle.
Violent, Noir, nature morte alignait, noir sur blanc, des noms de peintres. Une breve histoire de l'art en somme. Rythmant systematiquement l'accrochage, vingt-cinq toiles lui faisaient echo ; invariablement titrees Batailles , elles presentaient ces memes noms, mais la biffes, ratures, nies par les machines de guerre (chars, avions...) qui, elles, etaient en couleur : tanks rouges et porte-avions bleus.
Ainsi toute equivoque semblait bannie : Fromanger le dit et le peint, la peinture est une reponse a la guerre. Ce credo etait particulierement mis en evidence au MAMCO. En effet, la plupart des oeuvres appartenaient sans ambiguite au genre repute traditionnel de la peinture d'histoire. Etaient notamment presentees La vie et la mort du peuple peinte en hommage a l'eleve de David Francois Topino-Lebrun guillotine en 1801 et De toutes les couleurs, peinture d'histoire de 1992, recemment acquise par l'Etat francais et mise en depot au MAMCO. Dans ce grand tableau, le monde est represente - depuis les Pyramides d'Egypte jusqu'aux Twin Towers de New York - ensanglante et comme eclate. Face a l'image, le peintre s'est represente lui-meme, devant son chevalet, tenant a la main son pinceau d'ou s'echappent des lignes, du lien, du sens. On peut regretter que Je suis dans l'atelier en train de peindre et Tout est allume (deux des pieces maitresses de la grande exposition du Centre Pompidou en 1980) aient ete presentees separement. La premiere oeuvre est un autoportrait metaphorique, la seconde une image du monde : un monde indecodable parce que sature de communications. Rapprochees, ces oeuvres auraient souligne l'importance de la peinture-manifeste chez Fromanger.
Neanmoins, un glissement general de sens s'operait. Toutes les pieces exposees - aussi bien paysages que scene erotique - semblaient contaminees par la guerre et la volonte du peintre d'y repondre. Par exemple, servie par une audacieuse scenographie, Sens dessus dessous renouvelait le theme de la place de la Bastille. Ce tableau-environnement recouvrait l'integralite de la surface murale de la salle qui lui etait reservee. La couleur noire dominait : elle etait aussi bien la couleur du fond de la peinture que celle du sol ou du plafond. Seules les silhouettes des passants se detachaient en deux frises parfaitement inversees. En bas, les figures etaient eclatantes (a chacune sa couleur), en haut l'alignement se declinait en un camaieu de gris.
Opposition frappante, critique, voire pessimiste.
Peintures d'histoire, les Batailles (realisees sur une vingtaine d'annees) insistaient sur la definition du role du peintre selon Gerard Fromanger. Il s'agissait de revenir sur la notion d'engagement qui, pour les artistes de sa generation, signifie militantisme (on se souvient de l'action du peintre en 1968, notamment a l'Atelier Populaire des Beaux-Arts, et de son opposition a l'expo Pompidou en 1972 a la tete du Front des Artistes Plasticiens). Bref, a travers ses peintures d'histoire , terme volontairement emprunte a un ancien vocabulaire, le MAMCO mettait en valeur l'engagement jamais dementi de Fromanger tout au long de sa carriere.
Il ne manquait dans cette retrospective que des series comme Le tableau en question ou Paysages decoupes , suites moins connues mais ou s'est jouee la genese de l'oeuvre du peintre, et ou l'on peut decouvrir sa methode de travail, la maniere dont il analyse le monde. Car, si l'oeuvre de Fromanger est radicale, elle est aussi methodique. C'est ainsi qu'il ecrit avant d' entrer en peinture . Il dresse des listes de donnees avant de les organiser. Il raye les informations inutiles. Ces investigations representent des mois de travail preparatoire avant de saisir les pinceaux. On ne connait pas ces ecrits et l'on se pose des questions : et si,grace a eux, l'on pouvait decouvrir les relations des peintures de Fromanger a la mecanique psychanalytique ? |