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Dossier Christian Babou :
Christian Babou,ou « l’ouvrier dans son art »
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Gérard Guyomard, Cravate, 1967. 54 x 65 cm. Acrylique sur toile.D’OÙ QU’ON AILLE À ALOTÉOU
En 1992 Guyomard est devenu un peintre que l’on dit "important". Il a une place reconnue sur l’échiquier des arts plastiques en France et au-delà des frontières (il a notamment montré ses travaux dans plusieurs musées japonais). Il a même ce que l’on appelle une cote : ses tableaux se vendent plutôt bien.

De telle sorte que, dans son édition supplémentaire de 1992, le Grand Larousse Universel publie une notice sur lui, avec une grande reproduction de N’importe quoi n° 23; la notice indique en conclusion que Guyomard est "un des représentants les plus originaux de la figuration en France." Belle réussite pour cet ancien d’un lycée technique qui commença par dessiner des moteurs chez Dassault et qui aurait pu faire une honorable carrière de cadre dans cette entreprise si le destin ne lui avait pas fait rencontrer assez tôt un restaurateur de tableaux anciens !
Guyomard a certes toujours su qu’il était peintre, même chez Dassault (il dessine sans arrêt depuis l’enfance), mais, un peu méfiant vis-à-vis des écoles et des théories, c’est empiriquement qu’il a travaillé, attentif au travail des autres plasticiens, quelles que soient leurs orientations et toujours heureux d’accueillir une influence, vite digérée par ses procédés de cannibale. Son style s’est rapidement mis en place, puis progressivement enrichi, si bien que maintenant, le peintre, assuré de la pertinence de son travail (mais pas dupe de ses propres facilités : il lui arrive de rater des tableaux, et il le dit !), peut réfléchir à sa propre démarche. Il sait se résumer en peu de mots : quoi qu’il fasse, quelque chemin nouveau qu’il essaie d’emprunter, il est toujours ramené à un noyau qui serait comme un pieu planté au centre de son univers pictural. Il y est attaché "par une ficelle" qui le ramène toujours vers le centre. Heureusement pour lui, ce centre mystérieux (on pourrait utiliser aussi la métaphore du sillon, que sans cesse il creuserait) avale sans problème les éléments suscités par la vie de l’artiste. Un accident de bicyclette par exemple, survenu en Bretagne au cours d’une de ces randonnées dont notre amoureux du vélo ne saurait se passer. L’accident breton est survenu alors que Guyomard entamait une nouvelle série intitulée Où qu’on aille tout est pareil.
Gérard Guyomard, Je vais te dire tu crois, 2000. 100 x 81 cm. Acrylique sur toile.Aussitôt il a composé Ciel ! voilé, tableau construit autour d’une roue fortement déformée, en effet. Pourquoi ce titre de série? Sans doute parce qu’il s’agit d’un autre ce ces poncifs entendus aux zings des bistrots qui mettent le peintre en joie (éventuellement en rogne), et dont il sait la vanité. Il a d’ailleurs ajouté en toutes lettres "c’est pas vrai" dans certains numéros (le 15 par exemple) en songeant à sa chère rue Montorgueil, livrée aux aménageurs du nouveau Paris piétonnier, qui est de moins en moins pareille à elle-même. La série Où qu’on aille… traverse les années 92 et 93, on y rencontre le vélo bien sûr, mais aussi un VTT et un Grand écart de l’artiste où l’on voit non seulement ses pots à pinceaux mais aussi Sophie Marceau dont nous nous
souvenons qu’il est un fan déclaré depuis l’époque de La Boum.
Les années 1993-1999 vont être consacrées aux Paysages de chutes, dont on trouve l’origine dans une décoration de 1985 pour la maternité de l’hôpital Lariboisière. Ce n’est plus la fibre de verre, mais le contre-plaqué que Guyomard découpe maintenant à l’aide d’une scie sauteuse pour réaliser des sculptures. Il y a nécessairement des chutes : l’artiste les assemble et peint non seulement l’endroit mais aussi l’envers des formes ajourées obtenues. De telle sorte que ces nouveaux tableaux, une fois accrochés à des murs clairs, donnent par radiance des taches colorées sur la paroi. Ce procédé conduit l’artiste à limiter l’emploi des diagonales pour revenir à des constructions inscrites dans des systèmes de verticales/horizontales (à l’exception notamment de La Danse, 1993, qui est sans doute circulaire en réminiscence de la ronde enfantine de la maternité). Le Paysage de chute n° 34, par exemple, dispose les figures en trois groupes verticaux surmontés par une sorte de frise à peu près horizontale ; il y a bien entendu des passages d’un motif à l’autre. C’est devant ce genre de tableau que l’on réalise à quel point Guyomard est passé maître dans l’art des transitions. Par transparence ou par contamination de taches colorées, par superposition ou par intrusion d’un graphisme unificateur, l’artiste réussit à ne jamais laisser de hiatus dans ses œuvres. Tout va visuellement de soi alors que tout est absolument arbitraire. Guyomard : ou comment la liberté picturale la plus anarchiste peut être sévèrement contrôlée !

En 1997, Guyomard inaugure les Polyphonies bucoliques. Le numéro 14 est un hommage à Courbet : une photographie de femme nue enfermée dans un néon dessinant un sexe masculin, lui-même à la base d’un triangle dont on peut penser qu’il est pubien, le tout sur fond bleu nuit avec couple s’embrassant et même un footballeur… Cet hommage à l’auteur de l’Origine du monde est significatif à la fois par son thème et par sa technique. Guyomard appartient bien à la filiation directe de Gustave Courbet, celui dont André Breton avait écrit que "par la seule vertu de sa technique il a joui d’un rayonnement si considérable qu’il peut n’y avoir aucun excès à soutenir aujourd’hui que toute la peinture moderne serait autre si cette œuvre n’avait pas existé.
Breton avait raison de souligner que David, peintre officiel de la Révolution, n’a rien apporté de révolutionnaire dans l’art, alors que Courbet, lui-même un révolutionnaire idéaliste, a bâti une œuvre qui n’a directement exprimé aucune doctrine politique. C’est dans la manière même de faire de l’art qu’il a consciemment cherché, et trouvé, la subversion. Guyomard, peignant ou empruntant à des magazines des images fortement sexualisées, retrouve l’état d’esprit de Courbet réalisant les Demoiselles des bords de la Seine (été) en 1857. Proudhon aurait bien voulu y lire une critique sociale du milieu des prostituées de luxe. Mais le peintre avait autre chose en tête en caressant sensuellement de son pinceau les parures et en inscrivant les demoiselles à l’intérieur d’un ovale horizontal parfait dans un monde réinventé. Ne peut-on en dire autant des tableaux de Gérard Guyomard qui mêlent le concret le plus trivial à l’abstraction la plus conceptuelle?

Gérard Guyomard, De la rue Montorgueil à Ouaga, 2004. 91 x 116 cm. Acrylique sur contre plaqué.Fin 1998 et début 1999, la Villa Tamaris de La Seyne-sur-Mer présente un ensemble d’œuvres de Guyomard avec, bien entendu, des Polyphonies bucoliques qui autorisent le préfacier, Marc Birraux, à insister sur la question de la "quadrature du sexe" chez le peintre. "La peinture de Guyomard, écrit-il, nous entraîne dans un monde fantastique structuré, comme celui des rêves : jeu subtil de signes et de symboles, déplacements, condensations… Le désir s’y exprime en se revêtant des atours du quotidien, mais il échappe sans cesse à qui veut en percer le mystère. Le mystère c’est la pâte même de la peinture qu’on l’approche au plus près, dans le secret d’un art créant une lumière paroxystique qui traverse le tableau comme un vitrail…
L’âme de l’œuvre se trouve là, sans doute, décalée, comme mise en réserve, pour ne pas se livrer toute entière."

La série Je vais te dire, en 1999-2000, accentue encore, s’il est possible, la double orientation guyomardienne, cette chimie de l’abstrait/concret faisant de chaque tableau "un film du réel intérieur" selon une formule de Birraux. Voici donc, dans le n°3, à la fois l’image de Rita Hayworth, l’héroïne de la scène réputée la plus érotique de l’histoire du cinéma (vous savez bien, c’est dans Gilda, elle porte des gants longs, elle en ôte un, interminablement…) et une fenêtre réellement percée dans le tableau. L’envers de ce dernier a été peint en rouge, de telle sorte que la radiance va pouvoir jouer à nouveau, et le tableau changer d’apparence avec les variations de la lumière ambiante.

L’année 2001 est marquée par le retour à l’horizontalité et la réapparition de la palette de l’artiste dans ses compositions. Il s’agit d’une incursion dans les appartements (un de ses premiers thèmes de jeunesse) : au centre de L’eau du bain, une jeune femme prépare son bain, mais l’eau provient de la trompe d’un éléphant facétieux qui semble installé à l’étage du dessus. "Dans ma peinture, commente l’artiste, je pars du quotidien à un moment pas nécessairement maîtrisable où surgit un événement entre moi et les autres (réel ou imaginaire) une sorte de connivence, une jouissance offerte, partagée?"

Gérard Guyomard, De la rue Montorgueil à Ouaga, 2004. 91 x 116 cm. Acrylique sur contre plaqué.La période 2002-2004 reste caractérisée par des tableaux construits par séquences horizontales, dont le caractère narratif est renforcé par des titres humoristiques, souvent des stéréotypes tels qu’on les entend partout : YFOKESEMOIKIFETOU ou bien PARPALEMINVID. Il y avait eu, auparavant, des titres poétiques comme Les carottes sont crues ou drolatiques comme Le penseur ou comment retirer la chaussure coincée sous le pied de l’escabeau lorsqu’on est assis sur la dernière marche de celuici avec, effectivement dans le tableau, un Penseur de Rodin victime de ladite situation.
L’un des récents tableaux de Guyomard est emblématique de la civilisation du téléphone portable : Aloteou (2003). Avez-vous remarqué qu’on ne se contente plus de dire "allo" quand on utilise ce nouveau moyen de communication qui a la propriété de se déplacer dans l’espace avec son utilisateur? Pour nourrir et même gaver d’images ses tableaux, Guyomard est devenu un lecteur assidu de Femina, Gala et du Catalogue des Trois Suisses. C’est grâce à cela que nous voyons une femme en soutien-gorge noir, un portrait de blonde maquillée, une voiture et un équipement de bureau complet dans Aloteou. Sans oublier le chien Pluto qui vient davantage de l’enfance de Gérard Guyomard que de Walt Disney. Des cadres s’emboîtent (verticalité/horizontalité) et de larges plages de couleur (mauve, orangée, verte) vibrent intensément. "Ensembles superposés où tout se devine avait écrit le peintre, - rien n’est dit – la couleur explose à haute dose – l’œil cherche longtemps et patiemment où aboutissent les lignes, elles divergent, convergent et se perdent : la lecture est à reprendre."

Dossier Gérard Guyomard Le stratège de l’atelier par Jean-Luc ChalumeauAvec Guyomard, la lecture est toujours "à reprendre". J’avais écrit, dans les années 80, que "les tableaux de Gérard Guyomard racontent peut-être des histoires. Mais alors ce ne sont pas des récits. Une page de Burroughs est-elle un récit?" Gérard avait placé le texte dont est issue cette phrase dans le catalogue de son exposition rétrospective du Centre Culturel Noroit, à Arras, en 2001. Et de fait, elle fonctionnait toujours à propos des travaux les plus récents. Pas de récits, donc : les tableaux de Guyomard offrent bien davantage à qui sait les aimer, comme le chat de William Burroughs. "Le chat n’offre pas de services. Le chat s’offre lui-même. Bien sûr, il veut de l’attention et un abri. On n’achète pas de l’amour pour rien. Comme toutes les créatures pures, les chats n’ont pas de sens pratique." Les tableaux de Guyomard sont vraiment comme le chat selon Burroughs : ce sont des créatures pures. Ne leur demandez pas de sens pratique.


Gérard Guyomard exposera au Quinconce des Jacobins de la ville du Mans du 2 au 28 mai dans le cadre de Puls’Art 2005.
Avant lui, Ègalement dans le cadre de Puls’Art, Henri Cueco exposera ses travaux sur le thème de Philippe de Champaigne à la Collégiale St Pierre la Cour du 15 avril au 2 juin.

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Jean-Luc Chalumeau
mis en ligne le 03/01/2005
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