Lun semble grimper à léchelle tandis que lautre tombe à la renverse. Et pourtant, lhomme ne pose pas les pieds sur les barreaux. Tout se passe comme dans un rêve un peu burlesque. Quant à la jeune fille, la jupe entièrement retroussée dévoilant ses cuisses, elle donne le sentiment dêtre emportée plus par linéluctabilité de la loi de la gravitation universelle de Newton que dêtre la victime dun malheureux accident. Il y a dautres échelles et personne dessus. Elles se dressent de biais dans lespace et ne reposent sur rien.
Il ny a dailleurs ni cieux, ni architectures ni paysages, mais un grand damier rouge et ocre jaune. Sur cette surface colorée, des images de reptiles sont encore lovées dans leurs oeufs ou figurent au premier stade de leur existence. Dune planche didactique des salles de classe dautrefois, Paul Harbutt a extrapolé des oeuvres à la fois nostalgiques et dérisoires. Il a décidé dutiliser ces grands chromos qui ornaient les murs des écoles primaires et qui servaient à linstruction des enfants, leur permettant de sévader dans des univers fabuleux ou, au contraire, leur donnant lenvie de les fuir en traversant les murs comme Gaspar, le gentil fantôme.
Avec Pas de pleurs, exécuté en 2004, élaboré comme toutes les oeuvres évoquées ici, il utilise une autre planche, cette fois avec des vers et des chenilles, recouverts de coups de pinceau et de coulures blanches. La tête dun éphèbe antique a été collée à lenvers au centre de la toile. Lensemble donne le sentiment que non seulement les figures sestompent et le sujet de la composition se dissout, mais aussi que le tableau serait presque sans objet (cest-à-dire : sans sujet). Les textes soigneusement calligraphiés de toutes parts fournissent à ce dernier une tonalité nihiliste (ou dada !) car on voit écrit en anglais : « pas dobscurité », « pas de murmure », « pas denfer », « pas de paradis », « pas de lumière », « pas de futur ».
Dans Devin, quelques objets dessinés et une photographie sont disséminés sur un fond bleu irrégulier. Lartiste y a ajouté les deux mains dun sourcier brandissant sa baguette, comme sil cherchait dans tout ce bleu délavé la vérité de la peinture quil poursuit avec acharnement. Avec Conséquence, il utilise la planche de la fécondation, la plupart ont été estompées car on les devine plutôt quon ne les voit. La petite photographie dune femme vue de profil, avec les cheveux relevés, prend dans ce dispositif une importance cruciale. Tout paraît devoir sorganiser autour delle. Quand il compose Jumelles, il emploie cette fois une planche représentant la reproduction de la cellule sans laltérer (on suit tout le processus de son évolution) et y a imprimé les deux silhouettes de toutes jeunes filles qui marchent dun pas décidé.
Paul Harbutt, dans cette série doeuvres, joue sur plusieurs registres. Le plus marquant est sans aucun doute lhumour de caractère dadaïste quil détourne au profit dun propos sensiblement différent, moins corrosif et encore moins destructeur ou insolent, mais déconcertant. Cet humour, à la fois noir et dérisoire, est par exemple lingrédient principal de ce tableau où limage dune pièce de boeuf collée en son milieu laisse échapper un filet de sang jusquau bas du châssis. Lénorme cloque bleue à la surface de la carte de lOcéanie dans La Fin du monde est tout aussi risible que le sont les moustaches de lhomme dont le portrait est installé au coeur dElément : en volutes volubiles et macaroniques, elles portent à la puissance dix les attributs distinctifs de Salvador Dali.
Avec dautres compositions comme Fleurs et feuilles, il a procédé à un collage qui repose sur un érotisme absurde et délirant. Quand il compose Si seulement vous saviez, un peigne placé à la verticale envahit toute la toile. A la surface de cette toile qui pourrait passer pour un hommage ironique à René Magritte, un grand nombre de clichés anciens sont reliés par des lignes rouges et sinueuses. Ces documents sont collés sur une vieille planche de biologie ou de zoologie. Cela pourrait être un pur jeu iconographique. Il nen est rien : à la mort de ses parents, survenue voici peu, il a retrouvé des boîtes remplies de photographies de famille, mais sans la moindre indication aucun nom, aucune date. Il ne subsiste donc que ces visages, ces groupes, ces couples qui évoquent un roman familial complètement perdu, mais qui laisse une trace énigmatique.
Enfin, il a réalisé deux autres toiles où il a partagé la surface de la toile en deux parties presque égales. La première est réservée à la peinture, la seconde à un fragment de planche scolaire, retouchée ou non. Tonic montre des coupes du tissu cutané accompagnées de petites têtes de mannequins et, dautre part, une jeune fille vue de dos (et ce dos est nu) portant une tresse, sur un fond uni rouge. Dans la seconde, baptisée Cadence, une scène érotique de la Renaissance est traduite à linstar dune sanguine ; au-dessus delle, des profils de femmes, enceintes ou non, se découpent sur des dessins pédagogiques dinsectes.
Dans son atelier romain, Paul Harbutt a recherché et trouvé une issue nouvelle à son aventure picturale, qui se caractérise toujours par un retour sur des moments privilégiés de lart moderne, mêlant le pastiche à la transgression qui touche parfois au burlesque, une petite danse fantasque au-dessus dun volcan menaçant et tragique. |