Parmi la pléthore estivale dexpositions dart contemporain qui font rage sur lhexagone et bénéficient souvent dun fort battage médiatique et de budgets adéquats ( Biennale de Lyon, La Beauté en Avignon, Présumés Innocents au CAPC de Bordeaux
), il en est certaines qui se font remarquer autrement
Lexposition présentée au Musée du Havre fait partie de celles-là ; " les trahisons du modèle " constitue un ensemble de manifestations qui associent institutions, lieux denseignement et lieux de diffusion de lart actuel. Ce projet a vu le jour grâce à un partenariat avec lassociation Café Crème basée au Luxembourg .
Tous ces partenaires associés ont souhaité provoquer des rencontres, des échanges et surtout donner à voir ce que la photographie des années 80 et 90 avait pu apporter au large éventail de la création autour de limage du siècle " tout fraîchement passé ".
Toute une génération dartistes souvent jeunes, parfois issus des écoles dart ont développé une sensibilité particulière sur des supports multiples mettant en jeu de nouvelles approches de la photographie, du multimédia, des nouvelles technologies. En cela, ils se réapproprient ou même transforment des expérimentations déjà visitées par leurs aînés qui, dès la fin des années 70, affirmaient haut et fort que la photographie nétait plus un ersatz de la création visuelle contemporaine .
De par sa nature et aussi par son positionnement devenu central depuis une trentaine dannées dans les arts plastiques, la photographie sest retrouvée dans la situation de proposer et dinventer différents modèles de projets et de comportements. La photographie a peut-être reposé de manière radicale ce que la peinture de chevalet avait aussi parfois magistralement inventé, à savoir la très étrange relation que lartiste peut tisser avec son modèle
Les uvres choisies et proposées par Françoise Cohen ( Conservateur en chef du Musée Malraux ) proviennent de collections publiques françaises et luxembourgeoises à savoir pour lessentiel du FNAC ( Fonds National dArt contemporain / France ) et de la Collection de la Banque et Caisse dEpargne de lEtat du Luxembourg . La qualité des photographies réunies
( une quarantaine environ ) sous le titre générique les années 80 : la dépose des modèles, et aussi lintelligence de laccrochage sobre et efficace, battent ici en brèche lidée souvent à la mode que des institutions publiques seraient en peine de travailler et de proposer des axes de recherche ou du moins de curiosité aux visiteurs avertis ou non .
Portraits et autoportraits, jeux de re-présentation, images de miroirs, simulacres et travestissements, manipulations ou évictions des modèles jalonnent le parcours de cette exposition .
Avec les portraits de la Callas dAnge Leccia, de Joseph Beuys de David Bailey et dAndy Warhol signés Robert Mapplethorpe, nous nous rappelons que les années 80 ont souvent véhiculé des icônes. Annette Messager et Cindy Sherman ne cessent de sauto-représenter désarticulant avec cynisme et parfois complaisance leur propre image .
Joël-Peter Witkin dans Négros fetishist (1991) sattaque quant à lui à la figure tutélaire de Gustave Courbet en nous offrant une variation photographique rehaussée à lencaustique et crayons de couleur, la fameuse peinture " latelier"
Les auto-portraits de Dirk Braeckman nous font penser aux images de Urs Lüthi (curieusement absent de lexpo) qui voisinent avec les effigies religieuses colorées et impeccables dA.Serrano qui feraient presque référence à la touche sombre et voluptueuse de Zurbaran !
Mention spéciale aux Studies for hologram de Bruce Nauman (1970) , belle série de ses grimaces, mimiques à la fois burlesques et dramatiques qui stigmatisent une intériorité simultanément tendre et perverse.
Après des études de musique puis de photographie Dieter Appelt aborde lart corporel dans les années soixante, où il se passionne déjà pour linterrogation des choses, le point de fuite, le silence. Le visage devient une des préoccupations essentielles de son travail tout comme Arnulf Rainer né en Autriche en 1929 qui, obsédé par le devenir de sa propre image et sa confrontation avec la mort, réalise depuis plus de trente ans des autoportraits avec corps écartelés et croix .
Plus sucrées mais non moins symptomatiques sont les images dAziz et Cucher dans le Distopia May de 1996 et de Gilbert and Georges .
En contrepoint austère, et malheureusement partiellement exposés, les portraits photographiques de Roman Opalka qui en 1965 décide de conduire un projet unique pour toute une vie : peindre -en blanc- la suite des nombres de 1 à linfini en éclaircissant imperceptiblement les fonds de 1% de blanc supplémentaire à chaque nouvelle toile
Simultanément, il enregistre sa voix chuchotant cette numérotation et photographie son visage. Rigueur dun dispositif et apparente simplicité sont lapanage dune ambition presque métaphysique dont laccrochage ici ne peut rendre compte .
Ce nest pas le cas de laperçu du travail des trois femmes artistes qui, en quelque sorte concluent ce parcours de qualité : Sophie Calle avec sa parodie dun mariage (1993), Florence Paradeis dont on aimerait quune expo monographique lui soit consacrée prochainement et enfin et surtout la très belle série du FRAC Haute Normandie des Gentlemen ( 1981-1983 ) de Karen Knorr, version photographique et viscontienne de lirréversible décadence de laristocratie anglaise . Une superbe série dimages noir et blanc dont chaque légende (judicieusement traduite) oscille entre fiction et réalité . Exemple de lune dentre-elles sous limage dune bibliothèque desthète :
His ideas began to take form of words to group themselves into sentences .
The rythm of his own language swayed him .
Something to lift their minds to awake sentiment .
Instinctively, he alliterated .
Ses idées commenceraient à se formuler en mots
A sarticuler en phrases
Le rythme de son propre langage le berçait
Quelque chose qui porte leurs esprits
Qui éveille le sentiment
Dinstinct, il procédait par allitération .
Fin dun parcours dexposition qui nest quun chapitre de cet ensemble consacré à la photographie dont les dates douvertures dans les différents lieux du Havre ne coïncident malheureusement pas toujours, puisque seule lexpo du Musée est ouverte en août et septembre .
A noter également lexcellent accueil qui vous est réservé et lemplacement assez exceptionnel du Musée dont la transparence architecturale ne met que très rarement en péril la visibilité des uvres . Et pour les nostalgiques rappelons que le Musée Malraux possède une superbe collection dEugène Boudin ( 1824 1898 ) ainsi que de très beaux tableaux dOthon Friesz
( 1879 1949 ) dont on oublie quil est né au Havre
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