version impression |
participez au Déb@t |
le dossier : Fabrice Hybert |
|
Entretien avec Thierry Laurent |
F.H. : Certes. Mais mise à part l'époque romantique et son mythe de l'artiste maudit, l'artiste isolé est un cas très rare dans l'histoire de l'art. L'isolement de l'artiste a duré le temps du Romantisme. L'art moderne n'est pas " isolé ", l'art contemporain encore moins. Picasso recevait beaucoup de visiteurs dans son atelier. Il allait voir du monde. Même un artiste comme Chaissac connaissait la plupart des artistes de son temps et échangeait une correspondance très importante avec eux. Van Gogh est une exception, un cas spectaculaire qui a contribué au cliché de l'artiste maudit, c'est vrai, Van Gogh ne voulait pas communiquer et l'admettait. Les artistes ne sont pas des gens fermés au monde, bien au contraire.
T.L. : Oui, mais dans votre entreprise, je constate qu'il y a une vraie division du travail, il y a un côté hiérarchisé, ou, disons, départementalisé. Il y a un service communication, un service fabrication, une directrice artistique.
F.H. : Tout le monde est très polyvalent en fait.
A. : faisceau d'actions que d'une ligne directive.
F.H. : Autour de cette table, les personnes assises n'incarnent pas des "fonctions" mais des "personnalités".
T.L. : Concrètement comment naissent les idées? Vous dialoguez, vous parlez ?
F.H. : Oui, on parle, on discute. Beaucoup de choses naissent de mes dessins, de rencontres, mais aussi de propositions d'autres artistes.
|
|
A : Notre recherche est pluridirectionnelle. On cherche à construire avec Fabrice, mais aussi au-delà de Fabrice, si j'ose dire. On peut parler d'idéal de convergence, d'échange entre les uns et les autres. On va aussi vers les artistes.
T.L. : Cela veut dire quoi " aller vers les artistes " ?
A : Regarder autour de soi, voir ce qui se produit, être à l'affût de tout ce qui se passe autour de nous. Nous sommes une " société de recherche et de production artistique ", la société que Fabrice a créée en 1994 a aussi pour but d'élargir l'art à différents champs d'activité.
C: UR débouche sur Woolways aussi.
T.L. : Sur quoi ?
F.H. : Le Réseau International de structures communes qui produisent des uvres pour les artistes.
T.L. : Vous produisez de l'art pour d'autres artistes ?
F.H. : Oui
T.L. : Si moi, artiste, j'ai une idée, vidéo ou installation, je peux frapper à votre porte et vous pouvez produire mon uvre ?
F.H. : Le problème sera de trouver les bons partenaires.
T.L. : Vous êtes donc une société de production artistique non seulement pour Fabrice Hybert, mais aussi pour d'autres artistes.
A : Exact. C'est même le principe de base de Unlimited Responsibility. Nous produisons pour nous et pour les autres.
F.H. : Quand j'ai crée UR il y a huit ans, ce que je voulais c'est que l'argent de la société soit utilisé à produire d'autres artistes. Petit à petit, d'autres structures de production artistique se sont mises en place dans le monde, très similaires à la nôtre, soit sous forme de SARL d'association ou de fondation. Et le réseau international qui fédère ces structures s'appelle Woolmays.
T.L. : Peut-on dire que vous êtes prestateur de service artistique ?
F.H. : En quelque sorte. Le problème est que les esprits ne sont pas encore formés pour ça.
P : IL ne faut pas oublier de valoriser l'étape de la production artistique. C'est une des choses que nous voulons montrer.
T.L. : Est-ce qu'on peut dire aujourd'hui que l'art fonctionne économiquement comme le cinéma ?
F.H. : Complètement.
T.L. : Les conditions de production de l'art se sont donc petit à petit calquées sur celle du cinéma?
F.H. : Non ! C'est exactement le contraire. C'est le cinéma qui a calqué sa structure de production sur l'art.
T.L. : Je ne vous suis pas.
F.H. : Le cinéma n'existe que depuis un siècle. L'art existe depuis le seizième et davantage. Au seizième siècle. Il y avait des gros ateliers de production. Les uns faisaient les peintures, d'autres les emballages. Le romantisme a créé cette parenthèse de l'artiste introverti, de l'artiste seul dans son coin, de l'artiste maudit en somme. Cela dit en passant, je n'ai rien contre l'artiste maudit, je trouve ça très bien.
T.L. : Donc, pour vous, la structure actuelle de la production du cinéma ne fait que reprendre la structure absolument classique de l'atelier accueillant une multitude de collaborateurs.
F.H. : Tout à fait.
T.L. : Est-ce que des artistes sont venus vous voir pour faire produire leurs uvres? Lesquels?
A : Je travaille avec Fabrice depuis un an à mettre en place des projets avec des artistes. Je suis sur un projet de catalogue raisonné avec Villeglé. Nous sommes en train de chercher les moyens financiers pour que soit réuni sur CD-Rom l' équivalent de cinquante et un ans de travail Villeglé. La vocation de UR est de relier l'art à différents champs d'activité. Les artistes investissent des champs nouveaux pour la production de leurs uvres, Je pense à un artiste comme Jean-Luc Moulène qui a besoin d'outil industriel pour son uvre. Il va chercher de nouveau matériaux, de nouveaux savoir-faire, afin de produire des uvres différentes des formes classiques de création, sculpture, dessin... En ce moment, je cherche un fabricant de baignoires pour l'uvre de Jean Luc Moulène, qui sera absolument somptueuse. Je cherche aussi des fonds pour produire des uvres photographiques et vidéo.
T.L. : Comment trouve~vous les fonds ?
A : On téléphone. On va voir des chefs d'entreprise. On établit des dossiers de financement.
T.L. : Je suppose que la caution de la société UR est une caution artistique importante pour un mécène.
F.H. : Justement, un artiste isolé a peu de chance d'obtenir un financement. En revanche, s'il passe par notre entreprise, c'est plus facile. Pour une simple raison: un chef d'entreprise préfère avoir pour interlocuteur une autre entreprise qu'un individu isolé.
|
|
Jean-Luc Chalumeau |
mis en ligne le 11/02/2002 |
Droits de reproduction et de diffusion réservés; © visuelimage.com - bee.come créations |
|
|
|
Lexique des termes employés:
|
Peintures homéopathiques:
peintures réalisées à partir de 1986, conçues comme des accumulations d'écritures, de dessins et de photographies. Sortes de grandes narrations, elles sont une mise en forme ludique et poétique de l'ensemble des préoccupations de l'artiste, scientifiques, économiques, écologiques, météorologiques. Processus d'élaboration de la pensée de l'artiste, elles témoignent en même temps de son désir de rendre visuel son cheminement mental. Les peintures homéopathiques témoignent de la place accordée par l'artiste au dessin et à la peinture, fondement de son uvre proliférante qui se déploie par glissements successifs, correspondances et hybridation.
|
POF:
" prototype d'objet en fonctionnement " : instruments ludiques ou pratiques, invitant le spectateur à les expérimenter lors d'exposition conçues comme des centres d'essayages. Les POF échappent à la destination murale et contemplative de l'uvre d'art pour inviter le spectateur à faire sa propre expérience du réel. Actuellement au nombre de cent cinquante, ils sont la synthèse de son uvre. Invention née d'une idée, d'une phrase et continuée par des dessins, ils sont ensuite réalisés et présentés systématiquement accompagnés d'une vidéo les montrant en état de fonctionnement. Aucun POF ne naît d'un besoin. Les POF sont des objets de désir, de rencontres, leur univers est celui du rire et de la vie. Manipulés par le public au cours des expositions, les POF induisent de nouveaux comportements, de nouvelles manières d'être, ils sont une invitation à l'invention et à la pensée.
|
Le plus gros savon du monde:
réalisé en 1991, grâce à l'aide d'une entreprise marseillaise de détergents, il est inscrit du fait de sa taille démesurée dans le Guinness des Records. Présenté sur les parkings de centres commerciaux, il allait à la rencontre d'un public qui n'était pas forcément celui de l'art.
|
UR:
société fondée par Fabrice Hybert, destinée à donner corps à tous ses projets ainsi qu'à ceux que lui confient d'autres artistes. Entreprise destinée à produire au sens économique du terme une infinité de formes, d'objets, d'expositions. |
|
|