MANUEL
AUSTRE.
Pendant sa conférence, «Révélations
post mortem » ou « Les Observations
cliniques de l’Après », grand
A, petit a, petit b, petit c, Manuel Austre, petit
d, va enfin prendre l’exemple attendu le
mieux placé de sa mort personnelle. À cette
annonce, l’assemblée se propage d’un
brouhaha insonorisé. Le silence des papiers
bonbon n’ont pas le temps de finir de se
déplier qu’ils disent Chut !… L’orateur
jauge son public puis se retourne et dessine l’organe
de sa mort sur le tableau noir. Il lui décrit
le processus final en lui remplaçant, après
un coup d’éponge humide, le déjà pas
beau par l’horrible. Il lui gribouille un
tortillon dans lequel on reconnaît visiblement
la souffrance et les cris de sa douleur. Il fait
sortir de cet amas embrouillé un tracé par
où passe l’arrivée du passage
P en une flèche qui montre la mort rejoindre
son cerveau C pour devenir simple cervelle C’,
mais attendez, attendez, pas encore ! car chacun
peut voir le conférencier effectuer des
zigzags partout rompus sur l’étendue
des restes du vivant de sa mort. Il fait ainsi
clairement apparaître que ce ne sont bientôt
plus que des tremblements d’éclairs
: c’est par eux que la mort lui regarde les
hémisphères réparer en toute
hâte quelques-uns de ses derniers électrons
cérébelleux inférieurs au
cours de l’Après dont il ne s’était
pas rendu compte pendant son vivant… L’assistance
scande L’Après, l’Après,
l’Après ! Le docteur Hon, qui jusque-là écoutait
l’orateur, éclate de rire puis se
lève, prend ses gants, enfile son chapeau
et donne en quittant la salle de furieux coups
de canne sur les dossiers de bois des strapontins
pour exprimer son scepticisme… Une rumeur
d’hésitation parcourt la salle entière… Notre
conférencier ne se démonte pas. Dans
le silence revenu, il ouvre un grand couvercle
et montre sobrement voir constater le témoignage
de son cadavre mort depuis trois jours. Stupeur
dans les rangs de l’assistance ! On veut
savoir la suite ! On réclame l’après,
on trépigne L’Après! L’Après
! L’Après ! L’Après est
Maintenant, le cadavre n’a rien à dire
tant il est parlant de celui qu’il fut après
qu’il n’était plus. Il confirme
l’équivalent de son être vivant à tous
ceux qui ont des yeux pour voir, et dans les moindres
détails, jusqu’à son absence
remarquée qui parle pour lui depuis le début
de la conférence et qui prouve (s’il
en est besoin) la disparition qui le précéda
: une disparition dont personne n’a jamais
osé pouvoir constater le contraire. Ovation
admirable du public reconquis… On s’embrasse,
on se congratule, on se touche, on se dit qu’on
ne rêve pas et qu’on a bien vu la disparition
du conférencier et la vie posthume de sa
mort ! Au sujet de l’auteur de la conférence,
Docteur Hon – encore un qu’il est impossible
de n’avoir jamais tort – prétend
la supercherie que ce n’est pas lui, mais
un autre ! – Enfantin ! la ficelle usée était
grosse comme une corde, et, quant à l’absence
de l’auteur disparu, bête comme chou
! il a tout bonnement suffi qu’elle se soit
faite remplacer par une autre à peine différente
de la première, pour abuser les gogos.
SAMUEL AUTRE
Mécanicien et bricoleur de génie,
inventeur d’un procédé qui
porte son nom, il ne survit pas à la présentation
qu’il fait de son invention. L’alcôve
de la mort. Le 13 mai, sur la scène de
la Femme Française, devant un parterre
de stars, débute un spectacle qui promettait
de faire la démonstration de comment s’y
prend la pratique intime de la mort. Mais l’intensité du
courant nécessaire à la projection
lumineuse met rapidement le feu à des
papiers d’archives, (les documents éparpillés
après la reddition des Derniers Gouvernements,
dont beaucoup avaient été froissés
en boulettes ou bien souvent transformés
en confetti). Des papiers, le feu ne tarde pas à se
propager au bâti de bois de l’installation
puis aux sièges du parterre, aux gradins
(de bois également), et à tout
l’édifice. Le feu couve tout d’abord,
provoquant d’épaisses fumées,
qui, tout en se faisant confondre un temps avec
les effets des manifestations fantastiques du
procédé, ne savent plus si elles
sont les volutes de la marche de la mort venue,
ou le fantôme mouvant de son cadavre. Description
du procédé Autre ou La trop brève
carrière d’une invention. Le Procédé Autre était
l’aboutissement de 21 prototypes, pas moins
! Les 20 premiers étaient inaboutis ;
ils ont été impitoyablement détruits
par l’inventeur. Le 21e, enfin parfait,
portait la lettre U du nom de son auteur… mais
hélas ! il fut celui qui disparut avec
lui ! Il était fondé sur la propriété que
possède la glace sans tain (A), lorsqu’on
la dresse devant un fond sombre, de refléter
les objets que l’on place au-devant d’elle
(en C), en laissant apparaître en même
temps les objets restitués derrière
elle (en D) tout en l’inclinant et la surélevant
quelque peu de façon à ce que le
bord inférieur a repose sur l’avant
de la scène (E) pour pouvoir éclairer
un personnage (B) dans les dessous – son
image réfléchie (C) parvenant indirectement
aux yeux du parterre de stars (évoqué plus
haut) – et pour pouvoir paraître à celui-ci
se mouvoi????4?r sur la scène même,
par un réglage convenable de leurs mouvements
respectifs. Dans ce dispositif, A, B et C pouvaient
ainsi figurer une scène complète
entre un acteur réel A et B, (le Médecin
pour l’occasion), et un personnage C (le
Cadavre de ce dernier en patient mécontent
du docteur qui l’a tué) fondant
sur l’homme de l’art pour le tuer à son
tour. En retour, le personnage du Médecin
A et B, tout ensemble Auteur et Acteur, devait
faire semblant aux spectateurs de voir constater
sa propre mort ellemême. Hélas !
on n’a rien vu. Rien |