La réédition
récente d'Un homme qui dort constitue
un événement qui a été justement
salué par la critique. C'est, comme souvent
dans le cas d'une telle réédition,
l'occasion de redécouvrir une oeuvre importante.
Faisant l'objet d'un travail formel particulièrement
recherché, que les auteurs eux-mêmes,
Georges Perec et Bernard Queysanne, ont commenté dès
sa sortie, c'est un film original mais aussi
saisissant. Queysanne a ainsi confié qu¹il
a jugé aboutie cette expérience
lorsqu'il a pu voir l'émotion des spectateurs,
pendant les premières projections : " ça
marchait. " Si la réception critique
de ce nouveau DVD a été bien évidemment
positive, il me semble qu'on n'a pas assez salué le
travail éditorial tout à fait exceptionnel
auquel il a donné lieu. Le DVD comporte
bien sûr une bande-annonce, mais aussi
une version espagnole et surtout des versions
allemande et anglo-américaine, aux traducteurs
remarquables : Eugen Helmlé et Harry Mathews.
De plus, il est accompagné d'un deuxième
DVD intitulé " Les suppléments ",
dont le contenu est loin d'être anecdotique.
On y trouve en effet deux films réalisés
par Bernard Queysanne quelque 25 ans après
sa collaboration avec Perec, pour Arte.
Le premier, Lire-traduire Georges Perec, est
un passionnant dialogue entre deux traducteurs
de La Vie mode d'emploi : Eugen Helmlé et
David Bellos. Le deuxième, Propos amicaux à propos
d'Espèces d'espaces, est un hommage à l'écrivain
qui prolonge les longs plans à travers
Paris d'Un homme qui dort : il s'agit à la
fois d'un portrait de l'homme Perec, reconstitué à partir
du témoignage de proches, et d'une adaptation
d'Espèces d'espaces, essai (mais aussi,
indirectement, autobiographie) consacré non
pas exactement au " vide [mais] plutôt
ce qu'il y a autour, ou dedans. " Si ces " suppléments " sont
bien des oeuvres à part entière,
qui ont un intérêt en dehors même
de leur lien avec Un homme qui dort, leur présence étonnera
moins que celle d'un petit livre (ou " livret "),
autre supplément dont la nécessité s'explique
par l'histoire du film. Celle-ci est d¹ailleurs
très bien retracée dans ce livret
par Bernard Queysanne : à partir de
l'ouvrage Un homme qui dort, les deux auteurs
ont procédé à une adaptation " à la
règle et au ciseau ". En effet,
ils ont voulu faire entendre le texte de Perec
en voix off ce qui les a d'ailleurs obligés à problématiser
la relation entre les images du film, en quelque
sorte muettes, et le texte énoncé par
Ludmila Mikaël.
Ils ont dû pour cela choisir certains
passages du livre, supprimant (et barrant à l'aide
d'une règle) tout ce qui pouvait être
suggéré du fait de la présence
de l'image (le " réflexif "),
mais aussi réécrivant certains
passages, tout en respectant leur caractère
répétitif, propre à Perec.
C'est ce texte réduit que le livret
nous donne essentiellement à lire :
passionnant document génétique
mais aussi texte inédit, " réduit " par
son auteur même, il a été édité à partir
d¹un ouvrage barré et annoté que
possède Bernard Queysanne. Dans ce livret
figurent encore deux rééditions
de textes essentiels, écrits au moment
de la sortie du film : l'un de Franju (" Au
point mort de la vie ", paru dans Positif),
l'autre de Perec lui-même (" Un
homme qui dort, lecture cinématographique ").
Reste le plus important : conformément
au voeu de départ des auteurs, Un homme
qui dort apparaît bien, grâce à cette édition,
autant comme un film à voir, un texte à entendre
que comme un livre à lire.