Démosthènes Davvetas appartient à ce genre dartistes si particuliers et si intrigants qui envisagent leur création comme un passage incessant et passionné entre la peinture et lécriture. Comme Cy Twombly, quil a bien connu, quil admire et quil a commenté dans le passé, il ne vise pas une symbiose idéale entre ces deux termes de lactivité artistique et littéraire quels que soient les moyens mis en uvre. Il recherche plutôt létablissement de tensions de différentes sortes entre eux. Pour Twombly, tout se joue encore au sein du tableau, devenu le lieu métaphorique dun mur antique, dun volumen ou dun tableau noir. Pour Démosthènes Davvetas, tout se résout dans une multiplication des instances fondatrices de luvre, dans une extrateritorialité qui devient simultanément peinture, poésie et performance.
Comme lartiste aime à le dire, une couleur peut être ce qui engendre lécriture dun poème, comme si elle avait le pouvoir de se changer en sons et puis en mots et en phrases. Je serais enclin à penser que le contraire pourrait tout être tout aussi vrai en ce qui le concerne. Ce qui est sûr, cest que la sphère poétique et la sphère picturale nont de laisse de sinfluencer lune lautre et de se contaminer dans un dialogue alerte et dynamique. Et elles prennent toute leur ampleur, donc toute leur puissance et toute leur signification, quand il les met en scène au cours de représentations uniques dont il est à la fois linstigateur et lacteur principal. Il a souvent recours à un modèle (il peut, par exemple, écrire ou peindre sur sa peau comme il peut aussi le faire sur le mur ou sur des feuilles de papier) dans un spectacle qui se révèle à la fois rituel et ludique. En utilisant ce stratagème théâtral (ou plutôt théâtralisé), il entend rendre à ses actes leurs dimensions physiques, métaphysiques ou même liturgiques, car il a lambition que son spectacle, aussi peu religieux soit-il dans son essence, aussi ancré dans la matérialité puisse-t-il paraître, prenne néanmoins une valeur transcendantale.
Cest incontestable : il y a dans son esprit une collusion cultivée avec soin et avec ferveur entre la poésie le faire poétique en premier lieu et le sport la culture de la corporéité et le culte du combat comme art de la dialectique du corps et de la pensée abstraite. Cette relation intime, bouleversante, fondamentale, puise ses ressources dans les fragments de Pindare (surtout dans sa sublimation des jeux olympiques) et dans les adages de Sismonide (cest lui qui a soufflé à Léonard de Vinci lidée que la poésie est un dessin qui parle et que le dessin est un poème muet), mais également dans la philosophie (en particulier chez Nietzsche) et dans la mythologie classique.
La poésie de Démosthènes Davvetas nest ni formaliste ni savante, ni précieuse, pas plus dailleurs que ses tableaux. Il se place résolument au-delà de la modernité. Mais quon ne sy trompe pas : son art poétique et sa poésie picturale qui se répondent sans fin ont été élaborés dans la grande forge de lhistoire de notre civilisation et ils sont sous-tendus par de nombreuses lectures et une relation profonde avec la peinture dautrefois. L « écriture totale » (lexpression est de lui) à laquelle il aspire nest rien dautre que ce qui reste une fois que la mémoire oublieuse a rempli son office. Il sagit dun dépôt de savoir quil utilise dans des uvres exécutées avec une grande spontanéité. Force est dadmettre que ce microcosme si intense, si haut en couleurs, si touffu, rehaussé dor comme les icônes orthodoxes, avec un étrange mélange de naïveté et de références aux régions les plus hautes de notre culture, est dabord le lieu privilégié où célébrer la littérature (à travers la présence de Victor Hugo ou de T.S. Eliot), de la danse (avec le portrait de Marie-Claude Pietragalla), de la musique (avec le buste de Beethoven), de la pensée et de son audace (avec Friedrich Nietzsche), de lart (Warhol et Basquiat sont ses sujets favoris), des héros de la Grèce homérique (à commencer par Achille), tous convoqués dans un jardin dEden peuplé de femmes nues et danimaux de toutes sortes. Tout cela saccompagne dune apologie de la boxe, ce « noble art » quil continue à pratiquer et qui est pour lui lexpression la plus pure de la pratique artistique telle quil la conçoit.
Enfin, lécriture est omniprésente dans la majeure partie de ses compositions comme si ces espaces disjoints dans les termes de bonne intelligence de la peinture étaient maintenus ensemble par un équilibre miraculeux grâce à ces paroles inscrites à la surface du papier. En grec moderne, en français, en anglais, la poésie de lartiste est le fruit dun cosmopolitisme revendiqué car il ne reconnaît aucune autre patrie digne de ce nom que celle de lart les autres, celle de son origine, celle qui est désormais la terre où il a choisi de vivre et enfin celle qui lui permet dêtre chez eux un peu partout dans le monde nexistant plus que de manière relative.
La quête intérieure de Démosthènes Davvetas est sous-entendue par le désir cet éros élevé au rang de deus ex machina dun transport de lâme se matérialisant au cours dun combat à la loyale quil mène avec une plume ou un pinceau au bout des doigts ou, sinon, des gants noués aux poignets. |