Des fac-similés d’un paquet de lessive belge RAMSA datant
des années 50. En regard, des photographies couleur d’un
paquebot fatigué servant de support publicitaire à la lessive
OMO. Le tout accroché sur un fond rose acidulé, presque écoeurant.
Il était en effet tentant de faire le parallèle entre
ces photographies prises lors de son séjour à Salvador
de Bahia au Brésil en 2008, et ce paquet de lessive trouvé dans
un grenier par des amis. Mais au-delà de la coïncidence,
de l’anecdote amusante, il y a dans l’installation Au nom
de l’artiste présentée par Ramsà à l’Espace
Culturel du Centre I.U.F.M. de Reims, une question grave posée
: la question de l’eau, du respect de l’environnement et
de la planète.
L’eau n’est pas montrée. Juste suggérée
par l’évocation de lessives à l’ancienne.
Les deux femmes de profil, qui passent impassibles devant l’objectif
en portant chacune traditionnellement une lourde caisse sur la tête,
nous font penser au linge lavé autrefois à la rivière.
Mais il n’en est rien, ce ne sont que des caisses réfrigérantes
en polystyrène contenant des aliments. Et puis il y a le paquebot,
qui nous parle de traversées, de croisières, de tempêtes
et de houle.
Le paquet de lessive RAMSA a quelque chose de fabuleux et d’étrange
qui renvoie aux produits dérivés d’œuvres
d’artistes. Il s’apparente aux ready-made de Duchamp, ces
produits manufacturés, détournés et hissés
au rang d’oeuvre. La lessive OMO, plus familière, fête
ses 100 ans cette année. Pionnière dans l’utilisation
de la puissance technologique - OMO est sans savon depuis 1952 ! -
elle a durablement formaté les stratégies publicitaires
dans ce domaine. Ses slogans restent populaires : « OMO est là,
la saleté s’en va », ou encore fin des années
80, « plus fort[e] pour les taches, plus tendre pour le linge ».
A priori rien à redire pour la ménagère, que
les publicistes voudraient voir à l’affût de la
formule idéale lui garantissant des tenues impeccables malgré l’adversité du
quotidien. Mais on se souvient d’un sketch de Coluche qui met à mal
les archétypes publicitaires des principales marques de lessive
et leur obsession pour le blanc, flirtant avec le ridicule et le risque
de transparence : « elle lave plus blanc que blanc…».
L’air de rien, notre vigilance est éveillée, et
le rayon laser bleu et blanc, qui s’échappe du paquet
pour corroborer le slogan, a ce quelque chose d’inquiétant
des films de science fiction. Sa mission : désintégrer
la saleté récalcitrante. C’est là que le
regard de Ramsà est pertinent. Elle capte toute la justesse
de la situation. De cette affiche qui se délite, se désagrège
sous l’attaque du vent et des paquets de mer, elle met en lumière
les méfaits des agents chimiques trop agressifs pour les textiles,
mais pas seulement. La saleté est désintégrée,
mais à quel prix ? L’eau pure sensée nettoyer le
linge se trouve irrémédiablement souillée, se
déversant dans les rivières et dans les mers entraînant
la pollution qu’on sait.
Ce qui est époustouflant, c’est la dimension picturale
de ces images prises sur le vif. Le bas de l’affiche part en
lambeaux, faisant référence aux affichistes et à Villeglé.
Mais il y aussi un quelque chose de Gerhard Richter tirant sa peinture à peine
sèche sans révéler pour autant la généalogie
du tableau. La composition s’organise autour de deux obliques
dynamiques créées par le pont du bateau et le rayon laser
de la publicité. Les personnages pris à hauteur d’épaule
sont comme écrasés par le cadrage très serré.
La couleur les happe. Ils n’ont plus d’épaisseur.
Au-delà de cette nouvelle coïncidence qui dénonce
des slogans mensongers et des pratiques responsables à terme
de graves problèmes sanitaires et d’environnement, c’est
le symbole de la société capitaliste de consommation
qui tombe de son piédestal. Les deux femmes sur l’une
des photos, continuent de vaquer imperturbables à leurs occupations,
bien plus préoccupées par leur survie quotidienne, qu’à la
dernière trouvaille de la marque OMO. Seul un homme, la main
sur le front, regarde au loin, pensif. A-t-il conscience de l‘effondrement
qui se profile.
Cette installation s’inscrit dans la continuité de la
réflexion que mène Ramsà autour de l’eau
et plus particulièrement sur les questions d’environnement.
L’eau, élément à la fois enchanteur, fascinant
et indomptable se retrouve dans les vidéos La balade des seins
perdus (2003) ou Retour à l’envoyeur (2003), présentées
dans l’exposition. L‘artiste va plus loin en nous renvoyant à nos
comportements irresponsables face à la nature et le monde :
dans une autre vidéo, Up to date (1) elle nous compare à ce
petit enfant désinvolte malmenant sur la plage un hochet en
forme de globe terrestre. La question de l’eau comme élément
rare et précieux est développée dans la série
des glaciers de l’Antarctique pleurant des larmes de diamants.
EIles symbolisent le prix exorbitant que font payer les pays occidentaux à la
population mondiale. Les travers de la société capitaliste
gangrènent l’économie et l’écosystème
de pays en voie de développement, à leur tour incapables
de gérer seuls les pollutions qui les dépassent.
L’installation C’était trop beau (2007), revient
sur la valeur inestimable de l’eau, l’eau source de vie,
eau produit de luxe, qui se fera de plus en plus rare au point de ne
plus devenir qu’un souvenir. Le poisson desséché et
sans vie dans son bocal sera remplacé par son image directement
sérigraphiée sur le verre.
Ramsà accorde une attention toute particulière à ses
titres. Au nom de l’artiste, n’échappe pas à la
règle et présente un double sens. Il renvoie bien entendu
au paquet de lessive du même nom. Mais il signifie, au-delà du
témoignage, que l’artiste fait entendre sa propre voix
et exhorte par le biais du décalage et de l’incongru (2) la population mondiale à une prise de conscience pour préserver
l’eau et l’environnement.
On en vient à espérer quelque miracle, puisque Ramsà,
(pseudonyme choisit par l’artiste sans en connaître la
signification) veut dire « la main de Dieu qui protège » en
arabe. Et si la lessive RAMSA était la lessive rédemptrice,
naturelle, contenant des composés divins actifs, capables de
préserver les humains d’eux-mêmes. A moins que l’artiste
par la pertinence de son regard sur le monde ne soit le gage de notre
rédemption.