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Lecture de lart
Martial Raysse schultor |
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Deux orientations majeures émergent des deux fontaines nîmoises de Raysse. Dune part, La Fontaine de la Place du marché à Nîmes, fondée sur une relecture des armoiries du patrimoine nîmois (crocodile et palmier), inscrit la statuaire de Raysse dans la tradition dun bestiaire symbolique.
Dautre part, le Portique de la Source de lEtoile, élément central de la Place dAssas, réhabilite le genre de la statuaire monumentale, issue en droite ligne de lantiquité grécoromaine. Encadré de deux figures allégoriques et tutélaires, Le Jour et La Nuit, le Portique se présente sous la forme dun petit temple stellaire tétrastyle qui nest pas sans rappeler les stupas de la tradition architecturale bouddhique.
Ces deux tendances se retrouvent dans sa peinture, mais de manière unifiée. Martial Raysse y mêle des personnages allégoriques, incarnant des émotions et des sentiments humains, à un bestiaire symbolique foisonnant. Parmi dautres symboles animaliers (moutons, serpent, oiseau) le crocodile est un motif récurrent, de Mégalopolis (1977-78) au Carnaval à Périgueux (1992), en passant par les deux fontaines nîmoises.
Avec la colonne et le coeur, létoile est un des symboles majeurs de liconographie rayssienne. Elle se décline en de multiples variantes, mais la forme de létoile à 5 branches est de loin la plus répandue. Elle apparaît dans Oued Laou, une installation de 1971, où elle nest encore quun signe dématérialisé et univoque. Lannée suivante, avec Six images calmes, létoile devient symbole, doué dune riche polysémie.
Cette mutation correspond non seulement à une nouvelle conception de loeuvre dart : loeuvre (peinture ou sculpture) est à nouveau envisagée « comme une production de sens » (11); mais elle témoigne également dune séparation entre la peinture et la sculpture, confondues à la fin des années 60 au profit de ce que Raysse appelle un objet (12) archétype tridimensionnel. Lartiste est revenu récemment sur ce processus paradoxal qui la conduit de sa forme archétype à la sculpture : La longue réflexion sur les archétypes, dit-il, ma conduit de la peinture à la sculpture. De la réflexion picturale, jai tiré une forme qui est devenue objet, libérée de lespace du cadre ; [
] cest une sculpture. (13)
Le paragone
Les oeuvres des années 80 révèlent toute la tension qui anime le travail créateur de Raysse, figure bifide de peintre-sculpteur. Audelà de symboles et de motifs communs, au premier rang desquels la colonne (14), une véritable dialectique sinstaure entre sa peinture et sa sculpture. Ce dialogue entre les « soeurs ennemies » joue un rôle moteur dans lélaboration de son oeuvre. Raysse « saccepte aujourdhui à la fois comme peintre et sculpteur » (15), il reconnaît avoir désormais pris la mesure de la spécificité propre à chacune des deux disciplines. Comme Poussin avant lui, Raysse désire redonner à la peinture le poids spécifique de la sculpture : la recherche du modelé est ainsi le trait dunion entre les deux pratiques.
La Statue, une détrempe contemporaine de la série du Graal, est un hommage à la Statue du Faune de la Maison du Faune à Pompéi, cestà- dire un clin doeil de Martial peintre à un moment précis de lhistoire de la sculpture occidentale. Son déhanchement caractéristique et limpression de vie qui sen dégage peuvent être rapprochés dun tableau de Piero di Cosimo sur le thème de Prométhée (16), «sculpteur mythique de la première figure humaine, capable de donner la grâce de la vie à son oeuvre ».(17)
La Statue de Raysse articule ainsi de manière subtile les deux pratiques antithétiques, constitutives de ce que lhistoire de lart nomme traditionnellement le paragone (18) : la pratique picturale, à travers lallusion à un moment mythique de la peinture occidentale tel quil saccomplit à Pompéi de manière emblématique ; et la sculpture, par le biais de la référence paradigmatique à Prométhée, le premier sculpteur mythique.
La statue qui sanime, cest-à-dire littéralement dotée dune âme (en latin anima), rappelle un célèbre aphorisme de Michel Ange qui envisageait la sculpture comme « lâme de la peinture » et considérait « cette dernière dautant meilleure quand elle va plus vers le relief » (19). Elle est également liée à ce que Raysse nomme le « mystère de lIncarnation ».
Pour Raysse « la peinture est comme les nuages, elle na pas dâge ». Une manière de proclamer luniversalité et lorigine céleste de la peinture. Une variante de ce refrain poétique est inscrite sur la Place dAssas à Nîmes : « les nuages sont sans âge ». Létoile inclinée du monument principal de la place, le Portique de la Source de lEtoile est une métaphore de linspiration poétique qui doit être rapprochée de lange astrophore du Carnaval à Périgueux. (20) À la source des étoiles, Raysse sculpteur puise un message venu du fond des temps
. Dans laffichemanifeste de lexposition « Une forme en liberté » en 1969, il évoquait déjà les mystères impénétrables du Cosmos : Voisine inaccessible. A la vitesse de la lumière toutes nos vies humaines assemblées ne nous permettraient pas de latteindre. Inaccessible humainement parlant
[
] Dans ma réflexion sur lévolution de la forme jai cherché à libérer celle-ci du cadre, puis du support enfin de toute contingence. Voici issue du projecteur visible et retenue par le plafond son image, rien ne mempêche de la suivre dans sa course jusquau lieu doù elle procède en moi : PROXIMA CENTAURI. (21)
La sculpture occupe une place tout à fait centrale dans loeuvre de Raysse. Il est dailleurs tout à fait remarquable de constater que sa peinture et sa sculpture se sont développées en parallèle, lune entraînant et informant lautre. Dans les années soixante, lutilisation en peinture comme en sculpture du néon, « couleur par-delà de la couleur », et du plastique, « couleur dans la masse » (22), répondait à un souci délaborer une oeuvre dart immatérielle, voire artificielle. Le retour du socle et la facture ébauchée des petites sculptures de la fin des années 70 coïncidait avec la redécouverte progressive de la perspective : les petits personnages traités en grisaille de la série Spelunca ont ainsi laspect de véritables « sculptures peintes ». Dans le même temps, Raysse affirmait le souci de « dessiner par lombre et la lumière », de « séparer la lumière des ténèbres »(23). Au milieu des années 80, lorsquil honore ses premières commandes publiques de statuaire, son langage symbolique est déjà largement en place, il ne fait en quelque sorte que le transposer en sculpture. Mais, en retour, les figures de ses peintures acquièrent une plus grande plasticité et le fond de ses tableaux est traité pour la première fois dans sa totalité, comme si sa confrontation avec lespace public avait fait naître chez Raysse le désir de semparer de la totalité de lespace du tableau.
Plus récemment, à travers les expositions Le Carnaval à Périgueux (1999), et Dieu merci (2005) à la Galerie de France, sa sculpture sinsère au sein dune démarche interdisciplinaire où chaque élément, peintures, esquisses préparatoires, petits bronzes ou poésie, concourt à la cohésion de lensemble. Raysse affirme ainsi son désir de « présenter une exposition comme un poème », entremêlant les mots et les techniques. Sa sculpture nest pas une production isolée mais un reflet plus large de lensemble de ses préoccupations, car, aime-t-il à répéter « un quartier dorange a le goût de lorange entière ».
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Sébastien Harosteguy |
11) Paris, 1997 : 86 Entendons par là production dun sens qui soit extérieur à loeuvre, car loeuvre minimale a bien un sens, mais celui-ci ne renvoie quà loeuvre elle-même : on dit quelle est autoréférentielle ou autoréflexive.
12) Ce terme est tout à fait révélateur du climat et des réflexions artistiques de lépoque puisque les artistes minimalistes parlent en termes équivalents : on pense notamment aux Specifics Objects de Donald Judd ou aux Floor pieces de Carl Andre. Mais cette théorie du « destin objet » de loeuvre dart est déjà partagée par les tenants du Pop Art et des « Nouveaux Réalismes ». On pense en particulier aux cibles et aux drapeaux américains de Jasper Johns, ainsi quaux fameux « Combine Painting » de Rauschenberg.
13) Martial Raysse, cité par Dominique Stella, Martial Raysse, Galleria del Gruppo Credito Valtellinese, Milan, 2000 : p.18 ; notre traduction.
14) La récurrence du motif de la colonne (ou du fragment de statues) illustre le conflit du peintre et du sculpteur. On la retrouve dans de nombreuses peintures de Raysse (Le Taurillon du bon chemin; Cronos, Le Minotaure, Lenfance de Bacchus; Mégalopolis) La colonne est dailleurs dans les années quatre vingt comme un trait dunion entre sa peinture et sa sculpture, notamment si lon songe aux diverses oeuvres sculptées qui emploient ce motif : La Déesse (1980), La Fontaine de la place du Marché (Nîmes, 1988), Sol et Colombe (parvis du Conseil économique et social, Place dIéna, Paris, 1988)
15) Martial Raysse, 2000, op. cit.: pp.18-19 ; notre traduction
16) Deux tableaux en fait : Histoire de Prométhée, Munich, Alte Pinakothek, et Histoire de Prométhée, Strasbourg, musée des Beaux-Arts.
17) Daniel Arasse, Le Sujet dans le tableau. Essais diconographie analytique, Paris, Flammarion (Idées et Recherches), 1997.
18) Ce conflit du peintre et du sculpteur, tel que Raysse semble lincarner, est issu en droite ligne de la querelle entre peinture et sculpture développée à la Renaissance, et connue sous le nom de paragone. Il sagit en quelque sorte dune transposition de la bataille qui, depuis lAntiquité, oppose lâme et le corps. Dans son De Pictura, Alberti établit la supériorité de la peinture sur la sculpture, même sil reconnaît que « ces arts sont apparentés et [qu]un même esprit nourrit la peinture et la sculpture » ; Alberti donne « la préférence à lesprit du peintre parce quil sapplique à quelque chose de beaucoup plus difficile » (Alberti, De Pictura, (1435), Paris, 1992, trad. Jean-Louis Schefer, p. 139-141 (II, 27) Cette hiérarchie sera reprise par Léonard,qui considère que « la sculpture est un discours plus simple et demande moins defforts à lesprit que la peinture » (Codex Urbinas, 21 v) Pour Hegel encore, seule la peinture serait capable dexprimer cette vie de lâme, cette incarnation de lesprit. Le terme de paragone nest pas spécifique à la querelle peinture/sculpture, il désigne au sens large le parallèle entre les arts , notamment entre la peinture et la musique, et, plus fréquemment entre la peinture et la poésie. (cf. Lauriane Fallay dEste, Le Paragone. Le parallèle des arts, Paris, 1992.) Ce dernier se fonde sur la formule de lut pictura poesis (« la poésie est comme une peinture ») dHorace (Cf. Rensselaer W. Lee, Ut pictura poesis. Humanisme et Théorie de la Peinture. XVe-XVIIIe siècles)
19) Bernard Marcadé, « Les fantômes de la peinture », Cahiers du Musée national dart moderne, n°40, Eté 1992 : p.51
20) Tout récemment, Sinema, les anges sont avec toi (2005), visage monumental au néon en hommage au cinéma qui orne la façade dun cinéma parisien (le MK Beaubourg en bord de Seine), revient sur ce rôle dintercesseur de lange, véritable Hermès de la lumière dans le discours rayssien.
21) Paris, 1992, p. 118
22) Martial Raysse, « LEcole de Nice à la Biennale de Paris », Communications, Nice, n°4, oct.-nov. 1961, p. 22 ; repris in Paris, 1992, op. cit., p. 36.
23) Martial Raysse, op. cit., p. 275. |
mis en ligne le 30/07/2007 |
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