Gérard - Georges Lemaire
Histoire du salon de peinture
Klincksieck Études
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Le « Salon » est lexposition de peinture quorganise en grande pompe la très respectable Académie. Institution qui aura le mérite de résister aux changements de régime, de goût, de modes, et même aux révolutions. Pour comprendre son importance, Gérard-Georges Lemaire remonte au temps des artisans membres dune corporation, et dont lapprentissage était de lordre du « savoir-faire », de lexécution manuelle. À la Renaissance, le système des corporations est remis en cause. Les peintres se réclament du statut dartiste libre : leurs uvres ne relèvent plus de la seule exécution, mais sont dorénavant lexpression de la plus haute intelligence humaine. Lhabileté manuelle se met au service de la « causa mentale », de « linvenzione ». Doù la nécessité de créer une nouvelle structure denseignement, où la géométrie, la philosophie, lanatomie, seront dorénavant indispensables à la connaissance dun art devenu intellectuel et humaniste. LAcadémie est née, et cette université de tous les savoirs va se répandre dans toute lEurope, lItalie, bien sûr, mais aussi la France, avec son Académie Royale de Peinture et de Sculpture, créée à linitiative de Colbert en 1648. Seulement voilà, enseigner une nouvelle conception de lart, cest bien, mais encore faut-il exposer les uvres qui en découlent, exigence dautant plus nécessaire quun « public » nouveau, issu de laristocratie financière, apparaît. Doù lorganisation, sous la tutelle de lAcadémie, du fameux « Salon », destiné à accueillir des amateurs avides de débats, mais aussi susceptibles dacheter les oeuvres. Pendant presque trois siècles, les toiles vont sexposer dans un climat de complot, de jalousie, de querelles opposant « rubénistes » et « poussinistes », « coloristes » et « partisans du dessin », néoclassiques et romantiques.
Cest en 1667 quest organisée la première exposition, qui durera modestement quinze jours, et lexpérience sera renouvelée à un rythme biannuel. De cérémonie intime, le Salon va se transformer en événement mondain : celui de 1737 fait date par son succès. Lhistoire de lart français se joue dorénavant au Salon. Un nouveau genre littéraire voit le jour, la critique dart. Certains y excellent, comme Diderot, évaluant les uvres au regard de son propre goût, avec ce que cela comporte de subjectivité revendiquée et de refus de toute esthétique normative. Très vite, un débat senvenime autour des modalités de sélection des artistes. Sélection rigoureuse des uvres au risque dexclure les plus audacieuses ? Ou bien liberté absolue daccès, au risque daccepter pléthore duvres inintéressantes ? Cest dabord un jury restreint et rigoureux qui impose ses choix, lesquelles déplaisent aux artistes en mal démancipation : la Révolution Française abolit lAcadémie et la remplace par une « Commune des arts » : pour un temps, le mode daccès au Salon se fera sans exclusive. En 1791, sept cents uvres sont exposées pour six cents quatre vingt sept artistes. Cest trop ! Forcément, la qualité sen ressent. Nouveau changement de cap. Dorénavant, le Salon sera organisé par « lÉcole des Beaux Arts », qui succède ainsi à lancienne Académie. Retour à un jury émanant dun aréopage de professeurs jaloux de leurs prérogatives, pratiquant une sélection faisant souvent fi des enjeux artistiques au profit de motifs carriéristes. Lintrigue, plus que le talent, semble être le maître mot. Linstitution, qui ne satisfait personne et mécontente tout le monde, va pourtant perdurer tout le long du dix-neuvième siècle. Les artistes nont cessé de sen plaindre, la trouvant tour à tour trop conservatrice, puis trop laxiste, au point douvrir la porte aux pires médiocrités, notamment pendant les périodes révolutionnaires (1830, 1848), où les hiérarchies sont abolies. Entre libre accès et excès de censure, le Salon ne cesse de tergiverser, devenu aussi terrain de débats, où excellent Théophile Gautier, Baudelaire, les frères Goncourt, Zola. Ce climat daffrontement esthétique, qui favorise léclosion des premiers journaux artistiques, nest pas étranger à limmense succès du Salon, devenu rendez-vous incontournable du Tout-Paris du Second Empire.
Cependant, le conservatisme esthétique lemporte sur toute autre tendance, et le Salon se sclérose en faveur dun art quon qualifie « dacadémique ». Certes, des artistes comme Courbet, Millet, plus tard Manet, finirent par y être accepté, mais au prix de combien de rebuffades et de quolibets. Dautres arènes font alors jours. Dés 1863, un Salon des Refusés sera autorisé par Napoléon III afin de ne pas exclure les écoles nouvelles. Courbet exposera ses toiles, à deux reprises, dans ses « Pavillons du Réalisme », construits avec ses propres deniers, et les artistes « impressionnistes » organiseront en 1874 leur propre manifestation, dans les ateliers du photographe Nadar. Mais la grande période du Salon a sonné le glas. Dautres structures se pérennisent : galeries dart bien sûr, mais aussi expositions en dehors de la mouvance des Beaux-Arts, comme la Société des Artistes Indépendants créée en 1883, le Salon dAutomne aussi, où les « Fauves » font leur apparition. On la compris, le Salon est une structure qui correspond à une époque où sobserve un certain consensus dans le champ artistique. Avec lavènement de la « Modernité » et le défilé des « ismes », le débat artistique prends un caractère éclaté, théorique, mais aussi ouvert aux élites bourgeoises, et il est désormais inconcevable quil soit tranché par les oukases dun jury restreint. Le Salon est désormais obsolète. Il aura tout de même duré presque trois siècles. Mission accomplie. |