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Les artistes et les expos
Bernar Venet, La règle du jeu |
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par François Barré |
Les onze sculptures de Bernar Venet implantées à Luxembourg ne sont pas les ajouts décoratifs dun ensemblier venu là pour agrémenter une promenade. Ces oeuvres impressionnantes ne veulent ni célébrer, ni édifier, ni entrer en aimable dialogue avec leur environnement, ni répondre à la demande dun sujet majuscule qui, par elles, ferait signe à la postérité. Elles expriment la force autonome dune oeuvre constituée, réglée jusquen ses incertitudes.
Toute une genèse de loeuvre dart sest écrite dans lénigme de la forme, le mystère du jaillissement, lambiguïté des sens, laffect et leffusion. Bernar Venet a toujours pris des positions radicales le situant aux antipodes de cette subjectivité à loeuvre et linscrivant dans la logique dune modernité construite en rébellion pour affirmer la rigueur du calcul, le primat de lobjectivité et la nécessité dune procédure explicite ; mais encore le refus de lartiste mage, du chaman et de son aura. Son travail privilégie une plénitude du sens concentré en une monosémie, le choix de matériaux exempts de connotations symboliques et un mode dagir fondé sur lédiction de règles strictes.
Comment loeuvre naît-elle ? Est-elle leffet dune alchimie mystérieuse, nous plaçant devant les mystères premiers de linvisible et de lindicible ou peut-elle au contraire découler dun principe de causalité, fut-il dincertitude ? Les recours aux mathématiques, aux graphiques, aux formules algébriques, que dicte la raison ou bien au hasard, aux accidents, aux écroulements qui la masquent, expriment la volonté de Bernar Venet de ne pas se placer dans la position du créateur démiurge faisant advenir le monde ainsi que le décrivent les livres sacrés : « au commencement était
». Ce quil peut y avoir « dindéterminé » dans cette ligne de conduite et de recours à des logiques extérieures produisant un ordre caché sous des désordres apparents, ne relève pas davantage dune démarche « automatique » surréaliste, subvertissant selon la jolie formule de Benjamin Péret «
le principe de causalité, qui, soluble dans lhuile, est le père de lartichaut ».
Bernar Venet est ailleurs, dans la création doeuvres autonomes exprimant selon des procédures et des recherches parfaitement maîtrisées, une vérité, une objectivité, une justesse, une évidence. La procédure, le mode de fabrication (« le comment qui définit le quoi » précise-t-il) ; la non-composition (aucun ajout, aucune soudure ; loeuvre est littéralement une résultante) ; la soumission au matériau (« Le matériau nest pas utilisé pour créer des formes, il est la forme même » dit encore Venet) ; le refus du contexte et dune quelconque « esthétique relationnelle » comme stimulus de loeuvre, tout cela tend explicitement à faire de lartiste un expérimentateur (du concept autant que du savoir-fer, oserais-je écrire). Mais mon propos, trop réducteur, ne révèle pas suffisamment la complexité et la difficulté de la route tracée.
Il est possible détablir un parallèle entre la démarche de Bernar Venet et lanalyse de Roland Barthes sur la structure, le comment de lécriture, la recherche dun « silence de la forme » et dune «
écriture blanche, libérée de toute servitude à un ordre marqué du langage ». Venet côtoie Barthes lorsque celuici en appelle à une « écriture innocente » retrouvant la condition première de lart classique : linstrumentalité et lécrit : «
Mais cette fois, linstrument formel nest plus au service dune idéologie triomphante ; il est le mode dune situation nouvelle de lécrivain, il est la façon dexister dun silence ; il perd volontairement tout recours à lélégance, à lornementation
»
Mais à la fin, cependant, il y a toujours une forme, un suspens entre le plein et le vide et pour qui, au tournant du chemin, découvre une des onze sculptures, une émotion que la raison ne saurait apaiser. Ainsi ce ne serait pas un paradoxe pourrait-on mettre en lumière une matérialité formelle de lécriture et le caractère scriptural des oeuvres, leur co-existence altière avec les espaces qui les accueillent, la force et la beauté dun mouvement arrêté, lapparente légèreté dun corps pondéral et sinterroger sur la persistance des effets plastiques.
Cest quau delà de la raison et du retrait, lexpérimentateurfabricateur est un artiste, un grand artiste, maître de loeuvre et à qui, finalement, rien néchappe, et surtout pas les échappées. Le risque, pourtant demeure ; il est la règle de ce jeu, son péril et son plaisir. Il interdit dinverser la proposition de Jean Cocteau pour concéder : « Puisque ces mystères me sont connus, feignons de nen pas être lorganisateur ».
Jamais congédiée, lincertitude est la compagne active de la création ; jamais oubliée, lexpérience (non laccumulation dun savoir, mais la prospection et la recherche) appelle linterrelation et révèle de nouveaux équilibres. Lordre et le désordre ne sont pas, dans loeuvre de Venet, les deux axes dun monde binaire mais des figures dune réalité calculable certes, mais toujours en mouvement, mêlant les forces et résistances de la structure, les données physiques et matérielles du réel aux arrêts, souverains et serfs à la fois, dune invention plastique. La ville est un livre ouvert. Livre de pierre disait Hugo. Quelques lignes dacier, quelques pages nouvelles écrites et offertes par Bernar Venet, viennent aujourdhui enrichir une histoire. |
François Barré |
(Bernar venet a exposé en été 2003 dans la ville de Luxembourg et en automne dans les jardins des Tuileries à Paris.) |
mis en ligne le 26/02/2004 |
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