Le problème que pose le travail de Brigitte Nahon reste la double question essentielle : quest-ce qui retient et quest-ce qui nous libère ? À cette question existentielle, lartiste répond par tout un système doppositions : tension et abandon, présence et absence, légèreté et lourdeur, ou encore dedans et dehors. Lors de sa dernière exposition dans la galerie Jérôme de Noirmont aux espaces plus resserrés que ceux qui ont souvent accueilli lartiste pour ses travaux antérieurs, celle-ci joue de volumes plus modestes en laissant penser qua-priori elle travaille ainsi sur des sortes de lieux plus intérieurs, plus intériorisés.
Cependant, à travers diverses séries de couleurs du bleu des glaciers jusquà des trassages rouges, jaunes et oranges la clôture, une nouvelle fois, nest que feinte et piège. Brigitte Nahon arrache son uvre à la pesanteur au moment où pourtant des éléments " narratifs " pourraient draîner luvre du côté de la terre ou du moins de son attraction. Chez lartiste, lêtre semble ne jamais " achopper sur la bête pliée dans la boutique " selon lexpression de Louise Bourgeois. En un travail qui séloigne de plus en plus de laustérité, qui gagne chaque fois en liberté, en alacrité, en acidité joyeuse, aux " opérations " des débuts succèdent des " opera " : il est toujours question douverture, dincision (de lumière), mais il ne sagit plus dextraire, il faut élever.
Rien de mystique toutefois : avec par exemple les " danseurs déguisés " et métaphoriques qui, entre deux " murs " de tulle sextirpent des effluves du réel, il ne semble pas quil sagisse de créer des reposoirs ou des images votives. On touche plutôt là, de manière sophistiquée, à une vitalité primitive, lartiste donnant toujours limpression que soudain quelque chose échappe au fond substantiel de sa conscience. Existe un " décrochage " des figures qui entrent dans notre inconscient par des mouvements quasi immobiles parfois, mais qui témoignent dune véritable force perturbatrice.
Au milieu des blocs transparents renfermant des formes aux couleurs vives, Brigitte Nahon ne montre pas une finitude : elle donne sa chance à des fragments éphémères dinfini. Loin de toute crucifixion, une naïveté complexe, un primitivisme calculé, fonctionnent à la fois contre langoisse et en plein dedans. Dès lors, ces uvres nous laissent toujours plus à nu dans lintensité étincelante de leur propre " creux ". Ainsi, pour celui qui regarde les cubes de Nahon qui nont rien à voir avec ceux de Tony Smith et en sont même le parfait contrepoint il sagit deffectuer un voyage de quasi science-fiction. Luvre nous emporte en démentant les lois de la gravité, et aussi les règles qui régissent nos façons de voir et peut-être de penser. Tout se passe comme si Brigitte Nahon pénétrait dans lêtre pour en saisir laube ou le crépuscule et ouvrir, sinon à une renaissance (il ne faut pas se faire dillusion) mais à des apparitions.
La créatrice nous rapproche de laurore anarchique dune autre réalité. Contre les images-modèles, à travers ses structures, Brigitte Nahon nous arrache aux terres marquées du sceau du sang des sacrifiés pour leur insuffler cette légèreté, ce supplément de couleur. À la chair des nuits répond cette sorte détat second, ce paradoxal hymne à la joie. Luvre est à ce titre autant métaphysique que physique, autant trace quévocation. Ses stratagèmes nous font sortir des sommeils dune civilisation hyper-matérielle bien connue de lartiste qui a choisi de vivre à New York depuis plusieurs années.
Cest peut-être une manière de dire " adieu à limpossible " selon la formule de Blanchot. Grâce à luvre, la vie nest plus tenue à distance, elle nest plus chargée dune faute de naissance, dun poids de matière. Ici la terre naspire plus lêtre afin de sen nourrir, car ces travaux deviennent notre corps ailé, ou du moins le moyen de léprouver, de le rencontrer sans pour autant fuir notre peau.
Même à ceux qui nont jamais osé chercher le réel ailleurs que les pieds sur terre, Brigitte Nahon leur permet paradoxalement de le retrouver. Entre délicatesse et prouesse technique, son uvre ne nous protège pas du monde, et cest pourquoi elle nous attire : elle offre un accès à ce qui est enfoui en nous en attribuant à nos fantômes les plus noirs des figures inversées dont lhumour nest pas le moindre piment.
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Michel Tyszblat (Galerie du Centre, novembre)
Tyszblat est de retour avec une série de tableaux aux couleurs éclatantes, qui plus que jamais fonctionnent comme les improvisations au piano où lon sait quil excelle (Tyszblat est un musicien de jazz au talent reconnu). Ce peintre est décidément un véritable artiste moderne : ayant assimilé les avant-gardes historiques et ses propres audaces de jeunesse, le voici qui peint pour la joie de peindre et de communiquer son plaisir, avec en particulier une science des passages et des transitions que lon croyait perdue et qui fait mon admiration.
J-L C.
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Tyszblat, Peinture, 2002 |
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