Henri Noguerre est sur le point dêtre notaire. Une belle carrière soffre à lui. Oui, lavenir lui sourit. Mais voilà : quelque chose dimprévu va mettre en péril ses espérances. Imperceptiblement, son corps est soumis à des transformations curieuses. Au début, il pense les cacher. Sa peau se couvre dun système pileux dru et raide, son bras, son oreille, puis sa jambe et puis son visage prennent une apparence canine. Au début, il donne le change en recouvrant les parties concernées par des bandages et parle dun stupide accident. Mais quand une queue lui pousse, la dissimulation devient délicate. Il veut se faire opérer. Mais ce serait inutile. Il doit se rendre à lévidence : il est en train de devenir un membre honorable de la race canine. Honorable ? Voire. Car il est parfois saisi dune irrépressible envie de mordre. Il est désemparé. Il souvre de son problème pathétique à Béatrice, son amie. Peu à peu sinstaure entre eux une étrange relation : plus il est pris au piège de sa condition animale, plus elle se rapproche de lui. Ils deviennent intimes : elle fait sa toilette, le nourrit, soccupe de lui avec prévention. Mais lesprit du malheureux reste encore humain, qui est désormais totalement dépendant delle. Et il ne peut sen empêcher : un beau soir, il la mord et la déchire. Elle, elle na dautre souci que de le domestiquer, de lui imposer sa volonté et de lui faire accepter son indépendance alors que lui, il ne peut rien faire en son absence sinon ruminer des idées noires. Cette relation pour le moins atypique aurait pu se poursuivre en ces terme sil ny avait encore en Noguerre des sentiments humains. Le pauvre hère, avili et réduit à se laisser brosser par la blonde Béatrice qui labandonne à son sort presque toutes les nuits est secrètement amoureux de sa stagiaire, Jennyfer. Et cet amour va avoir des effets miraculeux, puisquil retrouve un aspect humain.
Béatrice naccepte pas cette subite émancipation de celui quelle pensait avoir en son pouvoir. Elle fait tout pour entraver cette tentative de fuite. Et dès lors, il ne cesse de passer dun règne à lautre, et quand il est chien, il peut être dangereux. Il finit par amputer dun testicule lamant de Béatrice et même de le dévorer avec jubilation.A sen lécher les babines. Béatrice veut se débarrasser delle et le faire piquer. Fort heureusement, notre héros ne va pas être abattu : on va le modifier génétiquement. Mais la « greffe » a des conséquences désastreuses et il dévore Béatrice avec un plaisir sans frein.
Mordre est une version moderne, ou plutôt une parodie dérisoire de lune des Métamorphoses dOvide. Cest aussi une farce grinçante. Et aussi une terrible représentation de la dualité humaine, toujours partagée entre ces deux pôle. Mais Henri Noguerre nest ni ange ni bête. Il reste un bourgeois qui est dépassé par la violence de ses pulsions animales. Celles-ci ne peuvent être bridées tout à fait. Alors la monstruosité apparaît. Mais, en fin de compte, cest le notaire qui mord et qui dévore la chair humaine. Cest le fils de famille qui subit les pires humiliations et qui finit par se révolter au point de se conduire en criminel. Voilà une fable grotesque et délirante, avec une saveur de vaudeville perverti et de catéchisme de la déviance .
Thierry Laurent tient son lecteur en haleine alors quil ne fait que défiler le fil rouge dune fable pas très plaisante à entendre. On retrouve dans ces pages lobsession pour les chiens que Bernard Lamarche-Vadel a toujours manifestée dans ses oeuvres, en particulier dans Vétérinaire. Mais ce roman na rien dautre de commun avec lécrivain disparu. Il ne se place pas dans le registre du fantasme. Il met une peau de bête à son notaire bien pensant et lobserve en train de se débattre quand cette deuxième peau devient sa vraie peau et que son vrai visage est démasqué : celui dun golden retriever. Pour un premier roman, cest un coup de maître (quon me pardonne ce vilain jeu de mot, mais il simposait - cest ma manière à moi de mordre à limage de son héros). Et ce bonheur décriture tient sans doute à ce que Thierry Laurent na pas voulu écrire un roman, mais bien autre chose : le récit dune profonde et incurable maladie de lêtre, qui touche chacun de nous et qui a la faculté de nous faire nous réveiller sous les traits dun loup-garou. Alors on ne rit pas tant que cela du malheureux Henri Noguerre. Cest un pauvre homme . Comme nous. Et là, on ne rit plus du tout.
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