Un super-héros des pays du Sud en quelque sorte.
Mais Captain Rugged n’est pas le premier. On se souvient du travail de Dulce Pinzon, exposé aux Rencontres Photographiques d’Arles, en 2011. Cette photographe a choisi de magnifier ses propres héros. Personnages héroïques de l’Amérique, oui, mais choisi parmi les immigrés mexicains qui œuvrent dans l’ombre, au quotidien, pour aider les leurs restés au pays.Elle intitule ainsi une de ses images de 2006 : « BERNABE MENDEZ from the State of Guerrero works as a professional window cleaner in New York He sends 500 dollars a month ».
Captain Rugged n’est pas non plus le premier super-héros noir. Le premier « Black Spiderman » alias-Miles Morales, qui émerge en 2011, est afro-latino. Notons que sa naissance est postérieure à l’entrée de Barack Obama à la Maison Blanche, et le rédacteur en chef de Marvel, Alex Alonso, revendique le choix de cette diversité influencé par l’élection du premier président noir en 2009.
Captain Rugged, un héros du XXIe siècle
Mais Captain Rugged est la première apparition, en Afrique, d’une icône qui se soucie de justice sociale. Les super-héros américains sont nés au XXe siècle, en phase avec la politique américaine qui se voit comme « le super gendarme du monde », ils ont défendus leur patrie contre le Nazisme, puis, pendant la guerre froide, contre les communistes. Captain Rugged est arrivé au XXIe siècle. Pas totalement par hasard.
Captain Rugged émerge alors même que le premier procès du génocide rwandais se tient à Paris, en février 2014. (1) Le XXIe siècle aura ainsi vu éclore la Journée commémorative du souvenir de l'esclavage et de son abolition en 2006, le premier monument national, en témoignage de ce crime contre l’humanité, « Le Cri » par Fabrice Hybert en 2007 et le premier Mémorial de l'abolition de l'esclavage en France, en 2012. A Washington, le National Museum of African American History and Culture, initié en 2003, verra bientôt le jour. Et, hormis à travers le roman d’Alex Haley « Roots » et son adaptation TV en 1976, il aura fallu attendre 2013 et « 12 Years a Slave » de Steve McQueen pour que nous soit montré au cinéma l'esclavage "vu de l’intérieur". Ce siècle ne sera pas seulement celui de la reconnaissance des blessures infligées par les crimes contre les Noirs, - esclavage, colonisation, pas seulement celui de la mémoire, mais aussi celui d’un futur, que les artistes de l’Afro-futurisme (2) ont anticipé, et qui leur permettrait, entre autre, de fuir une histoire subie.
A ce titre, Captain Rugged pourrait en être la figure emblématique, car s’il demande justice, il ne demande pas réparation. Keziah Jones, son créateur visionnaire, se projette, et rêve :
« L’Afro New Wave ce sera la musique du futur, quand l’«Afro-beat» et tous les genres musicaux venus d’Afrique s’imposeront sur le marché mondial. C’est cette nouvelle vague musicale et culturelle qui viendra à l’avenir, tout comme nous Africains, voulons nous projeter dans le futur économiquement et socialement. » (3) Kapwani Kiwanga dans la performance Afrogalactica, en 2014 à la fondation Ricard, se réfère clairement à ces Etats-Unis d’Afrique proposés par Marcus Gavrey dès 1924. Soyons assurés que d’autres super-héros naitront de l’imagination féconde des artistes du continent africain.
Il faut tenter cette expérience : allez voir l’exposition Super-héros de Alex Ross, au Mona Bismarck American Center, avec les titres de l’album de Keziah Jones, « Captain Rugged » dans le casque.
Super-héros : l'art d'Alex Ross Du 2 avril 2014 au 8 juin 2014 Mona Bismarck American Center of art & culture, exposition organisée par le Musée Andy Warhol
Keziah Jones, Captain Rugged, 2013, Label Because
(1) A lire, «Shoah et Rwanda, des références communes» C. CALVET et M. MALAGARDIS Libération 28 mars 2014
(2) Sur ces artistes, lire notamment AFRIKADAA #5 juillet 2013 « Afro-futurisme »
(3) RFI novembre 2013, entretien avec Keziah Jones
|