Dans « Mère et fille II » il s’agit de deux corps, qui se juxtaposent et se déplient dans l’espace l’un avec l’autre ; certaines images sont dupliquées, d’autres non. Il n’y a pas de règles, pas de binarité : il y a l’idée que chaque panneau peut être démonté et remonté aléatoirement afin d’obtenir une forme qui peut être organisée dans l’espace en fonction de celui-ci. On pourrait dire qu’il s’agit du portrait d’un « Devenir-enfant » selon la conception de Deleuze : des « possibilités » de montages qui se déploient dans l’espace et dans le temps (le déploiement généalogique, la filiation).
Les images ont été essentiellement perçues comme témoignant d’une oppression du corps de la mère sur sa fille : il s’agissait pour moi de devenir ma fille et d’imaginer à quoi elle fait face vis à vis de cette figure maternelle, de renverser la Piétà : ici on est dans le point de vue de l’enfant, et ce qu’il voit n’a pas forcément grand-chose à faire avec une tétée à la chandelle.
Comme je l’ai dit pour l’autoportrait plus haut de 1984, il y a ce désir sous-jacent dans tous mes travaux, de rejouer des images dans le temps. Comme on peut le voir avec « Mère et fille I » de 2001, mon projet ne se circonscrit plus à une série qui serait plus ancienne, nouvelle, moins bien ou beaucoup mieux, qui irait plus loin, ou pas : mais de permettre aux travaux de respirer les uns avec les autres. L’expérimentation est le sujet des travaux dans le temps, l’idée de savoir-faire est mise au placard. Chaque série, ou image prises isolément peut se combiner ainsi à une autre d’un autre moment : l’hybridation se situe là aussi. « Le lion» de « mère et fille II » répond au dompteur au cerceau de « Mère et fille I », et ainsi de suite. Ma grotesque devient l’œuvre dans le temps…
[1] La grotesque est un style d'ornement découvert à la Renaissance. Par extension, il désigne aujourd'hui le caractère de ce qui semble ridicule, bizarre, risible, mêlé d'un certain effroi. Selon Rémi Astruc, malgré la difficulté à identifier les formes de grotesque en raison de leur extraordinaire variété et diversité, tout grotesque pourrait se ramener à la mise en œuvre d'un ou plusieurs de ces motifs: redoublement, hybridité, métamorphose. (Wikipédia)
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