Le baroquisme inhérent à l’artiste s’est par conséquent manifesté sotto voce dans un registre qui donnait le sentiment d’en être tout le contraire. Cela fait partie de ces nombreuses contradictions cultivées avec soin et beaucoup de discernement. Plus il maniait la règle et le compas, plus il s’orientait vers quelque chose d’exubérant. La distance est immense, en apparence, entre ses grands monochromes de cette longue période fastueuse et savamment réglée et les dernières œuvres qui nient la linéarité de la toile pour en faire jaillir ces bourgeonnements anarchiques qui adoptent une grammaire insolente et déraisonnable. Et le développement de la logique secrète de son dessein ne pouvait avoir d’autre conclusion car il a sans faille recherché le dépassement de ce qui pouvait représenter un obstacle majeur à sa vision qui était l’intuition de ce que ses réalisations possédaient en elles. Elles étaient combles de possibles qui pouvaient rompre l’équilibre obtenu au prix de tant de calculs et de mesures. Quoi qu’il en soit, la démesure à laquelle il tend désormais est encore une fois la résultante de facteurs longuement prémédités. Ce sont les formes qui, parvenues à un sommet physique et métaphysique, dérange la mécanique bien huilée qui réside dans son raisonnement éloigné de toute outrance. Podestà n’est pas un destructeur comme on voulu l’être bon nombre d’artistes - je songe aux Destructions de César et à des performances incendiaires de Jean Tinguely, au Vide d’ Yves Klein -, qui ont été sans le savoir les mauvais prophètes de la situation actuelle et de la mise à mal de tous les concepts clefs de l’art et, par voie de conséquence, de l’art lui-même. En fait, cette iconoclastie souhaitée par la plupart des groupes de la néo avant-garde n’a été qu’un procédé artificiel pour renverser un langage et en imposer un autre, qui n’a pas pu, malgré des réussites incontestables, remplacer de manière durable les pratiques contestées. Et, en Savonarole fanatiques, les artistes ont fini par pratiquer la politique de la terre brûlée. Podestà a pratiqué une stratégie bien loin de celle-là, qui a utilisé les ressorts de la séduction pour dissimuler ses fins les plus radicales. Il loue et glorifie le passé -, autant l’art ancien, que l’art moderne. C’est un fondateur qui se travestit volontiers en élève consciencieux et respectueux. Mais c’est aussi de telle façon qu’il a pu et qu’il a su donner corps et âme à une œuvre puissante, même si il a pu envisager de trahir des normes qui, dans le contexte où il a choisi d’évoluer, n’aurait dû être réfutées. Reste à préciser que cette puissance poétique qu’il ne déclare pas, mais qui éclate et s’impose sans discussion quand on est en face de ses ouvrages, ne se fait pas en se faisant l’émule de tel ou tel poète. Elle est cet ut pictura poesis d’Horace, mais en n’oubliant pas la distinction qu’a fait Lessing dans son Laokoon, üder die Grenzen der Malerei und Poesis en 1766 : la poésie décrit la beauté, la poésie, l‘action. Il est fidèle aussi à Cicéron pour qui la peinture est chose mentale (expression reprise telle quelle par Léonard de Vinci) – une déclaration qui d’ailleurs a été reprise aux Grecs, qui pourrait remonter aux origines des arts de cette civilisation. La poésie selon Podestà est scellée au cœur de la peinture et qui ne doit rien à la littérature. Il renoue avec l’aspiration à faire naître une allégorie de la peinture, qui serait l’égale de la musique, de la rhétorique et de la poésie. Il ne s’agit pas de lui donner une enveloppe corporelle, mais de l’inscrire en palimpseste dans tout tableau de valeurs.
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