La plus importante et révolutionnaire transformation n’est intervenue qu’à partir de l’instant où il s’est mis à réfléchir sur la surface. Il a abandonné ces différences d’échelle qui annulaient la morphologie typique du tableau pour obtenir une autre catégorie d’objets qui pouvaient être plus proche d’un sculpture que d’un tableau dans le sens classique pour se mettre à comprendre de quelle manière il pourrait transformer la surface (la toile comme matière première) et y imprimer des variantes. Ce qui était par vocation un simple plan, il a eu l’intention dès lors de lui imprimer une autre destination. Cette évolution ne s’est pas réalisée en un rien de temps. C’est la résultante d’une très longue étude de ses virtualités. Ce qui a mû l’artiste, c’est que cette superficie neutre, fonctionnelle, indifférente en pour ce qui est de la compréhension de la poursuite artistique, pouvait avoir un rôle à tenir dans sa stratégie linguistique. Il lui fallait donner une langue à ce qui était muet et donc inerte dans la composition. Il a décidé de former des plis à sa surface, qui étaient à l’origine de plusieurs variations, comme l’introduction de jeux d’ombres et de lumières sur la surface qui n’est plus entièrement plane. Les couleurs sont affectées par ce plissage car l’éclairage n’est plus uniforme. En somme, bien qu’il n’ait rien changé en dehors de ce mince plissé, un certain nombre de conséquences se sont faites jour.
Et la plus grave et expressive de toute est que la surface, qui était le paradigme d’un espace arbitraire et reposant sur des données immuables, commençait à s’animer à mesure que les plis prenaient une consistance physique plus marquée. Le tableau n’appartenait plus à ces deux dimensions traditionnelles, mais pénétrait doucement dans une troisième. Là encore, Giampiero Podestà n’a pas été le créateur d’une telle situation de l‘œuvre plastique : le polymatièrisme d’Enrico Prampolini, le tableau-relief de Jean Arp, les strates de matériaux de César Domela, parmi tant d’autres artistes illustres du siècle passé qui ont osé franchir cette ligne de démarcation, avaient déjà fait en sorte que le tableau excédait l’espace qui lui avait été assigné. Ce n’était pas ce qui le concernait, mais plutôt la faculté de donner à ce plan peint la faculté de développer des appendices signifiants.
Bientôt, ces expansions de la toile se sont faites plus saillantes et ont dessinés des plans géométrisés qui, parvenus à ce stade, sans jamais toucher à l’univocité de la couleur, faisaient penser à des plans reliefs, avec des niveaux qui se multipliaient. Il est patent que Giampiero Podestà a quitté une conception de l’art pour en aborder une nouvelle. Il formulait à partir de là des figures dans l’espace qui n’avait plus à voir avec son minimalisme formel de départ : en devenant de plus en plus prégnantes, ses plis et replis ont fini par se courber, se replier, former des spires et des volutes. En sorte qu’il s’évade de ce environnement idéal fait de formes géométriques dignes de la philosophie de Platon (sinon leur émanation), pour pénétrer dans un champ de caractère baroque, avec ses outrances et sa propension à toupiller dans l’air avec des figures insolites qui sont emportées par des spirales s’entrecroisant. Du baroque, notre peintre a retenu l’étymologie, qui est celle de l’irrégularité. Une perle baroque est une perle qui n’est pas parfaitement ronde. Après quoi, ce terme a été appliqué à un style (je dirais plus exactement à plusieurs modalités stylistiques) et a connu un nombre invraisemblables de définitions. Le baroque de Podestà ne se réfère que par rebord à l’âge dit baroque et à ses caractéristiques formelles. Il le voir comme un débordement, qui est inhérent à la germination de formes qui, pourtant, ont été conçues au départ selon les lois impératives de la géométrie.
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