Deux constats s’imposent à ce point : d’une part, l’absence complète de sujet est le fruit d’une volonté cosmétique de couvrir la toile d’une couleur uniforme ; d’autre part, les modifications progressives des dimensions du châssis provoquent une interrogation sur cette nécessité de remettre en cause des paramètres qui devraient être neutre. Cela n’est pas sans analogie avec ce qu’a pu réaliser le groupe Supports/Surfaces en France à la fin des années soixante, sauf que, dans le cas présent, l’artiste ne veut pas excéder le champ théorique du tableau, même s’il le remet en question. C’est un déplacement objectif qu’il a l’intention de faire éprouver à qui le regarde, mais pas une critique sans retour des principes de la présentation d’un objet pictural. En sorte que ses intentions donnent l’impression d’être ambiguës. Il faut maintenant prendre en considération non plus le tableau isolé, mais un ensemble tel qu’il peut être installé dans un musée ou dans une galerie. Podestà ne remet pas en question le fait que les murs soient d’un blanc immaculé. Cela le sert pour qu’on puisse mieux juger de ses concoctions chromatiques, et aussi de la structure des éléments réunis. En général, il choisit de former des ensembles d’une même tonalité, comme si la mise en scène recherchée était l’accrochage d’un décor réservé à la contemplation et à la méditation. Il est évident que le tout ne peut qu’interroger celui qui s’arrête pour en percer le secret. En réalité, une contradiction vient s’ajouter aux autres : si le dispositif en question ne suscite pas de sensations de rupture d’inconfort ou de malaise – il n’y a rien là de choquant -, s’il est bel et bien conçu pour fournir à l’œil et à l’esprit une profonde plénitude, cette dernière est cependant peu à peu gagnée par une vague impression d’inquiétude car il s’en dégage une presque imperceptible étrangeté. Rien de bouleversant ou de choquant, il faut le souligner, mais on ressent vaguement ce qui serait un très lent empoisonnement de la pensée qu’il inspire. Ces formes géométriques s’imposent à qui accepte ce genre de peinture, mais si elles lui fournissent une satisfaction intense, elles le plongent dans une sorte d’embarras délicat à expliquer. Il s’en dégage une beauté apollinienne, incontestable, mais quand on la fréquente en s’abandonnant à son charme, on s’aperçoit que tant de pureté peut recéler une région obscure qui n’est jamais perceptible au premier abord. Ces tableaux conjugués constituent une énigme ou, mieux, une double énigme. La première est évidente : que peuvent signifier ces surfaces arrangées selon un ordre qui nous échappe et qui nous captivent malgré tout ? Ce serait la première étape d’une tentative de décryptage qui ne peut malheureusement pas être mise à jour, car nous n’avons pas devant nous une peinture d’histoire, un paysage ou une nature morte, mais quelque chose dont le sujet réside dans sa structure même. L’artiste a fondu en une seule identité sujet et objet et rien ne vient à la surface de la toile fournir un quelconque indice, même le plus labile.
L’a rtiste n’a pas une seconde éprouvé le besoin de placer l’amateur d’art dans une position gênante ou en porte-à-faux. Mais il a ressenti l’envie de l’inciter à changer son angle de vue. Sans lui faire perdre pied, il l’entraîne à parcourir un territoire en partie inconnu. Ces très légers décalages qu’il a introduits dans sa conception du tableau ne sont somme toute que les prémisses d’une ambition beaucoup plus grande et audacieuse. Il diffère de la plupart des artistes de sa génération (abstraits ou non) qui ont souhaité trouver une formule qui choque et impressionne et qui s’avère sa marque de fabrique : c’est l’écueil de cette attitude qui incite à la répétition. Podestà a lui aussi exploité la répétition, mais jusqu’à un certain point. Une famille d’œuvre peut avoir été élaborée selon ce principe et puis reprise dans différentes couleurs. Dès qu’il change de cycle, même si l’idée demeure voisine, il est conscient qu’il ne doit pas reproduire exactement les mêmes effets. En favorisant le même, il insinue l’autre et cela ne peut être vécu que crescendo, dans une lente mutation.
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