« J’ai rencontré William Burroughs en 1965. Je venais de rentrer à New York en novembre de l’année précédente. J’ai appris par un ami qu’il était en ville. J’ai été invité par une femme riche qui avait un grand appartement et qui organisait des soirées avec beaucoup de monde. J’y ai trouvé Hunkie Hunckle et Brion Gysin parmi tous ces personnages de l’art et de la littérature. Et c’est par ce biais que je suis entré en relation avec Burroughs peu de temps après. Cela a du se passer en janvier ou en février. Puis je devais participer à un festival de poésie. Je l’ai revu à cette occasion. Nous avons parlé, nous avons bu ensemble, nous avons plaisanté, en somme, nous sommes alors entrés dans une relation complice. Nous sommes vraiment devenus des amis. Plus tard, Brion m’a dit que Burroughs et lui avaient tout de suite remarqué que j’avais les yeux les plus lumineux qu’ils avaient jamais vus. Comme ils se trouvaient à l’hôtel Chelsea, j’ ai revu Brion et William tous les jours pendant les semaines qui ont suivi. Jusqu’à la fin du mois d’août, quand ils sont repartis. Et puis il s’est passé autre chose. Jusque là, je n’avais jamais pris de LSD. J’ai eu mes premiers trente-quatre premiers « voyages » au LSD à l’hôtel Chelsea avec Brion Gysin ! Dans la chambre 703. William et Brion ont engendré un effet incroyable sur moi. Avec la pratique du LSD, ils m’ont introduit à un monde magique, qui a complètement transformé mon esprit. Et puis le simple fait de le fréquenté de les voir en début de soirée et d’aller dîner avec eux. Nous allions souvent un restaurant chinois, le restaurant chinois le moins cher de tous dans la ville. Pourquoi pas ? William avait une attitude quasiment ascétique.
Pendant la journée, il s’enfermait avec Brion dans une chambre pour travailler sur le projet de The Third Mind *. Ils installaient le matériau sur la table et Brion utilisait son rouleau pour tracer une grille. Burroughs commençait à travailler tôt car, comme il buvait énormément, surtout du bourbon, il allait se coucher tôt. A neuf heures, précises il était habillé de pied en cape et il allait dans la chambre de Brion. A l’inverse, ce dernier se couchait plutôt tard. Nous buvions nous aussi du bourbon, nous fumions des cigarettes joints, nous prenions des poppers et nous faisions l’amour. Impossible de nous lever avant dix heures du matin ! Nous avions une terrible gueule bois. Et cela rendait William furieux. Tout ce que j’ai observé alors, c’est qu’ils étaient très en avance dans leur façon d’utiliser les collages et toutes les autres techniques d’écriture. C’était d’une grande fraîcheur d’inspiration. Brion exultait car ils obtenaient des résultats qui le remplissaient de joie. Ils travaillaient tous les jours (peut-être pas le dimanche, et encore !)
Je dois avouer que j’étais très impressionné, même un peu effrayé par ces deux personnages. Je n’avais même trente ans à l’époque. Ce n’était pas comme maintenant où les gamins ont pris toutes les drogues ce qu’il est possible d’ingurgiter à quinze ans. Au milieu des années soixante, vous deviez tout découvrir par vous-même. Ensuite, sous l’influence de William et de Brion, je suis devenu très engagé politiquement et même très radical. Après tout le temps que j’avais passé à la Factory avec Andy Warhol, j’ai pris conscience de la réalité de la guerre au Vietnam et de toutes autres questions sérieuses que j’ai découvertes dans les livres de William et dans les films, comme Towers Open Fire.
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