Humeur |
Gérez votre portefeuille avec Artprice.com ! |
par Thierry
Laurent |
Les données économétriques
du marché de l’art sont-elles en train de remplacer
les considérations d’ordre artistique ? C’est
ce qui apparaît lorsqu’on consulte le site Artprice.com,
qui propose un service de conseils aux collectionneurs. Force est
de considérer que la terminologie du site est empruntée à l’univers
de la finance, comme si tout jugement esthétique devait être
définitivement proscrit. L’art n’est plus question
de sensibilité, d’amour, de pertinence, mais de mathématiques
financières.
«Mieux gérer sa collection», (accessible par l’onglet «art investment») est le service d’aide à la décision proposé par le site. Seulement, attention ! Ce service ne s’adresse pas aux collectionneurs du dimanche, mais aux intervenants sérieux : les «gérants de portefeuille d’oeuvres d’art». Etre gérant de portefeuille d’oeuvres est un métier à risque. Et le risque est de ne pas investir dans les bonnes valeurs. Heureusement, Artprice.com fournit un outil d’analyse permettant de générer des « retours d’investissement » vraiment attractifs. Cet outil repose, non sur la connaissance de l’histoire de l’art, une histoire apparemment devenue obsolète, mais sur un arsenal sophistiqué de « données statistiques, et données économétriques », à base d’«algorithmes de calculs indiciels», livrés tous les jours, à la presse économique, aux firmes financières, comme le groupe AXA et, bien sûr, aux gérants de portefeuilles d’oeuvres d’art qui ont eu la bonne idée de s’abonner au site. Mieux ! Artprice.com développe «un service sur mesure» fournissant des «outils d’aide à la décision». Ces outils n’ont encore une fois rien à voir avec une quelconque éducation du regard, une initiation aux langages des formes, ils sont au contraire basés sur des analyse macro-économiques et micro économiques, («volumes des transactions, valeurs des transactions, invendus, taux de rendement»,) ainsi que sur des études économétriques de type «études de rentabilité», «mesure d’opportunité d’investissement» d’une efficacité redoutable pour tout choix d’investissement en art. Le marché de l’art est donc un marché financier qu’il convient de gérer grâce à des outils mathématiques adéquats. L’usage des mathématiques financières n’est pas nouveau. En mathématisant statistiquement le comportement des agents économiques sur les marchés, il est possible de prévoir l’évolution des tendances boursières. En un mot, c’est l’opinion globale des investisseurs qui est mise en statistique. Ces outils financiers assez sophistiqués sont issus des nouvelles capacités de calcul des ordinateurs, mais aussi du caractère très visuels des écrans informatiques, sur lesquels se croisent courbes et contre-courbes, canaux haussiers et divergences baissières, échelles logarithmiques et chandeliers : bref, le capitalisme financier est devenu un jeu vidéo planétaire, avec ses hauts… et son crack. Artprice.com a donc eu la bonne idée d’appliquer les principes du «chartisme» financier au marché de l’art. Le site Artprice.com n’est pas avare de graphiques, avec couleurs fluo, dérivés de l’évolution des cours des valeurs artistiques. Dans son ouvrage, paru en 1998, «Le triple jeu de l’art contemporain», Nathalie Heinich tente de démontrer que l’art contemporain est tout le contraire de la soumission à un consensus financier. La transgression de toutes les frontières (celles du musée, de la morale, du droit, et donc aussi de l’argent) serait la marque existentielle de la création contemporaine. Une transgression tous azimuts, qui va de pair avec son rejet par le grand public plutôt rétrograde, et le soutien d’institutions en revanche éclairées. Acheter des oeuvres contemporaines serait en ce sens une manière d’affirmer sa différence, de favoriser innovation et avant-garde, de mettre en valeur des artistes en dissidence avec la vox populi. Seulement voilà ! Aujourd’hui, la question se pose. L’art de la transgression, tel que défini par Nathalie Heinich, ne serait-il pas devenu un art de la transaction financière, celui d’un consensus mou cadré par des stratégies d’investissement ? Le fin mot de l’art ne serait donc plus la transgression, mais sa mise en conformité avec les équations du marché. Les mathématiciens d’Artprice.com sont confiants en l’avenir ! Le baromètre AMCI ou «art market confidence index», un baromètre calculé «en temps réel», avec «sondage international» sur échantillons représentatifs, vient d’afficher un facteur d’optimisme estimé à +12. Les investisseurs font donc aujourd’hui confiance à l’art. L’art, comme l’or, se fait, aujourd’hui, valeur refuge. Oui, pour les gérants de portefeuille artistique, c’est le moment d’acheter ! Mais quoi ? Alors, voici quelques tuyaux glanés sur le site. 1) Renforcez peut-être votre position sur Matisse, car sa cote vient d’enregistrer des records lors de la vente Yves Saint Laurent, témoin l’oeuvre intitulée «les Coucous», vendue 32 millions d’euros. 2) Prenez aussi des «options» sur les artistes modernes qui se sont bien comportés : «Madame LR de Constantin Brancusi» a été adjugée 26 millions d’euros, soit 6 millions d’euros au dessus du marché. Sans oublier l’oeuvre de Piet Mondrian, «Composition avec bleu, rouge, jaune et noir» qui a trouvé preneur pour la somme de 19,2 millions d’euros. 3) En revanche, «shortez» vos Picasso cubistes, car l’oeuvre cubiste du grand maître catalan est demeurée lors de la «vente du siècle» invendue. Vite, vite, abonnez- vous à Artprice.com ! Avec «ArtMarketInsight», et grâce à l’équipe d’«économètres du marché de l’art» du service «Artpricing», il y a tous les jours du nouveau sur les algorithmes de calcul indiciel du seul marché qui, pour le moment, résiste à la tourmente. • |
Thierry Laurent |
mis en ligne le 23/05/2009 |