UNE BIENNALE INTROUVABLE
Biennale
de Venise, jusqu’au 22 novembre 2009.
Qui a peur des artistes ? une sélection de la François
Pinault Foundation, Skira Flammarion, 144 p., 29 €.
Le Dernier soir, Claude Lévêque, sous la direction de Chrstian
Bernard, Flammarion, 240 p., 49 €.
Sept jours dans le monde de l’art, Sarah Thorton, traduit par Arlette
Sanciry, Autrement, 280 p., 22 €.
Chambres d’hôtel
Ce fut l’un des événements les plus discrets
de cette Biennale, mais pourtant l’un des plus intéréssants :
la baronne Durini avait demandé à cinq artistes (l’Italien
Mario Bottinelli, le français d’adoption Gerardo Dicrola,
le Grec Eouboulis-Titsa, l’Allemande Dorst-Nolden et la Coréenne
Toungju Oh), de décorer les petites chambres du Certosa
Hotel (Isola della Certosa). Treize autres chambres resteraient à faire.
Espérons que ce travail pourra être mené à sa
conclusion.
Commissaire
Daniel Birnbaum, commissaire de cette
cinquante-troisième
Biennale de Venise a choisir pour titre : « Construire
des mondes ». Tout ce qu’il a pu construire, c’est
une gigantesque confusion dont rien ne ressortait. Mais l’exposition
du pavillon d’Italie ne produisait pas d’autre impression
qu’un melting-pot sans la plus petite vision d’ensemble.
Pour le reste, hormis l’agrandissement pléthorique
de la surface de jeu de la Biennale et l’éparpillement
des manifestations dans tout Venise qui rend impossible la visite
complète de la Biennale en moins de deux semaines, je
ne saurais dire quel fut exactement son rôle.
Drapeaux
I Drapeau noir
Claude Lévêque n’a pas trop mal
tiré son épingle
de ce jeu truqué d’avance. Il n’avait réalisé rien
d’équivalent à La Liberté guidant
le peuple de Delacroix, à L’Enterrement à Ornans
de Courbet ou aux Demoiselles d’Avignon de Picasso, mais
son ouvrage ne manquait pas de lyrisme. Ces trois drapeaux noirs
qui flottaient dans le vent grâce à de gros ventilateurs
placées derrière des grilles dorées n’avaient
certainement pas fait trembler les puissants de cette terre et
que personne ne s’est écrié « Ni
Dieu, ni maître ! » en entrant dans la salle
obscur du pavillon français. Mais, comme on peut le voir
dans le bel album souvenir publié par Flammarion, il y
avait tout de même dans son esprit un rien d’insoumissions
aux règles établies (et même à celle
de l’A. C. *) qui réjouissait le cœur. Mais
peut-être
son projet s’était-il formulé d’une
manière
trop formaliste et surtout trop esthétisante. Dommage.
Moins léché, l’ours artistique aurait eu
de quoi séduire et intriguer.
II Drapeau breton
J’aurais pu intituler cette partie : « le
ridicule ne tue pas quand on est milliardaire ». Je ne n’ai
rien contre les milliardaires (je veux dire : rien de personnel).
Mais tout de même, placer le drapeau breton à côté du
drapeau italien pendant le vernissage officiel m’avait semblé infantile,
pour ne pas dire grotesque. M. François Pinault l’avait
déjà fait lors du vernissage de « son « palazzo
Grassi. La municipalité de Venise devait être satisfaite :
la restauration de la Punta della Dogana était magnifique. À l’intérieur,
on ne pourrait pas dire la même chose. L’architecte
japonais tellement réputé (alors qu’il ne fait
que des choses hideuses – le projet de l’île
Séguin était dépourvu d’intérêt)
avait cru astucieux de faire des murs en béton qui ressemblait à du
marbre. Quelle misère pour notre milliardaire qui était
allé à l’économie. Il aurait été mille
fois plus chic de les faire avec du marbre ressemblant à du
ciment… Pour le reste la collection (une collection dont
on ignore l’étendu, puisque le sieur Pinault semblerait
posséder la moitié des œuvres contemporaines
de quelque importance ! Il présentait d’autres
pièces de sa « Foundation » - mais foundation
n’est pas breton, n’est-ce pas ? – au palazzo
Grassi et au musée de Dinart une semaine plus tard -, Dinart,
vous savez, en Bretagne… C’était affligeant.
Même Maurizio Cattelan avait raté son coup avec ses
gisants, qui semblait symboliser les obsèques de l’art
de notre temps. Et je l’avais pensé très fort
au milieu des « ho » et des « ha » des
Français près à s’extasier dès
qu’ils sont invités quelque part à l’œil… (en
général, la conversation tourne sur la qualité du
champagne servi ou de la valeur gustative du buffet de la part
de ces personnes qui donnent toujours l’impression d’être
dei morti di fame).
Economy versus Nature ?
Non
il ne s’agit pas ici de discuter des théories
abracadabrantes d’Ezra Pound, mais d’un projet présenté par
Lucrezia Di Domizio Durini, qui s’intitulait précisément « Est-ce
possible ? Economie et Nature ensemble ? En fait, la
bouillante prêtresse des arts de la péninsule avait
eu l’idée pertinente de confronter deux œuvres
qui, a priori, paraissaient sans aucun lien : celle de Vitantonio
Russo et celle de Marco Bagnoli.
Marco Bagnoli, en réalisant son labyrinthe en cageots enveloppés
de chants d’oiseaux fournissait aux visiteurs une très
belle métaphore (vécue) de la relation ambiguë que
nous entretenons avec la nature. Ce dédale était
un dédale mort et inesthétique qui seul ces chants
transcendaient.
Quant à Vitantonio Russo, son Glossaire, qui consistait
en une pyramide de tréteaux, chacun d’entre eux portant
un mot du jargon de l’économie moderne. Son équilibre
fragile, irréel, donnait une idée très forte
des lois régissant notre monde, car ce sont là ces
mots qui nous gouvernent. Son Echelle d’or est également
une magnifique illustration plastique des illusions tragiques entretenues
par le monde de l’économie.
Futurisme
Une pétition avait circulé avant l’ouverture
de la Biennale. On y réclamait la restitution du pavillon
d’Italie aux artistes italiens. Ce n’était pas
si absurde que ça, mais il y a bien longtemps que le pavillon
central des Giardini est affecté à une exposition
de caractère international. Il y a deux ans, on y avait
vu des vieux maîtres dont quelques avaient été sacralisés
justement lors d’une Biennale – c’était
le cas de Sigmar Polke. (voir : Jardins).
Il y a bien eu un pavillon italien, mais au sein de l’Arsenal.
Deux commissaires avaient été commis à cette
lourde tâche : Luca Beatrice (le seul que le parti au
pouvoir pouvait sortir de sa manche) et Beatrice Buscaroli. Leur
idée (si l’on peut parler ici d’idée)
avait été de rendre hommage à Filippo Tommaso
Marinetti, parce que 2009 est l’année du centenaire
de la fondation du futurisme. Soit. Cet événement
commémoratif fut baptisé Collaudi (le titre d’un
ouvrage de Marinetti). Pourquoi pas ? Mais quand on faisait
le tour de cette vaste exposition, la déception n’était
que plus grande. La relation avec les futuristes est absolument
inexistante. Pire encore : la faiblesse des œuvres présentées était
d’autant plus consternante. Les tableaux de Sandro Chia faisaient
peine à voir (quand on pense qu’il fut l’un
des grands noms de la transavangardia !) et le reste était
encore plus faible. Seul Luca Pignatelli sortait son épingle
du jeu avec, par exemple, sa Bataille de Lépante – il
faut se souvenir que c’était le titre d’une
série d’œuvres de Cy Twombly présentées
dans une Biennale précédente par Harald Szeemann.
Tout ce que nos commissaires ont réussi à faire,
ce fut de donner le sentiment qu’il y avait plus de création
d’une force et d’une originalité à la
hauteur de ce qui avait pu se passer dans ce pays de l’époque
de Fontana à celle de Cucchi.
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