Dossier Buddy Di Rosa | Buddy Di Rosa fait partie de ces artistes rares qui ont su échafauder de toutes pièces un univers, avec son cortège de décors et de personnages récurrents. Tout au long de son oeuvre, il met en scène leurs aventures, leurs déconvenues, leurs mythologies. Les figures de Buddy s'apparentent tantôt à des humanoïdes, tantôt à des créatures animales, mais toutes ont ce même air de famille, à la fois goguenard et inquiet, émerveillé et sournois. « Hank », « la Péteuse », « Femme abstraite », « Beethoven », « Alexandre » mais aussi la « Femme enceinte » déclinée en plusieurs dimensions et matériaux, constituent les héros d'une oeuvre conçue comme une scène de théâtre. Buddy a choisi la sculpture comme mode d'expression : tantôt il met en volume ses personnages à l'aide de résine polyester, tantôt il les coule en bronze, ou bien les assemble avec des plaques émaillées. Buddy travaille sous le triple patronage de Miró, Niki de Saint-Phalle et Calder. Buddy Di Rosa s'inscrit dans la mouvance d'un retour à la culture populaire. Ses premières amours l'entraînent du côté de l'Art brut, des graffiti, des tempos enfiévrés du rock. Ses créatures toujours loufoques évoquent aussi le monde de la bande dessinée, une bande dessinée pacifique et douce, qui rappelle l'iconographie de Walt Disney. Il fut un temps où l'artiste flirta avec la Figuration libre (1), une mouvance reposant sur une mythologie de circonstance destinée à justifier un penchant pour l'improvisation et peut-être, au final, l'absence de véritable projet. Les artistes de ce mouvement n'ont cessé de prôner le retour à une peinture qui s'adresse à l'affect et non à l'intellect. Leur credo : un art proscrivant les canons de la beauté et de la culture au nom des valeurs de la spontanéité juvénile. Mais le coup de génie de Buddy Di Rosa est d'avoir (consciemment ou non, peu importe) pressenti qu'une évolution s'imposait face à cette démarche somme toute réductrice. Il quitte très vite les rivages de la représentation instinctive et brute du réel pour adopter un parti-pris de schématisation des formes, plus proche du concept des choses que de leur rendu figuratif. La mutation dans l'oeuvre de Buddy Di Rosa s'annonce dès la fin des années 80. Buddy revendique dorénavant une démarche qui se veut de plus en plus abstraite, témoin l'intitulé de ses nouvelles oeuvres : Sculpture abstraite (1987), Sculpture vraiment abstraite (1989), deux figurines magistrales dont la forme suggère, non un être de chair, mais l'idée d'envol, d'espace, de lumière. Avec sa série Les Musiciens , ce ne sont pas seulement des instruments de musique ou des musiciens célèbres qu'il met en volume, mais l'espace sonore lui-même, la stridence des guitares électriques, les formes abstraites de ces figurines renvoyant à l'abstraction de la musique elle-même. Buddy ne cesse dorénavant de construire des sculptures de plus en plus monumentales, rondes, lisses, voluptueuses. On pense à la « Femme enceinte » ou à la « Madone du Quartier Haut » (une commande de la ville de Sète), qui ne sont pas tant des portraits de femmes que les symboles de la féminité heureuse. On pense aussi à sa série de négresses du Ghana, allégories de la femme noire, libre et sensuelle. Bien sûr, l'artiste ne renie aucune culture vernaculaire (la Ville de Sète et l'Afrique surtout), seulement voilà : il abandonne la spontanéité de ses années d'apprentissage au profit d'oeuvres réalisées avec un soin d'artisan, le « mal fait » cède la place à une élaboration lente et méticuleuse de l'oeuvre en vue d'une sorte de perfection plastique. Les oeuvres de Buddy sont donc patiemment élaborées, réfléchies, sophistiquées. Leur iconographie les rattache dorénavant à une mouvance artistique qui peut se définir comme une esthétisation critique du kitsch dont les principaux représentants sont Jeff Koons, Takasha Murakami, voire Damien Hirst. Ces artistes mettent en scène le kitsch, le glamour, voire le « bling-bling » de notre société de consommation. Leur esthétique ludique et enfantine est inféodée aux surfaces lisses et aux couleurs crues, mais derrière l'humour apparent de leurs oeuvres se profile une démarche non dépourvue d'un penchant pour la parodie, la dérision, la moquerie. Le propre de ces artistes dont on pourrait baptiser la mouvance « kitsch international » est de s'inspirer à la fois de schémas issus de leurs racines culturelles et en même temps de se fondre dans une esthétique désincarnée et lisible sur tous les continents. Entre un manga japonais revisité par Murakami, l'univers hollywoodien revue par Koons et les oeuvres clinquantes de Hirst, il y a une similitude, qui repose sur une fascination lucide pour cette culture de masse qui envahit les magasins : jeux vidéo, jouets de supermarchés, gadgets pour enfants, figurines pour touristes, bandes dessinées. Ces artistes nous restituent à travers leurs objets reconfigurés les archétypes de nos psychismes de consommateurs asservis au mythe d'un paradis enfantin de la consommation, où l'acte d'achat est censé ouvrir les portes du bonheur éternel, comme jadis la prière devant les retables des églises. Avec Koons, Murakami, Hirst et Di Rosa, il ne s'agit plus de donner
libre cours à l'instinct, mais au contraire de schématiser
les formes du kitsch, afin de capter l'esprit de notre époque,
une démarche conceptuelle donc, qui se traduit par la volonté des
artistes d'élaborer les archétypes visuels des mythologies
collectives. Cette esthétique qui tend donc à construire
matériellement le rêve du consommateur a naguère
trouvé son paradigme dans les lignes élancées
et fluides de la DS 19, une voiture qui évoque un paradis à portée
de main, un monde parfaitement lisse, sans heurts, accueillant, bref
l'automobile. « L'équivalent des cathédrales
gothiques » nous dit Même combat chez Buddy ? Ses oeuvres où l'humour le dispute à la dérision s'insèrent parfaitement dans cette mouvance. Ses formes sont empreintes d'une schématisation qui confère une connotation universelle aux figures qu'elles incarnent. C'est bien cette culture de rêve et de dessins animés que Buddy donne à voir dans son essence. Cependant, il y a chez lui davantage de tendresse que d'ironie, au contraire de ses confrères étrangers. Buddy n'a pu s'empêcher de tomber amoureux des créatures qu'il élabore. Elles sont dépourvues de l'arrogance caustique des sculptures de Murakami, ou de l'ironie cynique des figurines de Jeff Koons. Chez Di Rosa, il y a de l'amour et donc de la compassion pour ses contemporains. Quelque chose d'enfantin, de ludique et d'harmonieux aussi. La dimension parodique existe, certes, mais elle est en demi-teinte, car l'artiste a préféré insister sur l'aspect vulnérable et tendre de ses personnages, avec leur allure un peu gauche, souvent naïve. Buddy se montre résolument indulgent pour ses contemporains. Dotés d'yeux saillants en forme de boule de billard, ses personnages donnent l'impression de regarder le monde avec la mine émerveillée des enfants face à un tour d'illusionniste. Le paradis sur terre existe, il est devant vos yeux, semble nous dire l'artiste. Mais faut-il le croire ? [1] Thierry Laurent, Paris-New York, la Figuration
libre . Editions Au Même Titre, 1999 |
Buddy, artiste international | |
par
Thierry Laurent |
|
Thierry Laurent | |
mis en ligne le 21/09/2009 |