Dossier Buddy Di Rosa
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Rendons
provisoirement justice à des principes surannés. Attachons-nous
au milieu, au moment, au caractère, plus trivialement à la
biographie qui, on ne le répétera jamais assez, n'explique
rien mais reste bien utile. À l'homme et à l'oeuvre
encore et toujours. Ô mânes d'Hyppolite (Taine) et de
Gustave (Lanson)... Avec en arrière-plan la mise en garde d'Alphonse
Allais : « Surveille mieux, fiston, ton thon, ton
Taine et ton ton ». Tout cela pour préciser à quel
point l'environnement culturel de Richard Di Rosa reste prégnant.
Limitons-nous à l'essentiel. L'artiste est né à Sète,
dans un milieu modeste. En 1963, l'année de la mort d'Edith
Piaf, de Jean Cocteau, et des concerts mémorables de Gene
Vincent à Paris (au Palais des Sports, au Golf Drouot, à la
Mutualité, à l'Alhambra et à l'Olympia) et dans
de nombreuses villes de l'hexagone. Buddy Holly, à qui l'artiste
empruntera son surnom, avait disparu depuis quatre ans dans un accident
d'avion aux alentours d'avion aux alentours de Clear Lake (Iowa).
Toujours en 1959, le journal Pilote voyait le jour. Références éclectiques
et subjectives pour croiser les mythologies personnelles et collectives
qui, sous-jacentes, irriguent l'oeuvre. Richard Di Rosa affirme que
la construction de modèles réduits ( Heller ? Lindberg-Line ? Airfix ?)
a été seule école, conjointement au rock (il
sera le batteur du groupe Les Démodés aux
côtés de Robert Combas et de Ketty Brindel). Les premières
impressions sont toujours les bonnes et les ébauches, essais
ou initiatives cristallisent souvent un regard, voire une esthétique.
À quinze
ans, Richard Di Rosa réalise tout naturellement un diorama, L'Accident
de Jan and Dean (Dead man curve). Le média n'est pas
innocent. Le diorama inventé en 1803 par le peintre, décorateur
et photographe Louis Daguerre, comme une tentative de renouvellement
du décor de théâtre, se développe très
vite dans une filière liée au spectacle populaire entre
1822 et 1880. Sans doute a-t-il eu également en main les pages
centrales du journal Pilote , les très attendus Pilotoramas ,
fresques pédagogiques et ludiques reproduisant des écorchés,
des perspectives cavalières d'un lieu ou d'un événement.
Tout cela s'énonce dans une modernité désuète,
une nostalgie de la découverte, un contexte où la précision
du document favorise le rêve. Richard Di Rosa s'approprie gestuellement
sa mémoire enfantine pour y insérer et développer
son univers.
Il y a là, dès l'origine, un acte de création
fort, maîtrisé, original. « Buddy » Richard
Di Rosa baptisera ainsi le Chef d'oeuvre, une maquette imposante où les
références guerrières, architecturales et mythologiques
se télescopent. Il affirme ainsi dialectiquement le double
caractère de l'oeuvre, tout à la fois pièce maîtresse évoquant
le compagnonnage, et objet artistique dont l'origine populaire fait
vaciller les conventions. Dès lors, Richard Di Rosa va poursuivre,
développer, intensifier le dialogue, voire la confrontation,
entre culture populaire et culture savante dans le cadre du développement
du commerce des textes et des images, de ce déferlement médiatique
qui, depuis le milieu du dix-neuvième siècle, a bouleversé de
fond en comble le bel édifice culturel séculaire.
Dans
le même temps, il participe à l'émergence de
la Figuration libre, aux côtés de son frère Hervé,
de François Boisrond, de Robert Combas, de Rémy Blanchard
tout en développant ses propres cohérences. Le mouvement
se propose de redonner une nouvelle vigueur au plaisir de peindre,
de raconter des histoires en images, d'abattre les barrières
culturelles, de croiser l'Underground, le rock, la BD et les avant-gardes.
Vastes ambitions pour un art qui se veut modeste. Richard Di Rosa,
pour sa part, ne devient pas sculpteur, il vit la sculpture, retrouve
le bonheur de modeler, de pétrir, de souffler, de travailler
en série... Il possède l'habileté manuelle, le
sens du volume, de la forme, de la couleur et n'hésite pas à se
confronter et à revendiquer les influences de Nicolas de Staël,
Pierre Soulages, Joan Miró, Picasso, Calder, Henri Moore....
L'art et la vie, indissociablement. La référence à l'histoire
de l'art se décline, non comme un pur concept mais telle une
matière vivante. Une énergie vitale, une volonté de
comprendre, de saisir, d'expliquer le monde en s'amusant. Le regard
implique aussi le clin d'oeil, La Vie mode d'emploi un
grand diorama donnant la vue synoptique d'un immeuble sur trois étages,
référence évidente à Georges Perec, mais
peut-être de façon diffuse ou inconsciente à un
film de 1939, Derrière la façade , de Georges
Lacombe et Yves Mirande. Enquête policière qui fait découvrir aux
spectateurs les différents personnages qui vivent dans les appartements
d'un immeuble parisien. Je crois me souvenir qu'il y avait un côté « maison
de poupée » dans l'un des premiers plans du film
où la façade s'effaçait pour révéler
l'intimité des foyers. Procédé repris en 1961
par Jerry Lewis dans The ladies man (Le Tombeur de ces dames),
avec une vue en coupe d'une maison de soixante pièces. Tout
est affaire de décor, de réduction, de duplication. Le
réel s'approprie en volume(s), en actes, de façon tactile.
On peut toucher (avec précaution) les oeuvres de Richard Di Rosa,
on peut y goûter virtuellement (Les Antiplats de Miró).
La sculpture peut s'apparenter à de purs exercices de style
( Les Bouquets en fer et en fleurs ), la mythologie
antique redevient souriante ( Léda et le cygne ), les
bestiaires se développent ( Trophée d'éléphant 1990, Chat 1989, Kangourou 1990, Trois
poules bavardes 1990, L'Oiseau en fer jaune 1992).
En 1997, il va réaliser des séries de petits plâtres
aux motifs élémentaires, enfantins, qui évoquent à la
fois le modelage, l'empreinte, l'inquiétude souriante des cours
de récréations. Sa passion pour la musique d'Erik Satie à Buddy
Holly, sans oublier Lou Reed, Joséphine Baker et les Beatles,
se concrétise dans des épures visuelles incisives. Ses « impressions
d'Afrique », fruits de nombreux séjours entre 1997
et 2001 ( Cou de girafe 1999, La Ghanéenne 1998, Sweet
Africa 1999, l'Arbre du Zimbawé 2001), outre
qu'elles intègrent désormais le bronze dans l'oeuvre du
sculpteur, sont autant de manifestations de cette mise en réseau
qu'il conduit désormais avec les cultures « primitives » ou « premières »,
les vocables évoluant selon les époques, de véritables
manifestes contre la standardisation et l'uniformisation.
Dialogue
encore et toujours avec les maîtres, en l'occurrence François
Pompon, à l'occasion du 150 e anniversaire de la naissance du
sculpteur animalier en 2005. « Même si nous ne choisissons
pas les mêmes animaux de référence, je crois qu'il
serait d'accord pour dire que l'essentiel est dans la façon
dont nous les représentons. Mon bestiaire est beaucoup plus
libre, ce sont mes démons intérieurs, animaux grimaçants,
mais aussi des échos à des représentations enfantines
de ces animaux qui accompagnent, guident, rassurent les hommes dans
leur grande solitude. Mais qu'il s'agisse des lapins courant de Pompon
ou de mon chien bleu grimpant à la verticale, ces animaux nous
parlent de nous. Pompon a donné à la sculpture animalière
ce que le bonhomme Chardin a donné à la nature morte :
une éducation du regard. » La pédagogie du
point de vue, voilà l'essentiel. Encore faut-il ajouter que
Richard Di Rosa possède au plus haut degré l'aptitude,
non seulement à rendre compte du monde mais à créer
ses propres univers. Donner à voir ne suffit pas, il est indispensable
d'émouvoir, de capter dans le même mouvement l'attention
et la réflexion dans un foisonnement de techniques, de matériaux,
d'inspirations. Une proclamation conjuguant l'énergie et la
liberté. Est-il nécessaire d'insister sur l'aspect poétique
du travail de Richard Di Rosa ? Une poésie compulsive comme
il se doit, mais surtout et essentiellement ludique, et dont l'épanouissement
formel ne se conçoit que dans la perpétuité du
renouvellement. |