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(Ou comment peindre quand d'autres spéculent) ››.
Aux antipodes de ce « jeu » là, il est des peintres qui
ne se soucient guère de « faire carrière ». Des
artistes qui peignent, d’abord. Qui tentent d’exister et de construire,
patiemment, des territoires de peinture. Parmi eux : le jeune peintre anglais
Orlando Mostyn-Owen (36 ans) dont le travail, encore trop peu connu en France,
sera prochainement présenté à la Galerie Polad-Hardouin.
Cette exposition personnelle (la première de l’artiste dans
l’hexagone) sera l’occasion de mieux connaître cette démarche
qui tente d’explorer, avec une réelle inventivité, les
multiples possibilités que continue d’offrir le curieux médium
de la peinture à l’huile.
Maltraitant un singulier don pour le dessin et remettant en question les fondements
d’une solide technique lentement acquise mais toujours en devenir, Orlando
Mostyn-Owen expérimente les difficiles voies de la défiguration.
Le peintre se plaît à jouer du surgissement de formes inattendues
(celles-ci étant le fruit d’une lutte physique dont le tableau porte
la trace visible) et ouvre toujours le « réalisme » au travail
de l’imaginaire ou de l’inconscient. Car il réside naturellement,
en amont de la création d’Orlando Mostyn-Owen, une émotion,
une expérience réellement vécue. Dans les tableaux récents
par exemple, c’est l’Italie souvent : ses paysages, ses bordels,
ses chansons, ses villes, de Palerme à Naples où se mêle
avec intensité - dans une ambivalence toute pasolinienne ! - érotisme
et mort, jeu/humour et gravité, éternels vestiges antiques violemment
marqués par les mutations de la vie moderne. Mais ce réel-là,
senti, éprouvé, finit toujours par se taire ou plutôt ne
se « dit » qu’en peinture.
Ici, ce seront les effets de la lumière et des ombres sur les visages
qui, tels le solitaire « mangeur d’oursin » ou l’érotique « Bella
Donna » (2009) (Cf. Ill. 1 et 2), se chargent d’une expression
inquiétante, comme soudainement rongés par l’angoisse. Là,
dans « Canzone Napoletana » (2009) (Cf. Ill. 3),
ce sera le travail du noir. Du noir qui, mêlé aux gris, bruns ou
quelques rehauts de blanc, dans une matière tour à tour diluée
(et faisant jouer l’effet des « dessous ») ou travaillée
plus gestuellement dans l’épaisseur, paraît suggérer
l’étrangeté du monde tel qu’il nous apparaît
au réveil d’un mauvais rêve ou à l’écoute
d’une musique bouleversante : moment inquiétant où l’inconscient
fait surgir au regard des choses qui n’existent pas (tel peut être,
au fond de la rue, le surgissement d’une silhouette spectrale…),
où le temps paraît un instant se figer (comme semble suspendu le
geste de ce mystérieux personnage, succinctement brossé, au visage
tronqué par l’obscurité et qui, d’un signe de la main,
interpelle notre regard). Là enfin, ce sera la contamination de l’idéal
bonheur de vivre « arcadien » par la représentation de paysages
de campagne dans lesquels le corps se trouve mis à mal. Ainsi dans « Bucolie »,
la figure féminine, mi humaine mi animale, agenouillée au sol,
n’apparaît que schématiquement individualisée et comme
fragmentée. Cela s’affirme par une matérialité qui,
comme posée dans l’urgence, dit là un bout de sein, là une
jambe, mais aussi par l’effet de découpe créé par
l’opposition de zones sombres ou plus claires (suggérant un violent
contraste entre ombre et lumière). Image d’un érotisme à consommer, à jeter
: morceaux de chair violentée, corps sans visages, ceux peut-être
de prostituées comme saisis à l’arrachée, sur le bord
d’un fossé, à l’ombre d’un arbre, au détour
d’une route. Une route qui, peuplée de ces tragiques nymphes modernes
désenchantées, mène ironiquement vers Rome…l’« éternelle »…
Autant de moyens, et bien d’autres encore, par lesquels la peinture d’Orlando
Mostyn-Owen renferme, dans son silence, le bouillonnement et le bruit de la vie.
Eloquence d’un silence qui toujours crée en nous une réelle émotion.
Qui inquiète. Qui dérange. Du silence qui vous touche en plein
cœur. Et ça, précisément : ça n’a pas
de prix.
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