Aimer le noir, sa matière profonde, comme pour s’y immerger corps et âme, vivre le métro comme les ombres de la caverne et ses silhouettes comme des âmes errantes, user des poinçons d’aveugle sur le papier pour brailler sa vérité en images de braille, proférer les portraits noirs des martyrs de la Shoah, cerner l’horizon de lignes noires pour mieux l’ouvrir sur l’infini, se laisser séduire par la figure sombre de Satan pour comprendre celle lumineuse de Dieu, écrire une autre histoire de Judas, l’homme noir nécessaire à la rédemption du Christ, se chercher soi-même dans des autoportraits faits de troncs et de branches noires, y nouer son corps, y délier ses cheveux, se laisser tenter par l’abandon, se vouloir artiste, photographe et aussi chanter, déclamer, jouer au théâtre… et s’apercevoir que l’on est toujours, derrière les plis et replis de la vie, à la quête de la lumière et de son absolue nécessité.
Le blanc est l’inverse du noir, tout comme le saint n’est pas loin du traître et le diable finalement un dieu qui a mal tourné.
Tourner, retourner, se retourner : toute l’œuvre d’Esther SÉGAL est nourrie de ce paradoxe énoncé en forme de nécessité formelle et substantielle. Les deux bouts de la branche sont du même bois, mais ils témoignent chacun d’une histoire différente. Elle est tellement nourrie et pétrie de talents multiples qu’elle joue la pièce elle-même : elle se met en scène. Le portrait est son portrait, le poinçon des aveugles est son stylets de sculpteur, Judas est l’Incompris dans son métro transfiguré, Satan est pardonné, car elle veut réconcilier les inconciliables, joindre les opposés, unir les incompatibles, renverser le sens des condamnations, effacer les tâches rebelles, rendre le monde possible et beau sous le regard de la lumière.
La lumière est aussi sa lumière. Car ne serait-elle pas aussi cet être de lumière ? Ne tire-t-elle pas sa grâce de cette capacité à tout muer en lumière, à transmuter le mal en bien, à exercer le rôle qui lui convient le mieux : celui de passeur, de médiateur, de conducteur (au sens où un fil conduit le courant électrique). Car ne rêve-t-elle pas de tout électriser ? Le cosmos est noir : il l’illumine. Il est noir : elle l’illuminez de sa blancheur. Elle joue entre le noir et le blanc.
La photo par exemple : la chimie- l’alchimie- conduit la révélation qui se fait dans le bain que l’on désigne de son nom révélateur. Révélateur de lumière, par la lumière et le noir, par le secret de l’au-delà du noir. Constance et renaissance du « bain lustral ».
La peinture évidemment. Soulages applique ses larges couches de peinture noire pour y faire scintiller les lignes blanches de la lumière… De même Esther SÉGAL avec le noir des jours et des nuits, des mers et des bois, le noir des autres de la terre et des ciels de l’éther.